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Kornél Mundruczó met en scène une Tosca pasolinienne et résolument politique au Théâtre national de Munich

Kornél Mundruczó met en scène une Tosca pasolinienne et résolument politique au Théâtre national de Munich

lundi 3 juin 2024

Crédit photographique © Wilfried Hösl  

Un décor inspiré du film de Pasolini

Le metteur en scène hongrois Kornél Mundruczó a interprété la Tosca de Puccini de manière résolument politique. Il se sent personnellement concerné par les relations complexes qu’entretiennent un pouvoir autoritaire voire totalitaire et la liberté d’expression et de création artistiques qui, tout en cherchant à préserver son indépendance, est à la fois en recherche de moyens financiers pour soutenir ses productions. En Hongrie, “la liberté et l’indépendance de l’art sont devenues une illusion” affirme Mundruczó qui apprécie ses engagements à l’étranger, et qui, lorsqu’il travaille dans son pays natal, s’arrange pour ne pas avoir à dépendre du financement de l’État.

Pour sa Tosca, Mundruczó a cherché à créer une mise en situation de plus grande proximité, avec laquelle le public puisse encore ressentir un lien direct, afin d’exprimer la relation problématique entre le pouvoir et la création artistique. Il a cru la trouver dans la personne et les films de Pier Paolo Pasolini et a déplacé l’action dans l’Italie des années 1970, fusionnant le personnage du cinéaste avec celui du peintre Cavaradossi. 

Au premier acte, on assiste au tournage de scènes de Salò ou les 120 Journées de Sodome (Salò o le centoventi giornate di Sodoma), le dernier film du cinéaste qui mourut assassiné le 2 novembre 1975, moins de deux mois avant sa sortie en salle à Rome. L’action du film commence à Salò, sur le lac de Garde, où fut installé Mussolini en septembre 1943 par les nazis qui venaient de le libérer. Quatre notables ont fait capturer des adolescents et leur font endurer manipulation, maltraitance, torture, domination sexuelle et mentale. 

Dans le premier tableau de la mise en abyme de Mundruczó, Pasolini filme une scène de torture des adolescents dénudés, des jets de peinture rouge figurant le dégoulinement du sang des blessures infligées. Les tortionnaires forcent les blessés à se coller à de grandes toiles blanches qui recueillent les empreintes des corps ensanglantés. La scène est encombrée de malles métalliques et de tripodes porteurs de projecteurs. Jusqu’à la scène finale, le metteur en scène fera un usage abondant de la peinture hémoglobine, le sang gicle souvent et en abondance.

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© Wilfried Hösl  

Tout au long de l’action, Mondruczó superpose et entremêle plusieurs strates de l’histoire italienne : celle, bien sûr, de l’opéra de Puccini dont l’action se déroule dans la Rome de juin 1880 et de la bataille de Marengo, l’époque de la République de Salò (1943) et les années 1970 jusqu’à la mort de Pasolini, avec également l’évocation de la naissance des brigades rouges. À cela vient encore s’ajouter l’histoire de la relation de Pasolini et de Maria Callas, cette dernière inspirant également la composition du personnage de Tosca. Un des meilleurs moments de la mise en scène est celui du prélude instrumental, avec la voix off du berger, qui ouvre le troisième acte avec sur un rideau d’avant-scène la diffusion d’un extrait muet d’un des plus beaux films de Pasolini, Mamma Roma, avec des gros plans sur l’inoubliable Anna Magnani. Le “E lucevan le stelle”, le dernier grand air de Cavaradossi qui précède son assassinat, est accompagné par une projection multi-écrans d’autres extraits de films : Médée, avec Maria Callas, Théorème avec Silvana Mangano et encore Mamma Roma avec Anna Magnani. Alors que dans sa romance, Cavaradossi ravive une dernière fois les souvenirs heureux de son bonheur avec Tosca, son double Pasolini en fait de même en passant en revue des scènes de ses meilleurs films. Le parallèle de leur double assassinat est patent.

