Tristan und Isolde n’avait précédemment jamais été monté à l’Opéra Royal de Wallonie et l’ouvrage fait donc son entrée au répertoire de la maison, dans la nouvelle production conçue par Jean-Claude Berutti. Les premières images séduisent, qui montrent une plage devant une vidéo de mer en fond de plateau, sous un ciel nuageux. Et un homme dans un fauteuil roulant, en costume blanc et chapeau, malade ou blessé avec du sang sur la chemise, qui nous rappelle furieusement le personnage de Gustav von Aschenbach dans Mort à Venise. Des infirmiers déboulent en nombre pour calmer son agitation et seule une infirmière attentionnée y parvient. Des voiles et cordes descendent des cintres pour figurer le navire qui vogue, tandis les images vidéos transmettent à présent l’action en cours, filmée à la verticale au-dessus de la scène. Cette animation visuelle perd d’un coup en poésie et richesse, alors que dans le même temps, ce « Monsieur von Aschenbach » supposé commence à se faire envahissant. On comprend rapidement qu’il est le double de Tristan, d’ailleurs mentionné comme tel dans le programme de salle, qui porte le même costume et ne s’éloigne guère de Tristan quand ce dernier est en scène.
Ce double omniprésent devient carrément embarrassant au deuxième acte, après qu’Isolde a éteint la torche en plaçant le couvercle sur le braséro. Il est enlacé avec elle dans la première partie de leur long duo d’amour, pendant que Tristan, le vrai, chante à quelques mètres… un duo se transformant en quelque sorte en un trio ! Heureusement, ce second Tristan s’éclipse ensuite, laissant la place au chanteur en lui donnant au passage son chapeau, comme témoin de relais. Les vidéos du jardin, vu de dessus puis de face, sont, sauf erreur improbable de notre part, des images de synthèse qui n’ont évidemment pas le naturel d’un vrai film, ni le charme à vrai dire.
Au troisième acte, la ressemblance entre les deux Tristan est encore plus évidente, le titulaire étant à présent blessé à la poitrine lui aussi, assis dans le fauteuil roulant et veillé par Kurwenal. Isolde arrive enfin, habillé en infirmière, pour recueillir les derniers mots de son Tristan expirant.
Au sein du couple Tristan – Isolde, c’est sans conteste Lianna Haroutounian qui impressionne le plus, une voix par moments torrentielle quand elle enfle certains aigus… et ils sont nombreux ! Grande habituée de Verdi et Puccini (elle chantait en 2024 Butterly et Amelia du Ballo in maschera), la soprano arménienne a opéré une importante évolution de répertoire vers Wagner, en souhaitant passer d’un format lyrique à dramatique. Le pari est gagnant dès à présent, son Isolde est glorieuse, bouillonnante et d’une projection ardente, sans sacrifier au style et à la qualité de la diction. Son Liebestod conclusif est un grand moment, d’une ampleur et d’une émotion considérables. Chose curieuse c’est là que le souffleur se fait entendre, qui prononce plusieurs débuts de phrases, toujours est-il que la chanteuse est encore émue aux larmes aux saluts.
En Tristan, Michael Weinius est quant à lui un ténor wagnérien reconnu, déjà entendu pour notre part en Siegfried au cours du Ring des Nibelungen, monté il y a quelques années au Grand Théâtre de Genève. Ancien baryton, son assise dans le grave est très confortable, tandis que les aigus brillent à l’autre extrémité de la voix. La couleur est agréable et l’interprète met du mordant dans ses attaques, se montrant particulièrement vaillant, du point de vue vocal, en position allongée avant sa mort, délivrant son dernier mot « Isolde » de manière poignante.
Ancienne véritable mezzo-soprano star, passée ensuite aux rôles de soprano, Violeta Urmana est revenue ces dernières années à sa tessiture initiale. Si le volume n’est plus l’ouragan dont on a gardé le souvenir, sa Brangäne est chantée avec engagement, sous un vibrato désormais présent, mais gardé sous contrôle. Evgeny Stavinsky est un Roi Marke qui émeut pour sa tristesse, voix plutôt obscure aux riches résonances dans le grave, moins confortable dans la partie aigüe et dont la couleur pourrait évoquer le légendaire Nicolaï Ghiaurov. En Kurwenal, Birger Radde fait entendre un baryton solide, voix saine et puissante, accompagnée d’un tout léger vibratello quand il tient plus longuement une note. Alexander Marev est un ténor agréable en Melot, les autres rôles complétant convenablement.
Et il faut ici saluer la très grande performance de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, placé sous la direction de son chef Giampaolo Bisanti. Ceci en considérant que Tristan und Isolde, pour rappel en entrée au répertoire à l’occasion de cette série de représentations, n’est pas dans l’ADN premier de la phalange. On entend certes de petites imperfections, comme le hautbois dans les premières mesures, ou le cuivre en coulisses qui annonce l’arrivée d’Isolde au troisième acte, mais le son est d’une telle transparence ! Les climax et certains moments majestueux sont servis avec la grandeur qu’on associe habituellement à la partition wagnérienne, mais l’ensemble produit globalement un son d’une puissance mesurée, permettant ainsi aux voix de s’exprimer sans peine.
Irma FOLETTI
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Direction musicale : Giampaolo Bisanti
Mise en scène : Jean-Claude Berutti
Décors : Michael Simon
Costumes et conception vidéo : Rudy Sabounghi
Dramaturgie : Klaus Bertisch
Lumières : Christophe Forey
Réalisation vidéo : Julien Soulier
Distribution :
Tristan : Michael Weinius
Isolde : Lianna Haroutounian
Brangäne : Violeta Urmana
Der König Marke (Le Roi Marc) : Evgeny Stavinsky :
Kurwenal : Birger Radde
Melot : Alexander Marev
Ein junger Seemann (Un Jeune Marin) / Ein Hirte (Un Berger) : Zwakele Tshabalala
Ein Steuerman (Un Timonier) : Bernard Aty Monga Ngoy
Orchestre et Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège
Chef des chœurs : Denis Segond
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