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L’affaire des métronomes tchétchènes

L’affaire des métronomes tchétchènes

vendredi 21 juin 2024

Un métronome – D. R.

En cette journée de la Fête de la Musique, voici quelques observations relatives à une partie du monde où les critères régissant cet art divergent des nôtres. Une plongée dans un univers éloigné de l’appartenance à la grande tradition de la musique savante.

Nous vivons actuellement des temps à tout le moins troublés. Mais comme le disent les sages de notre corporation, la musique est un sujet beaucoup trop sérieux pour la laisser aux mains d’individus n’en étant pas des spécialistes aguerris depuis des décennies. L’actualité le rappelle de manière nette. Ami de Vladimir Poutine et personnage autant épais qu’encombrant, le « guide » de la République tchétchène – Ramzan Kadyrov (*1976) – ne fait pas seulement réaliser sur mesure ses vêtements guerriers par de grands couturiers italiens. Il a aussi récemment donné l’ordre de légiférer pour que la musique jouée dans ce pays constitutif de la Fédération de Russie le soit entre 80 et 116 battements métronomiques à la minute (BPM).

Une pareille intrusion dans un domaine où Kadyrov n’a aucune légitimité rappelle que, au cours de son unique septennat, Valéry Giscard d’Estaing avait prescrit que La Marseillaise soit exécutée avec un métronome lent. Quand on sait que la France est un pays tout sauf musicien, cette instruction présidentielle suscite un souvenir amusé. Depuis, une majorité d’individus non convenablement formés s’est mise à s’adonner à un inquiétant dérapage. On prend désormais un terme pour un autre ; on se targue de notions n’ayant jamais été assimilées ; on se vautre dans la confusion ; on déguste un salmigondis de termes employés mal à propos. Bref, un amas d’illettrisme en matière musicale est devenu envahissant. Pour preuve, un article paru récemment dans un magazine en ligne. Le catalogue de contresens contenus par celui-ci a suscité l’amusement d’éminents spécialistes germaniques et anglo-saxons. On y confond allégrement le rythme avec le tempo, les pulsations avec la dynamique.

Retour à la Tchétchénie. Musa Dadayev, son ministre de la Culture, considère que « l’emprunt à des cultures musicales extérieures est inadmissible. » Cette approche dénote un esprit étrange. Elle se trouve à rebrousse-poil de l’époque où l’Union Soviétique vantait l’emprunt de sources musicales polonaises, ukrainiennes, arméniennes ou géorgiennes effectué par des créateurs de l’envergure de Moussorgski, de Khatchatourian ou de Chostakovitch. De quoi s’agit-il lorsqu’il est question de « la mentalité et du sens du rythme tchétchènes » ? D’un rétrécissement caractérisé en matière de vision du monde et d’un protectionnisme douteux.

Du côté de Grozny, on préfère l’entre-soi. La nation tchétchène, forte d’un million et demi d’individus, est une terre dominée par le Croissant. Autrement dit, le choc des civilisations décrit par Samuel P. Huntington (1927-2008) s’y trouve représenté par un oukase peu éloigné des prohibitions musicales en cours dans les États-Unis des années 1920. L’Iowa avait interdit les danses inspirées par le jazz. On leur reprochait un métronome trop rapide. Ce dernier représentait une joie de vie perçue comme suspecte. Plus au sud, les élites argentines tempêtaient alors à la fois contre les étreintes du tango et leur battue métronomique. L’archevêque de Buenos-Aires était le premier à fulminer contre une discipline emblématique de la contrée portègne. Par chance, les autorités allemandes actuelles ne se comportent plus comme sous Hitler. Elles n’enrégimentent plus divers aspects de la pratique musicale. Elles laissent les groupes berlinois de musique contemporaine vivre leur vie. On l’a vu ces dernières semaines, lors de la célébration du 90ème anniversaire du compositeur Ernstalbrecht Stiebler (*1934), publié par prestigieuse maison milanaise Ricordi.

En tout cas, Johann Nepomuk Maelzel (1772-1838), ayant breveté le métronome en 1815, appartient au patrimoine scientifique et musical mondial. Sa notoriété est parvenue en Tchétchénie peuplée d’êtres farouches depuis des siècles. Au temps où je fréquentais l’Institut national des langues et civilisations orientales, les cours d’histoire russe attiraient l’attention des étudiants sur cette particularité. Une précision conclusive : le présent texte n’a aucune signification politique. Il ne se rapporte pas à la période électorale en cours. Il est un simple constat.

Dr. Philippe Olivier

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