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Récital Marina Viotti – TCE vendredi 28 juin 2024 : De la vertu des Bis

Récital Marina Viotti – TCE vendredi 28 juin 2024 : De la vertu des Bis

vendredi 28 juin 2024

© Jean-Yves Grandin

Concession racoleuse de mauvais goût pour les uns, moment de partage complice et signe de générosité artistique pour d’autres, le principe du bis n’a pas pour seule vertu d’ajouter quelques mets roboratifs à des menus parfois étiques – surtout pas quand un programme comporte déjà neuf airs, dont trois scènes redoutables : la folie de Déjanire, la colère de Serse et le feu d’artifice du « Dopo notte » extrait d’Ariodante ! Il permet aussi parfois une véritable libération des interprètes qui s’abandonnent sans réserve à la jouissance du moment avec pour effet immédiat de donner la pleine mesure de leur instrument.

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©Jean-Yves Grandin

Le récital de Marina Viotti donné dans un TCE étrangement dépeuplé exemplifie ce propos liminaire.

Drapée comme un vestale, l’interprète semble de prime abord se cacher sous son voile améthyste, tant physiquement que vocalement, pour les trois premiers airs proposés en hommage au Caro Sassone : si la pâte vocale semble belle, la voix ne s’épanouit pas dans la tessiture située pour l’essentiel dans le bas médium pour un « O Jordan ! Jordan ! » finalement incolore ; « All danger disdaining » ne met pas mieux l’organe en valeur, avec des colorature comme étouffées ; si l’aria d’Irene fait valoir un certain pathos dans une ligne châtiée, la projection manque encore à l’appel. L’extrait d’Alexander Balus soulève alors la question du choix des arie, pourtant corrélés par des thématiques et de tonalités voisines : « Fair virtue » ne dépasse pas, en effet, la lecture de bon aloi et aux coutures soignées. Mais à vrai dire, que faire d’autre avec ces quatre extraits peu gratifiants et inscrits dans des zones forcément plus sourdes pour cette typologie vocale ?

Forcée par l’écriture concitata de la folie de Déjanire à sortir de sa réserve – si ce n’est de ses gonds, la voix de Marina Viotti prend, dès le début du récitatif introductif, des couleurs nouvelles, un mordant, un punch même qui font d’emblée monter la soirée de plusieurs crans. Abordant cette page redoutable – dans laquelle même une interprète aussi contrôlée que Joyce Di Donato perdait le contrôle vocal à Garnier il y a presque vingt ans ! – avec une pugnacité et un élan qui font passer un premier frisson. Les changements de direction dans l’écriture sont abordés crânement, les sauts de registre semblent des broutilles et la cadence finale, glorieuse, conclut de la plus manière qui soit la première partie de ce récital. Le ton semble enfin donné !

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©Jean-Yves Grandin

Pour la reprise après l’entracte, Marina Viotti, sanglée comme un rock star et les cheveux gominés (rôles travestis obligent ?) se lance dans le « Crude furie » du Serse avec une évidente gourmandise : le plaisir mis à lancer moult fusées se double d’une vraie présence. Chauffée à blanc par ces tessitures gloutonnes et risquées, face au périls multiples dressés par Haendel, Marina Viotti répond présente.

Dédié à la mémoire de la regrettée Jodie Devos, disparue tragiquement et dont le sourire vocal comme la sensibilité nous manqueront beaucoup, « verdi prati » opère une rupture brutale de registre. Mais sous l’effet des deux arie redoutables déjà accomplis, la voix de la Viotti, enfin sortie de sa gangue, paraît maintenant plus claire, et sonne dans la salle, même dans les nuance piano, voire pianissimo. Le timbre au naturel libère des couleurs mordorées et le sens de la ligne n’a plus qu’à laisser la voix exprimer à nu l’émotion.

Étrangeté du programme qui propose pour terminer les festivités vocales le délirant « dopo notte » puis l’air intimiste « ombra cara » : un agencement intellectuel qui semble vouloir refermer la soirée sur une tonalité et des affects qui l’avaient ouverte, mais qui néglige les effets structurels de ce qui reste envers et contre tout moins un cheminement musical qu’un récital lyrique dont la conclusion appelle plus l’explosion que l’introspection. C’est d’autant plus regrettable que l’extrait de Radamisto nous replongerait presque dans les frustrations de début de soirée, alors que la jubilation mise dans l’air d’Ariodante – agrémenté de variations folles et presque inaccessibles, donc terriblement excitantes – avait plongé l’auditoire dans un plaisir manifesté bruyamment.

Vient alors l’heure des bis.

