On avait déjà éprouvé un pur bonheur à écouter l’extraordinaire duo soprano/baryton de Marina Rebeka et Ludovic Tézier dans la magnifique Thaïs de la salle Garnier monégasque. Il est bien rare, à seulement 9 jours, d’intervalle de retrouver les mêmes joies indicibles lorsque deux voix s’unissent à nouveau pour chavirer le cœur des spectateurs. C’est la magie de l’Opéra de Monte-Carlo dirigé par un orfèvre de l’Art Lyrique, Jean-Louis Grinda qui, dans une période particulièrement troublée, a su maintenir, pour le plus grand plaisir des amateurs de musique et de chant, une saison, comme toujours exemplaire, à l’heure où la plupart des salles d’opéras et de concert de la planète sont malheureusement fermées.
Après les défections successives pour cause de maternité de la russe Olga Peretyatko et d’impossibilité de voyager de la libano-canadienne Joyce El Khoury, c’est finalement Marina Rebeka la triomphatrice de Thaïs qui partageait avec Karine Deshayes l’affiche de cet électrisant concert consacré à Rossini, Donizetti et Bellini. La soprano lettone, qui poursuit depuis 10 ans une fulgurante carrière, retrouvait donc sur la scène de l’auditorium Rainier III l’une des plus éminentes ambassadrices internationales du chant français : Karine Deshayes. Le duo final du concert « Mira,o Norma…Si, fino all’ore estreme » ( pour la circonstance bissé) venait rappeler qu’elles avaient toutes deux, en septembre 2019, triomphé dans une mémorable représentation de l’œuvre de Bellini au Capitole de Toulouse et qu’une visible complicité les unissait tout au long des duos de cette ode sublime au bel canto romantique italien.
Car de Semiramide de Rossini à Norma de Bellini c’est à un éblouissant voyage dans l’hédonisme du chant auquel nous ont conviés ces deux fabuleuses interprètes incarnant tour à tour Sémiramis, la mythique reine de Babylone, la pathétique Anne Boleyn, Jeanne Seymour partagée entre ses remords et ses sentiments ainsi que l’intransigeante Elisabeth 1ère d’Angleterre. Confrontée à l’un des airs les plus difficiles jamais écrit par Rossini (« Bel raggio lusinghier »), et sur lequel planent les ombres de monstres sacrés de Sutherland et Caballé, Karine Deshayes, faisant abstraction de toute classification de tessiture (mezzo ou soprano ?… au fond qu’importe !), démontre avant tout qu’elle est une cantatrice à la technique souveraine disposant d’une maîtrise accomplie des ornementations et d’un legato où se combinent élégance et noblesse. Charisme et tempérament animent Marina Rebeka. Dotée d’une voix longue et opulente elle dispose d’un large répertoire qui peut servir avec aisance les emplois lyriques ou dramatiques. Dans l’allure, les accents, mais aussi dans la gestique, les graves chauds et profonds et les mezza voce attaquées piano puis ensuite enflées et tenues, comment ne pas penser à Maria Callas ? La couleur du timbre comme le contrôle du souffle lui permettent de délivrer un « Vivi ingrato… » de Roberto Devereux de grande d’allure et un « Casta Diva » de Norma d’anthologie.
A la baguette Riccardo Frizza, directeur musical du Festival de Bergame et consacré meilleur chef d’orchestre de l’année 2020 aux International Opera Awards, met sa solide expérience du répertoire belcantiste acquise dans les théâtres et festivals prestigieux au service d’un somptueux Orchestre philharmonique de Monte-Carlo dont on vantera, une fois de plus, à cette occasion la virtuosité et le brio.
Christian Jarniat
Seconde représentation de ce concert exceptionnel : dimanche 7 février Auditorium Rainier III Monte-Carlo
Réservations : Téléphone : +377 98 06 28 28