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LA FANCIULLA DEL WEST de Giacomo PUCCINI– OPÉRA de LYON

LA FANCIULLA DEL WEST de Giacomo PUCCINI– OPÉRA de LYON

samedi 23 mars 2024

© Jean-Louis Fernandez

Moins intensément représenté à Lyon ces trente dernières années que d’autres compositeurs italiens, Puccini n’y fait, fort heureusement, pas figure de rareté. Toutefois, il s’avère troublant de constater combien certains titres de son catalogue restent encore ignorés entre Saône et Rhône. En admettant que Le Villi soit dispensable, redonner une chance à Edgar n’aurait rien d’absurde. La vertu première de Richard Brunel depuis le début de son mandat consistant à programmer des ouvrages jamais donnés dans cette maison, complimentons-le d’assurer la création locale de La Fanciulla del West… près de 114 ans après sa venue au monde ; excusez du peu ! Après cet excessivement tardif mais essentiel rattrapage, la priorité future concernant le compositeur toscan céans sera incontestablement La Rondine. Pour l’heure, examinons comment une partition servie dès 1910 par Toscanini, dirigeant rien moins que les légendaires Caruso, Emmy Destinn et Pasquale Amato, se voit enfin défendue en 2024 dans cette ville.

À défaut du respect à la lettre du livret la trame, au moins, demeure préservée et lisible

Quand un opéra mondialement connu se trouve présenté pour la toute première fois en un lieu donné, l’élémentaire bon sens – voire la naturelle courtoisie ! – consiste à en proposer une lecture avant de songer à une… relecture. Venant fort avantageusement se substituer à Barbara Wysocka initialement prévue (qui avait tant affaibli la Káťa Kabanová de Janaček l’an passé), Tatjana Gürbaca s’empare du sujet sans prétention ni arrogance. Avant toute chose, on lui sait gré de ne pas chercher à raconter une autre histoire. À défaut du respect à la lettre des lieux mentionnés par les didascalies du livret, la trame, au moins, demeure préservée et lisible.

L’image d’un ton bistre proposée au lever du rideau peut même séduire, rappelant une vieille photo dégradée évoquant la conquête de l’Ouest américain. En dépit de quelques casquettes portées à l’envers, un sentiment de juste géographie historique affleure presque. Ensuite, la direction d’acteurs, sans atteindre un niveau considérablement performant, s’avère efficiente. Ce, tout particulièrement au niveau du chœur, lequel évolue assez habilement sans effet de masse confuse. Confondants de naturel, chacun de ses membres accède à une individualité convaincante. En revanche, les handicaps surgissent rapidement sur d’autres plans.

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© Jean-Louis Fernandez

Navrante absence du rapport “intérieur / extérieur” – pourtant omniprésent dans la dramaturgie puccinienne

Plus que d’autres, certains opéras supportent très mal la suppression des lieux indiqués par les auteurs. Ainsi, le climat pittoresque du Saloon La Polka à l’Acte I ou du chalet de l’héroïne au II lestent vite l’œuvre lorsqu’ils se trouvent éradiqués. La sensation de nous trouver dans un “open space” indéfini au I, avec un vague banc-comptoir aux abords d’une mine, casse singulièrement l’ambiance. De surcroît, l’inexistence d’éléments de décor en fond de scène nuit franchement à la projection des voix vers la salle. Cette navrante absence du rapport “intérieur / extérieur” – pourtant omniprésent dans la dramaturgie puccinienne ! – atteint son comble au II, où la cabane douillette de Minnie disparaît au profit (si l’on peut dire, car il faudrait, ici, plutôt employer un antonyme !) d’une gloriette rappelant fâcheusement celle obnubilant Louis De Funès dans le film Jo de Jean Girault !!! Résultat : ce lieu étriqué, ouvert à tous vents, dépourvu du moindre objet mobilier, devient vite fâcheusement encombrant. Pire : certaines situations virent au ridicule, ne faisant que souligner les – bien réelles – faiblesses du livret conçu par Zangarini et Civinini. Il en va ainsi de la passion non consommée charnellement entre Minnie et Dick Johnson, incongruité qui, malgré le paroxysme de musique coïtale la démontrant, passe habituellement inaperçue mais prête à rire en l’espèce. Surtout lorsque Minnie, affublée d’un pyjama grotesque, en devient nunuche et que Dick Johnson (sensé normalement aller se coucher dans son coin), se drape verticalement dans une vague tenture suspendue à la gloriette. Puis, quel double contresens de voir l’héroïne vêtue d’une robe aguichante dorée lamée au I, alors que sa tenue relève d’une affligeante banalité au II.

