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LA FIN APPROCHERAIT-ELLE ?

LA FIN APPROCHERAIT-ELLE ?

dimanche 10 mars 2024

Une salle de spectacles à l’abandon – (c) René Le Coq

Réflexions dominicales sur la situation préoccupante de la musique classique vivante en France. L’arrivée à la tête des collectivités territoriales d’une génération d’élus fort indifférents à cette partie précieuse de la culture noble n’a rien de rassurant. On parle même, dans certains cas, d’éradication. Ce phénomène survient à un moment où l’argent se fait rare et où notre pays traverse des crises de plusieurs types.

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Dans son autobiographie, Plácido Domingo relate un événement urbain survenu au milieu des années 1970 alors qu’il chantait l’Otello de Verdi à la Scala de Milan. Verbatim : « Une violente manifestation se déroula à l’extérieur de théâtre, tenue par des jeunes gens protestant contre l’utilisation d’argent public pour soutenir une forme de divertissement élitiste ». Voici donc un demi-siècle. Les petits-enfants de ces manifestants sont aujourd’hui au pouvoir. Certains d’entre eux ont décidé de détruire la culture dite « bourgeoise ». L’entreprise est d’autant plus aisée que – en matière de musique – ils n’ont pas été élevés dans le goût de Beethoven, de Bach ou de Massenet. Encore moins dans celui de Boulez ou de Ligeti.

Le paradigme du changement de génération est à l’œuvre. Désormais, les théâtres lyriques de Bordeaux, de Lyon ou de Strasbourg sont menacés dans leur intégrité. Alain Perroux, le directeur général de l’Opéra national du Rhin – basé dans la capitale alsacienne – a récemment tiré la sonnette d’alarme à l’occasion d’un article paru dans Télérama. Il est d’autant plus à l’aise pour sonner de l’olifant qu’il conduira bientôt le Grand-Théâtre de Genève. Là, au moins, les opérations punitives et les restrictions budgétaires ne sont pas à l’œuvre. Toujours à Strasbourg, la vénérable institution nommée Orchestre philharmonique vit dans la crainte. En outre, le climat social du monde culturel français ne saurait être au beau fixe. Un rapport récemment établi par un cabinet indépendant spécialisé pour le compte de l’Opéra de Paris fait apparaître que – dans ses services techniques – la vie quotidienne est constituée de harcèlement, de sexisme et d’homophobies manifestes. Les conservatoires forment des instrumentistes et des chanteurs dont on se demande si les meilleurs d’entre eux auront un jour du travail. En d’autres termes, la France marche sur la tête.

Au temps de mon adolescence – à la fin des années 1960 –, il fallait souvent se déplacer à l’étranger pour bénéficier d’une offre musicale abondante et de haut niveau. Nice faisait exception dans ce paysage. J’ai eu la chance d’entendre Claudio Abbado, Karl Böhm, Herbert von Karajan ou Riccardo Muti alors que j’avais dix-sept ans. L’organisateur de ces moments inoubliables était mon oncle Paul Gérard (1921-1983). Minotier de son métier et maire de la bourgade vosgienne d’Ambacourt, il s’installait au volant de sa DS et cinglait vers Milan, Vienne, Salzbourg ou Glyndebourne. L’éventail musical de Nancy ou de Metz était insuffisante. D’où ces déplacements. Je me demande qui – parmi la jeunesse actuelle – a la chance exceptionnelle d’accompagner un membre de sa famille pour de pareilles excursions. L’une d’elles me permit de voir, à Bayreuth en 1961, Parsifal. J’avais alors neuf ans. Devra-t-on, ces prochaines années, s’absenter de la France pour vivre des événements artistiques intéressants ?

