Continuant sur la voie de l’éclectisme le plus radical, et à la veille d’un « Guillaume Tell » qui entraînera le public vers d’autres sommets, la programmation 2019 des Chorégies d’Orange a fait le pari audacieux d’inviter Jeff Mills, l’un des pionniers de la musique électronique, afin d’investir de ses sons techno le mur d’Auguste.
Né à Detroit en 1963, Jeff Mills est une star internationale dans son domaine, tant pour ses prestations à trois platines qui viennent mêler aux musiques électroniques le funk et la soul que pour son travail de producteur.
Les sons mixés par Mills sont, selon les spécialistes du genre, le fruit du croisement de la musique des clubs (issus eux-mêmes du Disco) et de l’expérimentation des groupes électroniques, et la plupart des titres publiés sont ainsi considérés, depuis longtemps, comme des classiques du genre techno.
Au-delà de son champ de compétences habituel, Jeff Mills, en authentique musicien, a également dépassé le simple cadre de la musique de danse et a exploré des horizons nouveaux, constamment à la recherche de nouvelles sonorités. Passionné par le 7ème Art (il déclare souvent que le film de Stanley Kubrick, « 2001, L’Odyssée de l’espace » reste pour lui une référence absolue), il a déjà eu l’occasion de collaborer avec le cinéma (composition d’une nouvelle bande-son pour le « Metropolis » de Fritz Lang) et évoquera d’ailleurs devant le public de la soirée son goût pour les mondes utopiques et futuristes ainsi que sa passion pour la science-fiction.
Si le concept du concert des Chorégies, intitulé de façon significative « Light From The Outside World », n’est pas nouveau, le compositeur ayant eu l’occasion, en 2005, de mêler ses sonorités à celles de l’Orchestre Philharmonique de Montpellier puis à célébrer le vingtième anniversaire du classement du Pont du Gard au Patrimoine mondial de l’Unesco par un concert répondant aux mêmes ambitions, il n’en demeure pas moins que la rencontre avec l’orchestre Régional Avignon-Provence aura permis de poursuivre voire d’approfondir une esthétique au sein de laquelle, même pour un non connaisseur du domaine, Jeff Mills paraît vraisemblablement particulièrement à son aise.
Devant un public enthousiaste et connaisseur, rassemblant plusieurs générations et qui s’approprie les gradins du théâtre antique en n’hésitant pas à circuler pendant le concert pour consommer quelques bières, Jeff Mills construit un monde architectural et sonore, à mi-chemin d’un héritage musical qui se situerait entre le Richard Strauss d’ « Ainsi Parlait Zarathoustra » et le John Williams de la saga « Star Wars » …. avec toute la gamme intermédiaire que cela implique puisqu’on se plaît à retrouver, tout au long des quelques 1h 20 de concert, des réminiscences de partition de Ravel, Stravinsky, Gershwin sans oublier bien évidemment des musiciens de cinéma du calibre de Bernard Herrmann, James Horner ou encore Hans Zimmer…
Très rapidement, la tension va crescendo dans le théâtre antique et le public embarque avec fièvre sur une nef spatiale qui, à l’aide de jeux de lumières toujours aussi adaptés dans ce cadre grandiose, le fait voyager dans des mondes étranges et pourtant familiers.
Les compositions au programme, comme nous l’explique à l’issue du concert Christophe Mangou, qui dirige ce concert avec maîtrise, puissance et sensibilité, sont soit des reprises réorchestrées pour l’occasion, soit des créations que Mills a imaginées pour les lieux : Curieusement, certaines nous paraissent d’une facture presque trop « classique », donnant dans un certain onirisme (nappage de cordes segmentées d’intervention de cuivres… mais le genre « Disco » n’est pas très loin non plus !) alors que d’autres, aux accents plus marqués par les percussions (marteaux , cloches…) redonnent une pulsation bienvenue, nous entraînant vers les origines tribales de la musique électronique propice, par son aspect volontairement répétitif, aux transes du public. L’auditoire, qui ne s’y trompe pas, réserve d’ailleurs un triomphe à des titres tels qu’« Utopia » ou « The Bells », sachant particulièrement bien ménager les crescendos et les entrées des divers pupitres d’un orchestre chauffé à blanc.
A la reprise, en bis, de « The Bells », de nombreux spectateurs descendent dans la fosse et dansent face à celui que l’on surnomme à juste titre « The Wizard », magicien aux manettes et triomphateur de la soirée.
Hervé Casini
Jeudi 11 juillet 2019