Ne perdons pas de temps ni d’espace à énumérer tous les solécismes visuels mais relevons malgré tout la fréquente contradiction entre ce qu’exprime la partition et ce que l’on montre. Ainsi : la douloureuse section funèbre évoquant la pénible montée de Dick blessé dans le grenier, alors qu’il se trouve ici hissé dans les cintres par des cordes de chanvre. Il en va de même pour la partie de cartes, qui perd en impact car devenue trop schématique et lointaine.

D’autres éléments abscons existent. Ainsi, pêle-mêle : le pauvre Larkens qui, au lieu de rentrer dans ses foyers grâce à la collecte généreuse de ses camarades mineurs, a droit à une injection létale avant que l’on évacue son cadavre ; la peinture de guerre mode cherokee arborée par Jack Rance au III, avant sa gestique montrant son intention de suicide au rideau final, pourtant incompatible avec sa psychologie et sa morgue ; enfin, l’arrivée des mineurs au III, affublés de couvre-chefs et accoutrements qui – merci à notre confrère Hervé Casini pour sa clairvoyante suggestion ! – pourraient évoquer l’assaut du Capitole en janvier 2021 par les attardés mentaux que l’on sait. À ce propos, l’on ne serait guère troublé de voir ici la Squaw Wowkle incarnée par une interprète noire si son compagnon peau-rouge Billy Jack Rabbit ne devenait… un émigré chinois… ! Décidément, ces pauvres amérindiens, pourtant authentiques propriétaires spoliés de cette terre étasunienne (comme le soulignait, à raison, Antonín Dvořák), n’intéressent même pas le mouvement crypto-totalitaire appelé wokisme !!!

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© Jean-Louis Fernandez

Chiara Isotton miracle d’adéquation, triomphatrice incontestée de la soirée

Composante primordiale de la distribution vocale, le personnage de Minnie s’inscrit dans une typologie hybride, à mi-chemin entre le soprano grand-lyrique (pour la tendresse dispensée) et le soprano dramatique (pour la puissance et l’impact exigés dans les moments les plus intensément tragiques). Miracle d’adéquation, triomphatrice incontestée de la soirée, Chiara Isotton comble l’attente. Voix puissante, projetant bien, homogène sur toute la tessiture, affichant des registres bien soudés, la cantatrice de Vénétie impressionne de A à Z sur la totalité d’un parcours sans faille. Qu’elle nous permette un conseil bienveillant cependant : veiller à davantage alterner des emplois tels que Minnie ou Amelia du Un Ballo in maschera verdien (qu’elle interprètera bientôt à Marseille) avec des rôles moins éprouvants sur la durée.

Ténor lyrique spinto, Dick Johnson exige plus de carrure que n’en offre le probe Riccardo Massi. Loin d’un format surcalibré, on a peine à croire que ce beau ténor lyrique, adapté pour le poète Rodolfo de La Bohème, aligne ces derniers temps les engagements dans des emplois aussi lourds que Manrico, Alvaro, Radamès ou Calaf, tant il peine à exister dans le présent personnage d’aventurier ambigu et retors sur la voie de la rédemption. Privé d’une véritable insolence comme du slancio puccinien indispensable, il se contente de chanter fort joliment, avec une ligne soignée, presque trop élégante, sans jamais susciter le frisson autrefois communiqué par les Cecchele, Casellato-Lamberti, Martinucci ou Giacomini, sans parler des Corelli et Domingo. Consécutivement, le personnage revêt un caractère moins mâle, plus fragile et touchant mais, question : est-ce vraiment là ce que souhaitait le compositeur ?

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© Jean-Louis Fernandez

L’on se situe également en-deçà de l’attente en ce qui concerne Jack Rance. Sonore, bénéficiant d’une excellente articulation, le baryton Claudio Sgura campe un shérif plutôt fruste, brut de décoffrage. D’abord monochrome dans son monologue « Minnie, dalla mia casa son partito », il s’améliore au fil de ses interventions tout en conservant une tendance à couvrir excessivement les sons quand il gagnerait à les ouvrir un tantinet. En outre, un timbre un peu rocailleux le dessert autant qu’un déficit de mordant. Mais, sommes toutes, l’avantage de ces inconvénients se situe dans l’involontaire équilibre réalisé avec les limites de son rival.