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© Wilfried Hösl  

Les décors de Monika Pormale oblitèrent toute référence à la Rome du livret : ni château Saint-Ange, ni palais Farnèse, mais une villa art déco des années 1930 avec un énorme luminaire, puis un luxe bourgeois clinquant pour le salon de Scarpia, qui s’est offert une odalisque de Modigliani, enfin une salle de torture entièrement vitrée. Le salon glisse de l’arrière à l’avant-scène pour ensuite s’élever vers les cintres en surplomb de la salle de torture.

Sans doute, les passionnés de l’œuvre de Pasolini y trouveront-ils leur compte, mais la profusion des références et le doublage des personnages principaux (Cavaradossi/Pasolini, Tosca/Callas, Angelotti/terroriste des Brigades rouges) ont pour effet de noyer l’action de la Tosca de Puccini et de diluer le resserrement de l’intrigue, au point que la musique et le chant passent à l’arrière-plan. La magie attendue reste absente, malgré un plateau exceptionnel. Le chef Andrea Battistoni et l’orchestre livrent certes de la belle ouvrage, un travail tout en puissance mais sans transcendance, l’émotion n’est pas au rendez-vous, à l’exception notable du troisième acte.

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© Wilfried Hösl  

La soprano lyrique italienne Eleonora Burrato fait au Bayerische Staatsoper des débuts très acclamés en Tosca. Une voix très mélodieuse dotée d’un médium ample et solide, puissante et corsée, des facilités dans l’aigu et de belles descentes dans le grave. Elle excelle dans les expressions émotionnelles dans le duo avec Cavaradossi, passant de la jalousie irritée à la douceur amoureuse. Elle rend admirablement les variations dramatiques de la scène du deuxième acte, la colère, le dévouement et l’espoir. Son contrôle de la respiration est tout à fait remarquable, il l’assiste dans la montée vers des notes hautes et va crescendo jusqu’à l’explosion en fin de scène. Pour le “Vissi d’arte”, le metteur en scène lui concède heureusement l’avant-scène, la voix d’Eleonora Burrato est lumineuse et touche l’âme. Les applaudissements fusent. Bravissima ! Charles Castronovo, qui fait lui aussi sa prise de rôle, tout en donnant une prestation de belle tenue, n’a ni la puissance ni l’ampleur dramatique qu’exige le rôle de Cavaradossi. Luca Salsi, arrivé en remplacement de Ludovic Tézier, utilise son physique imposant et la puissance de son baryton pour jouer l’infâme Scarpia. Il interprète avec brio la bigoterie hypocrite et l’avidité libidineuse du personnage le plus exécrable de l’histoire de l’opéra.

Tosca est tenu pour le plus politique des opéras de Puccini, mais le propos de son livret reste sobre sur le sujet et s’intéresse encore davantage à la romance et à la terrible violence que subissent les protagonistes. La mise en scène de  Kornél Mundruczó nous paraît tomber dans le travers du théâtre d’idées. La noblesse de l’idée défendue n’est pas en cause et nous y adhérons pleinement, mais le livret en rend très précisément compte, et il n’est pas besoin de le compléter ou de le détourner pour ajouter à la démonstration.

Luc-Henri ROGER

Distribution du 3 juin 2024

Direction musicale Andrea Battistoni

Mise en scène Kornél Mundruczó
Décors et costumes Monika Pormale

Lumières Felice Ross
Vidéo Rūdolfs Baltiņš
Chœurs Christoph Heil
Dramaturgie Kata Wéber / Malte Krasting

Floria Tosca Eleonora Buratto
Mario Cavaradossi Charles Castronovo
Baron Scarpia Luca Salsi
Cesare Angelotti Milan Siljanov
Le sacristain Martin Snell
Spoletta Tansel Akzeybek
Sciarrone Christian Rieger

Un gardien de prison Paweł Horodyski

Soliste(s) du Tölzer Knabenchor
Orchestre national de Bavière
Chœur de l’Opéra d’État de Bavière
Chœur d’enfants de l’Opéra d’État de Bavière
Münchner Knabenchor

La première du 20 mai peut s’écouter sur BR KLassik : https://www.br-klassik.de/programm/radi … 85390.html avec Ludovic Tézier en Scarpia

Crédit photographique © Wilfried Hösl  

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