Premier effet de surprise, Christian Zaremba, sorti de la salle, entonne joyeusement avec Marina Viotti le duo tiré d’Apollo e Dafne. Sympathique. La Viotti se lance alors dans une reprise intégrale de la folie de Déjanire, avec une résultat encore plus époustouflant que dans sa première version : aux frontières de l’expressivité vériste, l’interprète reste sur la corde mais n’hésite plus à appuyer son registre grave ; certains aigus semblent également mieux canalisés (« no rest the guilty find »). Une preuve supplémentaire de ce lâcher prise étourdissant ? La cadence conclusive fait sonner son sommet aigu plus longtemps encore et avec plus d’ampleur ! Mais les surprises s’enchaînent à grande vitesse, car Marc Minkowski annonce l’orchestration d’un morceau traditionnel scandinave. Une montée et une descente aux bois et vents suffit pour déclencher l’hilarité du public : il s’agit du « gimme ! » de ABBA ! Être des musiciens ô combien sérieux et dévoués à leur art sans jamais se prendre au sérieux, sans jouer aux vieilles barbes : une belle devise ! Le comble est que cette orchestration mérite une écoute attentive, avec par exemple un hommage à Vivaldi interpolé. Rappelée par un public jovial et conquis, Marina Viotti explique que ce récital se trouve placé le lendemain et la veille de représentations de L’Olimpiade ; elle n’accordera donc « plus » que ce dernier bis : une retour à la reprise du « dopo notte », avec des dingueries d’ornements déjoués sourire aux lèvres, et un organe totalement libéré, crépitant et mordant. C’est dans ces bis, finalement, que Marina Viotti a abattu toutes ses cartes, donnant raison à celles et ceux qui, comme moi, chérissent ces moments.

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©Laurent Arpison

Que dire, enfin, de Mark Minkowski et de ses Musiciens du Louvre qui n’ait déjà été écrit mille fois ? Même avec le handicap de certaines distributions parfois discutables, je n’ai jamais passé une soirée sans excitation avec ce chef amoureux de la musique, de ses musiciens et des chanteurs. Un démiurge, mais avant tout un passionné. Le son de cette formation se reconnaît immédiatement, comme lors d’un Ariodante mémorable à la Maison de Radio France en 2019 : le premier accord avait alors produit un effet sensationnel ! Entre cordes graves vrombissantes, vents soyeux, tendres et malicieux, cordes aiguës aux arrêtes acérées et qui dessinent les contours rythmiques, cet ensemble – au sens fort du mot – donne à entendre car il sait s’écouter pour mieux fusionner. Loin du cliché des sonorités aigres et étroites associé aux formations baroques, les Musiciens du Louvre dirigés par Minkowski proposent des sonorités grisantes, intenses, parfois opaques, parfois transparentes ; s’ils savent murmurer, ils peuvent exploser en un instant ; la précision n’est jamais couperet vertical ; les soli sont à tomber, avec une mention spéciale ce soir pour un hautboïste dont chaque phrase témoigne d’une sensibilité artistique, dont chaque nuance véhicule de l’émotion. Certes, le vivace du concerti grosso op.3 n.2 d’ouverture prend les musiciens à froid : erreurs de justesse, dextérité en berne, dislocation de l’ensemble. Le regard bienveillant du chef, sa tendresse même avec ses musiciens opère immédiatement l’effet d’un philtre d’amour et dès le largo suivant, le son trouve sa plénitude. Que de merveilles ensuite dans la conduite des arie et des concertos ! Tout serait à citer, mais j’aimerais garder en mémoire le legatissimo blafard du « hide me » dans la folie de Déjanire, le poignant Largo du concerto grosso op.3 n. 1, élégiaque et bouleversant, les effets à contretemps crépitants dans « dopo notte ». Attentif à chaque seconde à Marina Viotti, dans un soutien constant à tous, Mark Minkowski incarne décidément au plus haut point l’idéal de « l’honnête chef », comme les classiques aimaient à définir « l’honnête homme ».

 Laurent ARPISON
28 juin 2024

GEORG FRIEDRICH HAENDEL

Concerto grosso op. 3 n° 2
« O Jordan ! Jordan ! », air extrait d’
Esther
« All Danger disdaining », air extrait de 
Deborah
« Defend her, Heaven », air extrait de 
Theodora
Concerto grosso op. 3 n° 4
« Fair virtue », air extrait d’
Alexander Balus
« Where shall I fly », air extrait d’
Hercules
Concerto grosso op. 3 n° 1
« Crude furie », air extrait de 
Serse
« Verdi prati », air extrait d’
Alcina
« Dopo notte », air extrait d’
Ariodante
Concerto grosso op. 3 n° 5
« Ombra cara », air extrait de 
Radamisto


Bis

Duo “Una guerra ho dentro il seno” extrait d’Apollo e Dafne avec Christian Zaremba
« Where shall I fly », air extrait d’Hercules
Réorchestration du « Gimme ! Gimme ! Gimme ! » de ABBA
« Dopo notte », air extrait d’Ariodante (reprise)

Marina Viotti, mezzo-soprano
Marc Minkowski, direction musicale
Les Musiciens du Louvre

 

Ce programme sera diffusé prochainement sur Mezzo
Ce programme sera diffusé mardi 2 juillet à 20h sur medici.tv, disponible en replay
Prochainement sur TCE Live

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