Les Chorégies d’Orange nous ont gratifiés d’une soirée peu conventionnelle pour la nuit Tchaïkovski ! Habitué des fortes chaleurs estivales, c’est au contraire en ce 29 juin un défilé de parapluies et de ponchos multicolores qui anime les rues de l’ancienne cité romaine. Chacun, tour à tour s’invente météorologue à scruter le ciel, tantôt avec bienveillance, tantôt avec anxiété, alors que les rumeurs d’annulation vont bon train. Finalement, nous avons tous partagé une belle averse quelques minutes avant le concert, massés sous les arcades. Ce fut l’occasion de mettre en lumière la réactivité des techniciens s’affairant sous les encouragements d’un public nombreux et enthousiaste.
La star de la soirée, Khatia Buniatishvili, fait son entrée, main dans la main, avec le chef d’orchestre Kirill Karabits. Tous deux faisaient leurs débuts sur la scène du théâtre antique en cette nuit dédiée à Tchaïkovski. Après un bref instant cocasse où la pianiste franco-géorgienne se trouve obligée de demander un mouchoir aux membres de l’orchestre pour essuyer elle-même les pédales de l’instrument, la soirée a enfin pu débuter !
Les deux complices, accompagnés de l’orchestre philharmonique de Monte Carlo unissent leur forces et proposent une interprétation convaincante du concerto pour piano n°1. Les premiers accords au tempo relativement modéré raisonnent avec beaucoup de majesté. S’en suivra un flot ininterrompu de notes jouées avec une virtuosité absolument déconcertante ! Loin d’être une simple ornementation ou une décoration, la pianiste se voit transcendée par une énergie communicatrice. Sa grande expressivité et son jeu pleinement investi ont réussi à charmer le public. Les mélodies créées par Tchaïkovski sont servies avec beaucoup d’ardeur et de fougue dans le premier mouvement. L’écho du thème se répète inlassablement avec un effet miroir fort bien servi par les différents pupitres de l’orchestre même si parfois quelques décalages restent perceptibles. Le second mouvement apparaît ensuite comme un instant suspendu, un bref répit servi avec beaucoup de finesse et de retenue. La douce rêverie sentimentale proposée par Khatia Buniatishvili envoûte l’auditoire. L’ultime mouvement vire à la démonstration technique avec un feu d’artifice de fête populaire. La « rock star » du classique, chaleureusement applaudie gratifiera le public de deux bis dont la célèbre javanaise reprise en chœur par l’auditoire.
La soirée se poursuit avec des extraits de l’un des ballets les plus connus de la musique romantique russe, Le Lac des cygnes. Plus à l’aise dans cet exercice, l’orchestre de Monte-Carlo sous la direction de Kirill Karabits développe toute la palette de nuances et de couleur attendue. L’amour, la mort, la fête, le rêve et la fantaisie sont tour à tour portés par les différents pupitres avec beaucoup de lyrisme et une conviction poignante. La direction précise du chef sied tout particulièrement à la danse espagnole et à celle des petits cygnes qui sont particulièrement réussis.
Les Chorégies d’Orange relèvent avec cette nuit Tchaïkovski le défi ambitieux de s’attaquer à deux des monuments les plus emblématiques de la musique russe, en conciliant l’exigence artistique et le caractère populaire de ces deux œuvres. Cette soirée a réuni un large public, composé aussi bien de mélomanes avertis que de néophytes, visiblement ravis de leur première expérience, malgré la pluie qu’il aura fallu braver.
Aurélie Mazenq
29 juin 2024