On rendra tout d’abord hommage à Pierre Sibyl, le fondateur de cette manifestation en 1989, et qui demeura à sa tête pendant 30 ans soit jusqu’à 2020 (date de son décès intervenu en juin de cette année là). Artiste et metteur en scène reconnu et aimé du public ainsi que des artistes, il avait proposé à Aix-les-Bains un large répertoire comprenant non seulement les opérettes classiques, viennoises et modernes, mais encore des galas qui permettaient de faire notamment des incursions dans la comédie musicale qu’il affectionnait.
Audrey Gardaz, qui fut en son temps présidente d’Aix Opérette, est revenue à ses fonctions avec une équipe particulièrement motivée. C’est désormais Estelle Danvers qui assure la direction artistique du festival. Elle est fondatrice de la Compagnie Lychore dont Jean-François Vinciguerra est désormais le co-directeur artistique. Le festival rendait hommage cette année à Jacques Offenbach avec notamment une conférence par Eve Ruggieri, marraine d’honneur du 34ème festival, consacrée à Hortense Schneider la Diva d’Offenbach avec la participation de certains interprètes de La Belle Hélène. Le TriOffenbach était également au programme avec le concours d’Alexis Descharmes violoncelle solo de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, Christian-Pierre La Marca violoncelle concertiste et Loïc Richard comédien narrateur. Une autre conférence ayant pour thème Hervé le compositeur toqué (qui fut le contemporain d’Offenbach) a été présentée par Jean-François Vinciguerra, dans le cadre de cette thématique consacrée à celui que l’on surnommait « le petit Mozart des Champs-Elysées ». Enfin soulignons la brillante parenthèse à la comédie musicale sous le titre Si la comédie musicale m’était chantée avec Léovanie Raud, Julien Salvia et Cyril Kubler.
La Belle Hélène faisait l’objet de deux représentations au Théâtre du Casino Grand Cercle(1). Le fondement du décor s’appuie sur un grand mur représentant l’extérieur du temple de Jupiter à Sparte qui, réaménagé au deuxième acte, nous conduit dans les appartements royaux. On se trouve dans le palais de Ménélas plus spécialement dans la chambre d’Hélène où un énorme cygne(2) envahit quasiment toute la pièce et sur le dos duquel figure le lit de la reine surmonté d’un dôme de voilages bleus. Le troisième acte se déroule habituellement sur la plage de Nauplie mais, pour la circonstance, il s’agit d’un centre de thalassothérapie où les curistes s’adonnent à des sports divers notamment de vélo, lesquels sont bien entendu mis au goût de la Grèce antique. On sait que les œuvres d’Offenbach sont un bonheur pour les metteurs en scène qui peuvent ainsi se livrer à des transpositions et à des anachronismes pour faire des allusions facétieuses à l’actualité d’aujourd’hui. D’ailleurs Offenbach n’était-il pas le premier des « chansonniers » ayant eu l’idée de se moquer du pouvoir en place en l’occurrence celui de la cour de Napoléon III, tout en se retranchant derrière les personnages antiques afin de pouvoir s’adonner plus aisément à la critique des mœurs de son époque ? Il faut dire que dans cet opéra-bouffe tous ces dieux et déesses sont descendus de leur piédestal et se comportent très exactement comme le plus commun des mortels. Tous les dogmes bien établis sont balayés par la parodie désopilante et impertinente contenue dans le texte de Meilhac et Halévy.
Jean-François Vinciguerra, metteur en scène, a pu de surcroît laisser libre cours à son sens de l’ironie, en rajoutant de grands clins d’œil au texte et en créant des effets visuels hilarants comme l’arrivée des deux Ajax en tandem, celui d’Agamemnon sur un engin à deux roues sous forme de mini-char et en rallongeant le bras d’Hélène (qui revêt au deuxième acte une robe bordée de plumes) par la tête d’un cygne articulé qui ouvre son bec au moment où l’héroïne s’adresse à Vénus (et ce à la manière d’un ventriloque).
La reine de Sparte est selon le texte même « la plus belle femme du monde » (sa fuite avec le prince Paris sera, in fine, le fait déclencheur de la guerre de Troie). Elle est ici incarnée par la très séduisante Valentine Lemercier qui interprète le rôle-titre avec autant d’abattage que d’humour. Non seulement elle excelle dans la comédie et brûle les planches dans une Hélène sculpturale, malicieuse, élégamment dévergondée mais encore sa voix de mezzo-soprano s’épanouit parfaitement dans ce rôle lequel exige aussi un registre aigu de soprano. Son partenaire le ténor malgache Blaise Rantonina – qui fut en 2016 « Révélation classique de l’ADAMI » – dessine un malicieux Paris, d’une voix claire et suave. Olivier Grand se distingue en un Agamemnon doté d’une voix puissante, tandis qu’Alfred Bironien (Oreste), qui quelques semaines auparavant faisait partie de la distribution des Huguenots à l’Opéra de Marseille, donne toute la mesure de la fantaisie qu’il sait avec talent mettre au service du répertoire lyrique léger. Une mention spéciale doit être décernée à Thomas Morris qui campe un roi Ménélas particulièrement drôle, tandis qu’Yvan Rebeyrol est un incroyable tonitruant Achille qui exagère pour le plaisir de l’auditoire son volume vocal (effet comique garanti !) Nicolas Grumel et Thierry Mulot campent deux Ajax pittoresques tandis qu’Anaïs Suchet et Marie Gibaud déploient leur charme dans Parthenis et Léoena.
Bien entendu Jean-François Vinciguerra, outre sa mise en scène particulièrement inventive et parfaitement maîtrisée, amuse le public par ses jeux de mots, sa verve et la drôlerie de ses allusions dans un inénarrable et volubile grand augure Calchas. La direction musicale est parfaitement assurée par Bruno Conti et la chorégraphie alerte est signée par Estelle Danvers.
Christian Jarniat
24 juillet 2023
(1) Beaucoup ignorent que dans ce théâtre eût lieu la première représentation en France et en langue française de l’opéra Tristan et Isolde de Richard Wagner sous la direction de Léon Jehin
(2) N’oublions pas que selon la légende mythologique Hélène est née des amours de Léda et de Zeus qui pour mieux la séduire avait pris l’apparence d’un cygne.
Direction musicale : Bruno Conti ; Mise en scène : Jean-François Vinciguerra ; Chorégraphie : Estelle Danvers ; Chef de chœur : Olivier Guérinel ; Hélène : Valentine Lemercier ; Paris : Blaise Rantonina ; Ménelas : Thomas Morris ; Calchas : Jean-François Vinciguerra ; Agamemnon : Olivier Grand ; Oreste : Alfred Bironien ; Achille : Yvan Rebeyrol ; Ajax I : Nicolas Grumel ; Ajax II : Thierry Mulot ; Parthenis : Anaïs Suchet ; Léoena : Marie Gibaud ; Philocôme : Frédéric Duparcq.