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HOMMAGES À MAURIZIO POLLINI (1942-2024) ET À PÉTER EÖTVÖS (1944-2024)

HOMMAGES À MAURIZIO POLLINI (1942-2024) ET À PÉTER EÖTVÖS (1944-2024)

lundi 25 mars 2024

Maurizio Pollini – (c) Arno Sasselli

L’éminent pianiste italien et l’inventif compositeur hongrois étaient les purs produits d’une Europe culturelle en train de s’estomper de plus en plus. Retour sur leurs apports respectifs à la vie musicale internationale.

Les mauvaises nouvelles n’arrivent jamais seules. Après l’annonce du départ de ce monde de Byron Janis, on aura appris en l’espace de moins d’une semaine les disparitions du pianiste lombard Maurizio Pollini et du compositeur magyar Péter Eötvös. L’un comme l’autre étaient animés par des préoccupations artistiques et culturelles de haut niveau. Ils ne donnaient pas dans le consumérisme à outrance, l’approximation hâtive et la simplification excessive, maladies dont est atteinte la société actuelle. Le premier de ces défunts – né à Milan sous Mussolini – incarnait la part autrichienne d’une ville à l’histoire mouvementée. Qui n’a pas entendu Pollini jouer les opus 109, 110 et 111 de Beethoven n’a pas pu prendre conscience de la jonction culturelle effectuée entre les propos d’avant-garde du compositeur, le cadre viennois de sa vie et l’italianité. De même, les formateurs de Péter Eötvös avaient été éduqués à une époque où Budapest se trouvait intégré à l’Empire Austro-Hongrois. La dislocation de ce dernier suscita des désordres en rafale.

Ils déstabilisèrent l’Europe centrale et jetèrent ensuite sur les routes de l’exode des personnalités de l’envergure de Fritz Reiner, de György (Georg) Solti, de György Ligeti ou de Béla Bartók. Un autre György – de son nom de famille Kurtág – préféra rester en Hongrie. Aujourd’hui âgé de … quatre-vingt-dix-huit ans, il est désormais un compositeur de référence. Quand il naquit, Bartók était en vie. Quand il était un très jeune homme, Péter Eötvös vint au monde. La Hongrie était alors inféodée à l’Allemagne nazie. Ses dirigeants lui livreraient bientôt une population juive désespérée. Vinrent plus tard la « normalisation » à la mode soviétique de 1956, les années de plomb, l’intégration européenne du pays et le chemin à tout le moins déplaisant suivi par l’actuel gouvernement magyar. Mais Eötvös demeura aussi – malgré son succès international – en Hongrie. On lui y avait pourtant reproché jadis d’écrire de « la musique capitaliste ». Cette fidélité ne l’empêcha pas de voyager beaucoup. Il était autant connu comme chef d’orchestre que comme compositeur. Ses concerts à la tête de l’Ensemble Intercontemporain restent inoubliables.

Eötvös était un homme modeste et charmant. Evelyne Dreyfus, chargée des relations avec la presse à l’Ensemble Intercontemporain, souligne ces particularités en se remémorant leurs conversations après les répétitions de la formation alors aux mains de Pierre Boulez, le protecteur d’Eötvös. Son abondant catalogue inclut un nombre respectable de partitions lyriques. Soit une dizaine d’opéras, écrits entre 1973 et 2021. Figurent au nombre de ceux-ci Les trois sœurs d’après Tchekhov, donné en création mondiale à l’Opéra de Lyon en 1998 et repris sur nombre de scènes, dont l’Opéra d’État de Vienne. On aura garde de ne pas oublier Le Balcon d’après Jean Genet, présenté pour la première fois au Festival d’Aix-en-Provence 2002. Comme le reste de la production d’Eötvös, ces œuvres rappellent que pour lui la musique de Bartók était « notre langue maternelle. » En outre, Eötvös se plaisait à mélanger les styles classique et populaire. Cette union constitue sa marque de fabrique.

On ne saurait en dire autant des partitions contemporaines défendues et illustrées par Maurizio Pollini. Désireux – durant les années 1970 – de changer le monde aux côtés de son ami Claudio Abbado, alors attentif aux propos radicaux du Parti Communiste Italien, le virtuose du clavier regardait très volontiers du côté de la seconde École de Vienne – pilotée par Arnold Schönberg – et des travaux d’un autre camarade, le Vénitien Luigi Nono, lui-même gendre de Schönberg. Naquit ainsi Sofferte onde serene …, partition dédiée à Pollini et à sa famille. Destinée à un piano avec bande magnétique, cette œuvre d’une quinzaine de minutes fut créée à Milan par Pollini en 1977. Quelques années plus tard, il se voua – entre autres – de manière intense au premier livre du Clavier bien tempéré de Bach, affaire de montrer que les audaces sonores et l’abstraction polyphonique la plus moderne ont des racines anciennes.

Parmi les souvenirs très précieux que j’ai de Pollini restera toujours son exécution transcendante du Premier Concerto pour piano de Brahms, donnée le 5 mai 2014 avec Daniel Barenboïm et la Staatskapelle Berlin au Konzerthaus de la capitale allemande. Six minutes d’acclamation marquèrent l’arrivée sur scène du virtuose adulé. Ensuite, le grand seigneur se mit au clavier. Le propos sonore fut d’une éloquence céleste. Pollini jouait comme personne d’autre. Tel son compatriote Carlo Maria Giulini, il rassemblait le contrepoint germanique et la plastique italienne en une synthèse laissant pantois.

Dr. Philippe Olivier

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