Ce paragraphe n’a rien de nostalgique. Il a pour but d’indiquer que, malgré l’existence de la Philharmonie de Paris et d’autres structures de qualité, le dispositif français en matière de musique sérieuse pourrait retrouver à moyen terme sa grande parcimonie du début des années 1970. Les jérémiades sont inutiles. Le réalisme s’impose. L’adage « gérer c’est prévoir » n’a pas été appliqué. Depuis des décennies, les responsables professionnels ont cru à des rentes de situation ad vitam aeternam. On n’a pas éprouvé la nécessité de former un nouveau public. On a trouvé étranges les actions de Stéphane Lissner quand, à la tête de l’Opéra de Paris, il a prospecté des spectateurs potentiels parmi la jeunesse des banlieues. Lissner avait même étonné François Hollande, alors président de la République. Le chef de l’État d’alors trouvait dérangeante ce genre d’initiative.

La fin approcherait-t-elle ? En 2024, les collectivités territoriales sont à bout de souffle. L’État, tenant le rôle de Ponce Pilate, refuse d’abonder les dépenses qu’elles ne peuvent plus assumer. Le modèle économique usuel est devenu obsolète. La puissance publique se dérobe. D’autres voies existent à l’état partiel. On commence à les étudier. Ainsi, la doctrine financière de l’Opéra royal de Versailles procède d’une mentalité à l’américaine. Le grand mécénat y est présent. Du côté de la Fédération des ensembles vocaux et instrumentaux spécialisés (FEVIS), on considère que l’époque des institutions permanentes approche. Indication fort significative, le président de la FEVIS est Jacques Toubon, ayant été ministre de la … Culture entre mars 1993 et mai 1995. Il considère que des formations comme les Arts Florissants, l’Orchestre Les Métamorphoses d’Amaury du Closel ou le Chœur Accentus peuvent faire aussi bien que plusieurs pachydermes aux coûts de fonctionnement considérables.

Comme la FEVIS est curieuse par nature, elle dialogue avec ses homologues de plusieurs pays étrangers. Lors d’un colloque à Berlin, elle a rencontré les responsables d’ensembles allemands indépendants. Il est apparu que le système implanté outre Rhin n’est pas – non plus parfait –, malgré une situation économique florissante. On donnera, à titre d’exemple, la fragilité de la musique contemporaine dans la capitale allemande. En dépit des actions du groupe Impuls neue Musik, Berlin est loin de disposer des ressources mises à la disposition de Paul Hindemith ou d’Arnold Schönberg voici un siècle. Une coopération internationale s’avère « plus nécessaire que jamais en ces temps de nationalisme reprenant de la vigueur ». Cependant, l’Allemagne est adepte du double discours. Elle pratique un très fort protectionnisme en faveur de ses artistes, même s’il n’est pas régi par des textes officiels. En outre, l’amitié franco-allemande a fait son temps. Les divergences entre Emmanuel Macron et le Chancelier Olaf Scholz ont pris une dimension aiguë.

Le présent état des lieux – un constat tout sauf réjouissant – montre un retard français manifeste en matière de modèles artistiques. Voici deux décennies déjà que les concerts jeune public de l’Orchestre de la Tonhalle de Zürich sont suivis de soirées dansantes avec DJ, durant jusqu’à l’aube. Pourtant, la France a des formations musicales effectuant un travail créatif. L’Ensemble Intercontemporain (EIC) s’allie à la Fondation Louis Vuitton pour que l’exposition Mark Rothko soit marquée par l’exécution d’œuvres de Morton Feldman (1926-1987) et d’Augustin Braud (*1994). L’EIC toujours travaille aussi avec l’École nationale supérieure des arts de la marionnette de Charleville-Mézières pour la réalisation d’un projet de théâtre musical, confié à la compositrice grecque Sofia Avramidou (*1988). Il relate les aventures d’Alice au pays des merveilles. En tout cas, la situation actuelle de la vie musicale française ne relève pas de ces territoires enchantés. Ces réflexions ne sont pas marquées par le catastrophisme, mais par l’inquiétude.

Dr. Philippe Olivier

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