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AUDITORIUM MAURICE RAVEL – ORCHESTRE NATIONAL DE LYON – CONCERT D’OUVERTURE : GUIRAUD / RACHMANINOV / BRUCKNER

AUDITORIUM MAURICE RAVEL – ORCHESTRE NATIONAL DE LYON – CONCERT D’OUVERTURE : GUIRAUD / RACHMANINOV / BRUCKNER

jeudi 12 octobre 2023
Nikolaï LUGANSKI© Caroline Doutre Naive/ ONL Ouverture 12 octobre 2023 © Alexandre Wallon 
Invariablement, la traditionnelle soirée d’ouverture de saison à l’Auditorium suscite une affluence considérable. Tout particulièrement – passe-temps toujours instructif – l’on y remarque la présence de politiques ou d’éminents plumitifs de la presse généraliste (tous supports confondus) qui, ensuite, brillent par leur absence au cours de la saison artistique.
Point autrement important, on sait gré aux plus récents responsables de la programmation d’avoir remis l’accent sur les commémorations. Au premier chef, Rachmaninov – pour le 150ème anniversaire de sa naissance – avant la masse de célébrations qui nous attend en 2024.
Un regret toutefois : l’absence d’œuvres d’Édouard Lalo à l’affiche. Son bicentenaire passe inaperçu, bien que nous l’ayons dûment annoncé trois ans à l’avance. Mais pourquoi fustiger cette navrante carence ici, lorsque sa ville natale, Lille, le célèbre si chichement avec "l’autre O.N.L". Ce fait navrant relevé engendre, en fin de compte, plus de tristesse que d’amertume.

Une flamboyance à la hauteur des enjeux dramatiques
En dehors de sa mission de professeur de composition au Conservatoire, Ernest Guiraud est avant tout connu pour ses travaux complémentaires, tels que : l’organisation d’une mouture viable des Contes d’Hoffmann après la mort prématurée d’Offenbach ou l’édition avec récitatifs orchestraux de la Carmen de son ami Bizet. Sinon, le compositeur reste ignoré, ses propres ouvrages demeurant des raretés absolues au concert. Rendons grâces au Palazzetto Bru-Zane, qui permet ce soir de briser cet exil, avec un enregistrement à la clef.
Frisant le poème symphonique, l’Ouverture d’Arteveld Opus 10 va au-delà de la traditionnelle pièce de concert du premier romantisme. Son contenu narratif – non explicite – est sensé peindre le destin d’un des héros de cette famille favorable à l’émancipation des Flandres au XIVème siècle. Dans la mesure où il ne nous a jamais été offert d’en déchiffrer le conducteur, bornons-nous à souligner les vertus perçues à l’écoute de cette page à l’orchestration soignée, explorant des climats variés, où diverses influences affleurent, Berlioz et Halévy en tête. Les audaces en matière de dynamiques, les oppositions frontales marquées de pupitres, la vaste palette des procédés usités, tout concourt à soutenir l’intérêt. L’implication du chef autant que la ferveur des exécutants autorise une flamboyance à la hauteur des enjeux dramatiques.

Couvert à plusieurs reprises, Luganski lutte avec bravoure contre ce magma
Une raison supplémentaire contribue à ce que l’on joue aujourd’hui à guichets fermés, dans un Auditorium bondé : le retour de Nikolaï Luganski, artiste à la fois modeste et discret, dont l’exceptionnel talent interprétatif nous a constamment séduit par le passé.
Depuis l’ère Slatkin, les opus de Rachmaninov ont surabondé dans les soirées de l’O.N.L, constamment bien servis au demeurant. Par conséquent, seule une interprétation hors normes du célèbre Concerto pour piano N°2 en ut mineur Opus 18 peut encore susciter la motivation du mélomane assidu. L’on n’y parvient pas tout à fait au niveau d’un orchestre à la texture épaisse, minérale, parfois confuse. Nikolaj Szeps-Znaider nous sert une interprétation massive façon Christian Thielemann – où les décalages ne sont pas absents de surcroît – là où l’on aurait besoin de l’implacable précision rythmique de feu Sir Georg Solti. Couvert à plusieurs reprises, Luganski lutte avec bravoure contre ce magma, réussissant même à déployer son magnétisme constant sur l’auditoire, dans une appréciable surenchère de lyrisme éperdu, d’ardente sensibilité poétique. Il atteint le sommet dans un Adagio sostenuto central ineffable, dialoguant divinement avec des bois inspirés, jusqu’à des trilles d’une puissance inhabituelle mais aptes à provoquer cet émoi physique à faire chavirer le critique le plus endurci. À partir de là, l’on se réjouit que l’alchimie opère. S’ensuit un Allegro scherzando conclusif magistral de toutes parts, rejoignant les plus légendaires interprétations, à la scène comme au disque. La pamoison n’est pas loin. Triomphe mérité pour Luganski, au terme d’un… insolite itinéraire !

