Logo-Resonances-Lyriques
Menu
Auditorium Maurice Ravel – Orchestre National de Lyon : Holmès, Saint-Saëns & Berlioz

Auditorium Maurice Ravel – Orchestre National de Lyon : Holmès, Saint-Saëns & Berlioz

samedi 15 juin 2024

©Julien Mignot

Ne manquons pas de mentionner à nouveau le fait, tant nous en savourons invariablement la teneur. L’ultime concert à grands effectifs proposé en cette clôture de saison séduit par sa cohérence. Avant une seconde partie consacrée au Titan du XIXème siècle français Hector Berlioz, programmer des œuvres de Camille Saint-Saëns – qui fut son disciple le plus direct avec Édouard Lalo – et d’Augusta Holmès, (que le compositeur de Samson & Dalila demanda vainement en mariage !), relève d’une logique aussi imparable qu’admirable. Mieux : aucune sensation hétéroclite n’affleure dans cette judicieuse autant qu’instructive juxtaposition. Le public découvre, apprécie et vibre alternativement, réceptif à une subtile offrande didactique.

Nikolaj Szeps Znaider dirigeant lONL © Nicolas Auproux 049
©Nicolas Auproux

Un univers envoûtant, situé entre Wagner et Massenet, où l’influence berliozienne s’impose

Née en 1847 à Paris d’un père irlandais et d’une mère anglaise, Augusta Holmès (patronyme initial francisé de Holmes) reste la compositrice française la plus renommée de sa génération. Fière, libre en comportement, énergique et dotée d’une solide personnalité, elle devient rien moins que la filleule d’Alfred de Vigny, la maîtresse officielle de Catulle Mendès dont elle a cinq enfants et l’inspiratrice pour maints écrivains, sculpteurs, peintres et compositeurs, en particulier César Franck qui nourrit à son endroit une amitié amoureuse refoulée. Bravant les normes médiocres et autres interdits du temps, elle réussit à s’imposer avec bravoure, recevant des commandes officielles et voyant triompher ses œuvres à plusieurs reprises. Après son décès en 1903, le debussysme s’ingénie à l’occulter au point qu’elle sombre dans un navrant oubli. En 1988 sa réévaluation débute, par l’édition en France d’une biographie signée par Gérard Gefen : Augusta Holmès l’outrancière, chez Belfond ; suivie, en 1993, par la parution d’un CD réalisé par le label Naxos avec Samuel Friedmann et Patrick Davin dirigeant le Deutsche Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz. Malgré la fascination exercée auprès de notre milieu musicologique, la majorité des programmateurs s’obstinent pourtant à bouder un legs considérable. En partie grâce au Palazzetto Bru Zane, la situation commence à s’améliorer.

Ce soir, Nikolaj Szeps-Znaider ouvre son programme avec La Nuit & l’Amour, interlude prélevé dans l’ode symphonique Ludus pro patria de 1888. Restituées avec soin, ces pages font figure d’une mise en bouche qui ne parvient pas à combler l’appétit. Voilà maintenant trente ans que nous attendons ici l’exécution des partitions amples et puissantes d’Holmès, au premier chef son poème symphonique Irlande, dont le contenu politique revendicatif ou la robustesse effrayent les âmes simples. Parmi nos confrères, certains se croient obligés d’user du qualificatif “pompier”, simplement parce qu’ils n’apprécient pas tant d’héroïsme venant d’une femme. La Nuit & l’Amour doit les rassurer par sa pondération, tant s’y déploient les courbes ensorcelantes d’un univers envoûtant, situé quelque part entre Wagner et Massenet, où l’influence berliozienne s’impose (la Scène d’amour de Roméo & Juliette paraît son plus inévitable modèle). Szeps-Znaider en livre une lecture inspirée car il y croit. Cela se voit !

Photographie Marie Ange Nguci © Caroline Doutre
© Caroline Doutre

Le chef sertit le rubis de sa partenaire au cœur d’un diadème fait de l’or le plus pur

Suscité par le compositeur russe Anton Rubinstein lors d’un séjour parisien, le 2ème Concerto pour piano en sol mineur Opus 22 fut conçu en un délai record par Saint-Saëns en 1868. Indéniablement attrayant, il demeure le plus joué des cinq laissés par le maître, juste avant le N°5 en Fa Majeur Opus 103 “Égyptien”, reléguant injustement dans l’ombre les trois autres, notamment le N°3 en Mi bémol Majeur Opus 29, très lisztien, dont nous persistons à proclamer la grandeur et, sauf erreur, absent des affiches de l’Auditorium depuis 40 ans.

Après un récital très prisé en février 2023, Marie-Ange Nguci remplaça au pied-levé Maria João Pires en décembre dernier, nous subjuguant dans le Concerto N°4 de Beethoven. Avec une compréhension intime des intentions de Saint-Saëns, la juvénile pianiste franco-albanaise dose superbement la gestion des climats, entre finesse et volition, nous agrippant en l’espace de quelques mesures. Tel un orfèvre, le chef sertit le rubis de sa partenaire au cœur d’un diadème orchestral fait de l’or le plus pur. Jamais la texture symphonique ne se trouve négligée, la mise en exergue des motifs saisit. Faisant corps avec son instrument, la soliste s’adonne à un hédonisme sonore toujours poétique, jusque dans les sections cadentielles. Nous apprécions son refus de toute précipitation dans la conclusion de l’Andante sostenuto initial, souvent transformée en exhibition de vélocité par la plupart de ses confrères masculins.