La multiplicité des personnages secondaires et petits emplois constitue l’un des casse-tête récurrents pour tout directeur de casting dans La Fanciulla del West. Combien de fois avons-nous constaté des carences gênantes sur ce plan à la scène. Or, l’Opéra de Lyon réussit un quasi sans-faute sur ce point précis. Admettons que la déjà souvent appréciée mezzo-soprano Thandiswa Mpongwana ne se présente pas à son avantage dans l’écriture de Wowkle relevant, de facto, plutôt du contralto bouffe. Ceci mis à part, l’ensemble des comprimari masculins constitue une véritable constellation de pépites, étincelantes dans leurs jeux vertigineux de répliques. Les très bons Rafał Pawnuk (Ashby), Matthieu Toulouse (Sid), Ramiro Maturana (Bello), Léo Vermot-Desroches (Harry), Pete Thanapat (Larkens), Paweł Trojak (Jack Wallace), Zwakele Tshabalala (Trin), Kwang Soun Kim (Billy Jack Rabbit) et Didier Roussel (le postillon du poney express) méritent tous une citation pour leur ferveur, tandis que Allen Boxer (Sonora), Robert Lewis (Nick), Valentin Thill (Joe), Florent Karrer (Happy) et Paolo Stupenengo (José Castro) atteignent un relief singulier dans leurs remarquables interventions.

Un hédonisme sonore étonnant dans les sections chambristes ou les passages intimistes

Malgré d’éphémères flottements au début de l’acte I, les chœurs masculins trouvent vite leurs marques, atteignant même une formidable dynamique. Nous soulignons ce point à dessein, tant la complexité d’écriture – sur le plan contrapuntique autant que rythmique – exige un ensemble aguerri au-delà des normes communément admises. À ce titre, ils se surpassent dans un acte III stupéfiant, tel que jamais nous ne l’entendîmes à la scène, y compris à Covent Garden ou à la Scala, ce en faisant remonter nos souvenirs jusqu’aux années 1980 ! Quel plaisir de voir leur chef Benedict Kearns partager, au salut final, leur succès mérité en faisant perceptiblement corps avec eux.

La Fanciulla del West partage avec Turandot le rang d’opéra de chef au sein de la production puccinienne. Avec son harmonie sophistiquée, ses alliances inédites en combinaisons de timbres, ses modulations hardies, ses métamorphoses continues dans la gestion de la battue, ses flirts sur le fil du rasoir avec la dissonance, cette partition éminemment expérimentale a découragé plus d’une baguette habituée à soutenir honorablement Manon Lescaut ou Madame Butterfly. Nous avions exprimé au début de 2020 quelques réserves sur l’adéquation entre Puccini et Daniele Rustioni quand il dirigea Tosca. Indéniablement, compte-tenu des louanges nombreuses que nous lui adressons, il nous pardonnera ce constat objectif répété – dans une moindre mesure – avec La Fanciulla del West. Bruyant, passablement brutal, le prélude du I déçoit en balance phonique, les cordes se trouvant complètement écrasées par les cuivres et la percussion. Au-delà des considérations d’équilibre entre pupitres (alors que nous assistons à la 3ème) quelques problèmes de mise en place subsistent au fil de l’acte I. L’entrée de Minnie fait tout basculer, tant son leitmotiv éclatant accède alors à un relief saisissant. À compter de cet instant, Rustioni fait rutiler sa phalange dans les tutti tout en distillant un hédonisme sonore étonnant dans les sections chambristes ou les passages intimistes (la scène des cadeaux offerts à la jeune femme par les mineurs en constitue un exemple frappant). Si l’ensemble de l’orchestre poursuit le parcours en demeurant de haute tenue, la capiteuse petite harmonie remporte toutefois la palme sur cette production, concomitamment aux harpes d’une fière présence confiées à Sophie Bellanger et Rose Pollier-Meliodon. Habité au possible, le Prélude du III précède une cohérence exceptionnellement croissante, prolongée sur tout cet acte conclusif, où l’intensité affective ébranle, à n’en pas douter, jusqu’aux cœurs les plus insensibles.

Une chaleureuse ovation d’une salle bondée salue avec ardeur tous les protagonistes, tant chacun aura apporté sa pierre à un édifice suscitant une rare émotion auditive dans le finale.

Patrick FAVRE-TISSOT-BONVOISIN

 23 Mars 2024.

Réalisation :

Direction musicale : Daniele Rustioni

Chef des chœurs : Benedict Kearns

Mise en scène : Tatjana Gürbaca

Décors : Marc Weeger

Costumes : Dinah Ehm

Lumières : Stefan Bolliger

Orchestre & Chœurs de l’Opéra National de Lyon

Distribution :

Minnie : Chiara Isotton

Dick Johnson : Riccardo Massi

Jack Rance : Claudio Sgura

Wowkle : Thandiswa Mpongwana

Ashby : Rafał Pawnuk

Sonora : Allen Boxer

Nick : Robert Lewis

Sid : Matthieu Toulouse

Bello : Ramiro Maturana

Harry : Léo Vermot-Desroches

Joe : Valentin Thill

Happy : Florent Karrer

Larkens : Pete Thanapat

Jack Wallace : Paweł Trojak

Trin : Zwakele Tshabalala

José Castro : Paolo Stupenengo

Billy Jack Rabbit : Kwang Soun Kim

Un postillon : Didier Roussel.

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