Le chef parachève sa fresque sans jamais relâcher l’attention ni la tension
Anticipant d’un trimestre sur le bicentenaire d’Anton Bruckner, Nikolaj Szeps-Znaider choisit de diriger une partition par trop négligée. En effet, œuvre de transition au même titre que la future 6ème, la Symphonie N°2 en ut mineur du Maître de Saint Florian reste encore rarement jouée en raison de son écriture, couramment réputée inégale. Qui pourrait encore accréditer ce poncif ressassé après l’interprétation de ce soir ? Au même titre qu’Ilan Volkov qui assura la – fort tardive (octobre 2009 !) – création lyonnaise, Nikolaj Szeps-Znaider croit en cette composition controversée. L’incipit du Moderato initial révèle en quelques mesures une conception éminemment urgente. Foin d’alanguissements mais guère de mystère non plus. En revanche, louons une articulation franche comme un tempo soutenu. À ce titre, notons que le parcours s’accomplira en 57 minutes, rejoignant les plus rapides versions discographiques. Constat d’autant plus surprenant puisque l’on opte pour la mouture de 1877, dans l’édition critique William Carragan que, à titre de comparaison, Gerd Schaller mène en 70 minutes.
Pourtant, ce Bruckner plutôt juvénile convainc, tant le chef sait structurer l’ensemble de cette grande arche. Ici, nous retrouvons une phalange lyonnaise des meilleurs jours. Les cordes arborent leurs plus attractives moirures, avec des timbres marqués (mention spéciale pour les splendides contrebasses !). À l’inverse des tares endurées dans Rachmaninov, les plans sonores s’aèrent pour atteindre l’étagement autant que la profondeur de champ indispensables. Subsiste une réserve : l’assez fréquent travers consistant à confondre accelerando avec crescendo. Promptement repérée, la luminescence des bois constitue le plus bel atout dans l’Adagio indiqué « Feierlich etwas bewegt ». Le chef montre une vraie compréhension de cette mention expresse, aboutissant à un résultat singulièrement habité jusque dans les sections traitées en pizzicatos, rarement entendus aussi saillants. Sa conception toute en lignes claires fait presque songer à une « Pastorale » versant Bruckner, voire à une uchronique 11ème symphonie d’un Schubert qui aurait vécu très vieux. L’aspect méditatif en frise la perfection.
Fatalement, l’on attend les cuivres au tournant dans le Scherzo (fait notable, l’auteur n’en a jamais raté un seul dans tout son corpus symphonique !). Trompettes incisives sans vaine grandiloquence, trombones impétueux, cors emplis de noblesse expressive. Tous concourent à la réussite d’un chapitre-clef où cordes et bois offrent même d’inespérées couleurs viennoises.
Les mouvements conclusifs demeurent les plus ardus à réussir chez Bruckner. L’écriture par segments organistiques n’explique pas tout. L’achèvement de l’arche requiert une vision pour ainsi dire mystique. Optant pour une physionomie encore beethovénienne, le chef parachève sa fresque sans jamais relâcher l’attention ni la tension, secondé par un timbalier apollinien.
Terminons par un rappel impérieux : à l’exception de la 00, toutes les symphonies achevées par Bruckner ont été jouées à Lyon, toutes… à deux exceptions près : la N°1 "Linzer" et la N°5. Si cette dernière exige un vétéran de la baguette, d’une immense maturité, la première conviendrait idéalement à Nikolaj Szeps-Znaider. Puissent les nouveaux responsables de la programmation y songer, afin de combler, une fois pour toutes, ces invraisemblables lacunes ! Après tout, le bicentenaire de la naissance de Bruckner concerne, aussi, l’automne 2024.

Patrick FAVRE-TISSOT-BONVOISIN
12 Octobre 2023

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