L’antigravité atteinte dans l’Allegro scherzando central donne furieusement envie d’entendre nos artistes dans les concertos de Mendelssohn. Toujours aussi précis, le jeu de Nguci a gagné en étoffe tout en préservant son touché velouté immanent dans les segments les plus nuancés.

Constats confirmés dans un Presto conclusif submergé d’inspiration, suscitant un extatique enivrement que viennent consacrer moult justes acclamations. Après cette souveraine transcendance, deux bis sont offerts. Si le premier (Ravel) ne suscite plus la surprise, loué soit le second ! Car, jouer une page aussi délaissée que Les Cloches de Las Palmas extraites des Études Opus 111 publiées par Saint-Saëns en 1899 constitue une initiative… de salut public !

LONL devant lAuditorium Maurice Ravel © Frederic Stucin Julien Mignot 1
L’ONL devant l’Auditorium Maurice Ravel © Frédéric Stucin & Julien Mignot

Plus investie qu’habitée, cette conception ne laisse guère place à l’émotion pure

Aucun directeur musical de l’ONL n’évite le rituel consistant à se colleter avec la Symphonie Fantastique d’Hector Berlioz. Tous, depuis Serge Baudo, offrirent leurs visions personnelles, contrastées mais toujours passionnantes. Une seule fois, un chef invité superficiel massacra ce glorieux manifeste, soit pile pour le bicentenaire du compositeur en 2003… Un comble !

Nous étions donc curieux d’entendre Nikolaj Szeps-Znaider dans cet emblématique Opus 14, inusable mais terriblement exigeant – techniquement ou en domination du sujet – musique à programme éminemment autobiographique aux multiples implications et références littéraires.

Après un incipit très retenu, quasi timide, les premiers traits en saillie des cordes ff saisissent par leur fébrile incisivité. Dans ce « Rêverie, Passions » l’onirisme cède le terrain à la fougue. L’énoncé du thème de l’Idée fixe revêt ici un caractère urgent, qui envahit l’ensemble de l’exposition. S’ensuit un développement un tantinet brouillon, qui pourrait surtout gagner en propreté. Péché véniel que la maturité corrigera. Nous en avons d’autant plus la certitude que la consolation religieuse, anticipant sur la conclusion, atteint une ineffable luminosité.

Attaque frémissante avec profusion de froissements des robes de taffetas pour « Un bal », prélude à une valse elle aussi lancée sur un tempo soutenu mais qui pâtit d’un léger déficit question mystère. En sus, nous maintenons que l’effectif de quatre harpes – estimé idéal par l’auteur – reste préférable aux deux dont on se contente ici, comme souvent. Ceci posé, le tourbillon annonçant la fin du mouvement atteint une allure étourdissante, presque convulsive.

L’avantage majeur dans cette vision globalement exacerbée se vérifie dans la « Scène aux champs » qui ne s’étiole pas, fait rare chez les chefs n’ayant pas dépassé la cinquantaine. Le nôtre a-t-il écouté Boulez, exemplaire dans ce tableau agreste ? Outre le chant opulent des violoncelles, louons l’échange spatialisé plateau / salle accompli entre hautbois et cor anglais solos, superlativement tenus par Clarisse Moreau et Éloi Huscenot. Et quelles opulentes contrebasses ! Reste que, plus investie (telle une place-forte !) que foncièrement habitée, cette conception du chef ne laisse guère place à l’émotion pure. Pour mieux dire, l’on se sent saisi mais pas troublé. Les prestations des quatre timbaliers provoquent d’ailleurs une réaction très physique. Admettons que cela vaut toujours mieux que verser dans le pathos anémié.

La « Marche au supplice » – malheureusement sans sa reprise – confirme cette surexposition de la percussion (ici écrasante). Le chef fait tonner ses cuivres mais, Dieu merci, toujours avec noblesse. De toute évidence, il affectionne les aspects les plus spectaculaires chez Berlioz, ce dont nous allons avoir, aussitôt, l’évidente confirmation.

Pour le « Songe d’une nuit de sabbat », tout concourt à la démesure contrôlée : clarinette en mi bémol totalement délirante, intrépidement tenue par Nans Moreau ; motif du Dies irae emphatique à souhait servi par des cuivres monstrueux, Guillaume Dionnet au tuba en tête ; couleurs démoniaques obtenues des bois, donnant le frisson dans le Finale ; section des cordes staccato Col legno acérée. Suit une conclusion apocalyptique anticipant sur… une certaine « Course à l’abîme ». Tout cela conduit à penser que, sous réserve d’un apport majoré en sensibilité dans sa relation spécifique avec Berlioz, Nikolaj Szeps-Znaider nous doit La Damnation de Faust, voire Benvenuto Cellini !

Patrick FAVRE-TISSOT-BONVOISIN
15 Juin 2024.

Imprimer
Cookies
Nous utilisons des cookies. Vous pouvez configurer ou refuser les cookies dans votre navigateur. Vous pouvez aussi accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton « Accepter tous les cookies ». Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre Politique de confidentialité et des cookies.