Werther, opéra de Jules Massenet, clôt le Festival d’Automne du Festspielhaus de Baden-Baden, joliment nommé, en français « la Grande Gare ». C’est au metteur français Robert Carsen qu’est confiée la mise en scène de cette nouvelle co-production, avec l’Opéra National de Paris, du roman épistolaire de Goethe qui inspira Massenet pour la création de son opéra, donné tout d’abord, il faut le rappeler, en langue allemande à Vienne avant de devenir un classique en langue française.
L’action se déroule à Wetzlar, dans les environs de Francfort, vers 1780. Werther, un jeune poète, s’éprend de Charlotte, la fille aînée du bailli resté veuf avec ses jeunes enfants. La jeune fille remplace auprès de ses frères et sœurs sa mère disparue, à laquelle elle a promis d’épouser Albert, modèle du parfait époux. Liée par cette promesse sacrée à ses yeux, Charlotte préfère renoncer à son inclination pour Werther. Elle épouse Albert et fait promettre à Werther de s’éloigner jusqu’à Noël. Mais la séparation n’apporte aucun apaisement aux deux jeunes gens. Werther ne voit pas d’autre issue à leur impossible amour que la mort. Charlotte arrive trop tard pour le sauver. Atteint mortellement par le pistolet qu’il a emprunté à Albert, Werther meurt, apaisé, dans les bras de Charlotte qui lui avoue enfin son amour.
Le metteur en scène, Robert Carsen, a choisi de placer la littérature, l’écrit, les livres et situer toute l‘action dans une immense bibliothèque, en l’occurrence, celle de la Duchesse Anne-Amélie de Weimar. Le décor réalisé brillamment par Radu Boruzescu avec cette impressionnante bibliothèque de 4 étages où tous les rayonnages de livres sont bien rangés, aux couleurs nuancées, formant un délicat patchwork est vraiment spectaculaire et plonge le spectateur dans un univers de rêve. Le reste du décor : meubles en cuir raffinés, lampadaires élégants, échelles permettant l’accès aux rayons, tout est subtil et mis en valeur par les savants éclairages de Peter Van Praet. Quant aux figurants, presque immobiles, ils lisent tous le même livre rouge : les souffrances du jeune Werther. Au rythme des émotions, ils desserrent leurs doigts et font voler des feuillets qui tourbillonnent telle des feuilles mortes. La dernière scène est particulièrement impressionnante et dramatique : Werther mourant, est allongé sur une montagne de livres en désordre, comme sur un bûcher sans flammes. L’émoi est à son comble au vu de cet amoncellement de livres.
Que dire de la direction d’acteurs ? Avec Robert Carsen, elle est toujours signifiante, bien menée. Chaque interprète est habité par son personnage et déploie des émotions intenses, tant vocalement que scéniquement.
Quant aux costumes signés Luis F. Carvalho, ils accentuent le côté romantique des personnages : Werther héros romantique en jeans, sweat à capuche et veste en cuir, Charlotte vêtue d’une mini-robe lie de vin, Sophie avec une jupe bleue et bas assortis, Albert avec un costume élégant.
Le plateau vocal est impressionnant et exceptionnel. A commencer par Jonathan Tetelman, « ténor phénomène », avec un physique de jeune premier est un Werther idéal. Sa puissance d’émission est exceptionnelle et de plus sa prononciation du français est excellente. Il est doté des meilleurs attributs vocaux lyriques et dramatiques. Tetelman a interprété un Werther de manière très expressive, sans pathos superficiel, ajoutant des accents musicaux époustouflants à toutes ses performances. Sa voix était riche en legato dans le medium, avec des aigus éclatants. Son air « pourquoi me réveiller » a fait trembler la salle du Festspielhaus et déclenché des ovations passionnées de la part du public.
A ses côtés, Kate Lindsey campe une Charlotte d’une intensité rare (surtout dans la seconde partie), elle est à la fois envoûtante et passionnée. Son timbre est riche, d’une parfaite homogénéité, son parlando est toujours émouvant.
Elsa Benoit est une Sophie délicieuse, gaie, d’une fraîcheur juvénile, mais déjà d’une surprenante maturité.
Le baryton Nikolai Zemlianskikh interprète un Albert très sonore, mais avec un timbre peu nuancé. Il exprime toutefois toute la noblesse de caractère, mais également la jalousie d’Albert.
Les autres comprimari n’ont pas à rougir de leurs prestations : Scott Wilde dans le rôle du Bailly, Kresimir Spicer (Schmdit) et William Dazeley (Johannn).
A souligner la très belle présence des enfants à la fois bruyante et malicieuse du Cantus Juvenum de Kalrsruhe, déjà très professionnels.
A la tête du Balthasar-Neumann Orchester, le chef, désormais parisien, Thomas Hengelbrock se montre très à l’aise dans le répertoire de Massenet qu’il a peint avec des couleurs pastels et voluptueuses. Il accompagne divinement et avec beaucoup de sensibilité les chanteurs, faisant vibrer les différents pupitres avec eux.
Assurément, ce Werther de Baden-Baden nous a réconcilié avec l’Opéra, qui restera longtemps dans nos mémoires. Ce soir, il n’y avait aucune raison de désespérer des metteurs en scènes modernes (sic) d’aujourd’hui, il existe encore quelques brillants talents tel que Robert Carsen. Un immense bravo à lui !!!
Le public de Baden-Baden a réservé un accueil plus que chaleureux, fêtant à grands bruits tout particulièrement Werther, Charlotte et Sophie. Une magnifique et exceptionnelle soirée.
Marie-Thérèse Werling
.26 novembre 2023