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SIR SIMON RATTLE / SCHÖNBERG / GURRELIEDER / ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE LA RADIO BAVAROISE

SIR SIMON RATTLE / SCHÖNBERG / GURRELIEDER / ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE LA RADIO BAVAROISE

samedi 20 avril 2024

©BR/ Astrid Ackermann

Pour cette soirée spéciale de gala, célébrant les 75 ans de l’Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise, le nouveau chef titulaire depuis 2023, Sir Simon Rattle, a choisi une œuvre rare, qui exige un déploiement orchestral et vocal impressionnant : les Gurrelieder de Schönberg, choix d’autant plus important que cette œuvre monumentale n’a été interprétée que trois fois dans l’histoire de l’orchestre munichois : en 1965 sous la direction de Rafael Kubelík, en 1988 avec Zubin Mehta et en 2009 avec Mariss Jansons (pour le 60e anniversaire du BRSO).

Sir Simon Rattle connaît bien les Gurrelieder, une partition qui le fascine depuis son plus jeune âge, dont il a laissé un témoignage intéressant au disque avec le Philharmonique de Berlin, une œuvre qu’il qualifie lui-même de « sexy, élégante et sensuelle ». Tel est justement le point fort de la soirée : une direction captivante, intelligente, habitée. Loin des charmes envoûtants d’une direction à la Chailly, qui flattait avec gourmandise un RCO capiteux et enjôleur à souhait, en février dernier pour les 100 ans de la mort de Schönberg, Rattle dessine une épure au fusain sous la forme d’un conte tragique. Est-ce le noir Pierre Soulages de l’Isarphilharmonie et du costume de Rattle ou une objective perception ? Toujours est-il que la fin de la première partie, dévastée et tragique, avec sa marche funèbre, apparaît comme le pendant de la 6e de Mahler : noir c’est noir… Acérée et dynamique, toujours cohérente et maîtrisée, sa vision, passionnante de bout en bout, est résolument tournée vers la modernité atonale de l’Ecole de Vienne et plus d’une fois l’on se prend à entendre le Schönberg de la Symphonie de chambre ou le Webern des Six pièces pour orchestre, dans leur complexité d’écriture et leur densité.

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©BR/ Astrid Ackermann

Mais Rattle dirige aussi une sorte d’opéra miniature et l’on distingue à maintes reprises les emprunts littéraux à Wagner (« la chevauchée des Walkyries » lors de la 2e partie), des échos de Tannhäuser, et même, plus inattendues et frappantes, des parentés pucciniennes (Tosca !), notamment lorsque le chœur fantomatique dialogue avec un orchestre démantibulé tout aussi spectral : Rattle connaît bien son répertoire et il sait combien la complexité de l’écriture de Puccini doit aux méandres et aux audaces harmoniques de Schönberg. En somme, on sent le chef d’opéra à l’œuvre ici. Rattle se montre assez sage et étonnamment sobre dans la partie la plus « wagnérienne » des Gurrelieder. Les passages les plus aboutis de ce point de vue arrivent après la 2e partie, qui se révèle jubilatoire, presque expérimentale, avec un vrai talent pour mettre en valeur les audaces harmoniques. Les chœurs sont impressionnants, tant dans la diction que dans les nuances, et Rattle une fois encore, se montre exemplaire dans sa capacité à alléger les textures sans jamais s’embourber dans le piège de l’œuvre grandiose misant sur ses seuls effets spectaculaires.

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©BR/ Astrid Ackermann

On ne peut hélas être aussi dithyrambique pour ce qui concerne la distribution vocale, très inégale. Dorothea Röschmann, a bien une voix chaleureuse mais peut-être trop discrète pour le rôle de Tove, qui réclame une soprano lyrique avec une clarté brillante et la capacité de soutenir de longues lignes mélodiques tout en dépeignant l’intensité de l’amour romantique. Nous en étions un peu loin, dans une approche distanciée, là où l’on pourrait attendre un tempérament vocal d’Isolde. Jamie Barton, dont l’intensité conviendrait davantage à Verdi qu’à Schönberg, a su tirer son épingle du jeu en Waldtaube avec une voix profonde et riche. Il y manquait peut-être l’incarnation et la cruauté. Simon O’Neill, avec son timbre de ténor caractéristique, n’a pas su rendre toute l’étendue émotionnelle requise pour le rôle de Waldemar, mais, circonstances atténuantes, il remplaçait au pied levé Stuart Skelton. Sa voix est très souvent recouverte par les tumultes orchestraux, par ailleurs réverbérés par l’acoustique un peu trop sèche de l’Isarphilharmonie. Il nous faudrait une voix de ténor héroïque (« Heldentenor ») avec une grande puissance et un timbre riche, capable de projeter au-dessus d’un grand orchestre sans perdre en nuances expressives. On rêverait d’entendre Jonas Kaufman dans ce rôle. Josef Wagner en Paysan semble un peu égaré mais le rôle n’est pas crucial, fort heureusement. Les deux grandes stars de la soirée, à n’en pas douter, furent Peter Hoare en Bouffon, truculent : diction, sens du texte, incarnation charismatique, nous sommes comblés, et Thomas Quasthoff, en narrateur, qui a su se distinguer par sa profondeur tant intellectuelle qu’émotionnelle. Une diction habitée, une compréhension des enjeux, une vraie présence. On tient l’un des meilleurs narrateurs !

On ne peut que célébrer en définitive un orchestre de rêve, que je suis prêt à considérer comme l’un des tout premiers au monde, une direction précise, affûtée et intelligente, un chœur détonnant, et spectaculaire mais des voix solistes inégales, voire en retrait ou inadaptées, trop submergées par un orchestre rutilant de première classe. La soirée laissera malgré tout un grand souvenir : une belle maestria sonore et une leçon de direction pour cette œuvre si difficile à distribuer. Le triomphe dans la salle permet de célébrer en beauté cet anniversaire. Le mandat de Sir Simon Rattle se présente sous les meilleurs auspices. Joyeux anniversaire à l’Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise !

Philippe Rosset,

20 avril 2024

Sir Simon Rattle Chef d’orchestre

Simon O’Neill Tenor (Waldemar)

Dorothea Röschmann Soprano (Tove)

Jamie Barton Mezzosoprano (Waldtaube)

Josef Wagner Baryton-basse (Bauer)

Peter Hoare Tenor (Klaus-Narr)

Thomas Quasthoff (Récitant) 

Chor des Bayerischen Rundfunks

MDR-Rundfunkchor Chor

Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks

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