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Ballet triadique d’Oskar Schlemmer au Prinzregententheater de Munich

Ballet triadique d’Oskar Schlemmer au Prinzregententheater de Munich

samedi 3 juin 2023
Crédit photographique @ Marie-Laure Briane

Succès triomphal du Ballet bavarois junior de Munich dans le Ballet triadique d’Oskar Schlemmer 
Le Bayerische Junior Ballett München vient de présenter avec un immense succès deux œuvres clés du répertoire du 20ème siècle au Prinzregententheater de Munich : Concertante de Hans van Manen et Das triadisches Ballett d’Oskar Schlemmer. L’engouement pour le spectacle a été tel que les trois représentations prévues furent très rapidement fermées à la vente et que la fondation Heinz Boll décida en dernière minute de programmer une quatrième représentation.

Fondé en 2010, le Bayerische Junior Ballett München a été la première compagnie de ballet junior en Allemagne et reste la plus grande compagnie de jeunes du pays. La création de la compagnie résulte d’un partenariat innovant entre les institutions de danse les plus importantes de Munich : le Bayerisches Staatsballett, l’Académie de ballet de l’École supérieure de musique et de théâtre de Munich et la Fondation Heinz-Bosl.  Seize jeunes danseurs prometteurs âgés de 17 à 21 ans ont pendant deux ans la possibilité d’acquérir une expérience professionnelle en faisant l’expérience de la scène. La troupe placée sous la direction d’Ivan Liška a conquis un public bien au-delà de la Bavière en tant qu’ambassadeur culturel de l’État libre de Bavière et de la ville de Munich. (Pour en savoir plus et suivre la compagnie, visitez le site de la Fondation Heinz Boll : https://heinz-bosl-stiftung.de/ ).

En guise d’ouverture dansée, le Bayerische Junior Ballett München a présenté la Concertante de Hans van Manen sur la musique expressive la Petite symphonie Concertante, que Frank Martin composa en 1945. Le danseur et chorégraphe néerlandais Hans von Manen, né en 1932, est sans aucun doute l’un des chorégraphes les plus intéressants de la scène chorégraphique de la seconde moitié du 20ème siècle et du début du 21ème. Il doit sa célébrité à son énorme musicalité et à sa brillante diversité artistique. Ses ballets traitent essentiellement de la complexité des relations humaines. ” Même si on s’aime beaucoup, on ne sait jamais ce que l’autre pense. On essaie d’avoir des égards l’un pour l’autre, mais avant même de s’en rendre compte, on a encore mal compris “, ces mots du chorégraphe expriment sans doute une des sources d’inspiration pour la conception de son ballet. Son écriture chorégraphique unique se nourrit de détails subtils qui passent trop souvent inaperçus dans la vie quotidienne. Ses ballets scintillent d’une physicalité presque électrique. Créé à l’origine en 1994 pour la Junior Company Nederlands Dans Theater II, Concertante n’a rien perdu de son charme. La beauté intemporelle des danses de groupe, des trios et des duos, ainsi que les célèbres costumes chatoyants aux longues lignes pures vertes, noires et mauves créés par Keso Dekker, collaborateur artistique de longue date de van Manen, continuent aujourd’hui comme hier d’enthousiasmer le public. L’humour et l’agressivité se retrouvent dans le Concertante de van Manen, qui génère une tension explosive dans une succession de rencontres entre quatre danseurs et quatre danseuses. 
On reste subjugué et pantois d’admiration devant l’expressivité émotionnelle et la qualité d’exécution optimale des huit danseurs et danseuses.

Le Ballet Triadique est un pur chef-d’œuvre d’époque de l’avant-garde, une œuvre jalon qui relève tant du théâtre que des arts plastiques. Oskar Schlemmer, l’un des plus grands artistes du Bauhaus, fut un artiste qui, au début du 20ème siècle, tenta de renouveler le théâtre à partir des courants clés des arts plastiques qui marquèrent l’époque. Son Ballet Triadique, sur une musique originale composée par Paul Hindemith, consiste une série inédite de créations de costumes plastiques, animés par des danseurs stylisés en figures artistiques abstraites. Chacun des costumes est le résultat d’une recherche créative approfondie sur le jeu des lignes, des formes et des couleurs. Sept des costumes originaux sont aujourd’hui exposés à la Staatsgalerie de Stuttgart. Après sa création en 1922, l’œuvre n’a été jouée que quelques fois. Elle doit sa renommée mondiale à sa première reconstitution en 1977 par le chorégraphe Gerhard Bohner, le compositeur Hans-Joachim Hespos qui composa un nouvel accompagnement sonore et la costumière Ulrike Dietrich à l’Académie des arts de Berlin. Pendant 12 ans, ce ballet a fait le tour du monde. Ensuite, les impressionnants costumes ont été mis en boîte, pour être ressortis en 2014 sous l’impulsion d’Ivan Liška et de Colleen Scott qui donnèrent une nouvelle production du ballet avec la jeune troupe du Bayerisches Junior Ballett München.

À l’époque de la création du ballet. Stuttgart était un centre d’art moderne très actif au sud de l’Allemagne. C’est ici que travaillait Hœlzel dont les doctrines furent transmises au Bauhaus par son disciple Itten et dont les élèves Schlemmer et Baumeister devinrent les représentants d’un art constructif figuratif. Leurs recherches portaient sur l’élément tectonique et sur les rapports qu’ont la figure avec l’espace d’une part, avec la loi et la surface du tableau de l’autre.
Oskar Schlemmer, né en 1887, ne fut pas seulement un peintre accompli de renommée internationale. Il s’essaya aussi avec succès au théâtre et à la danse théâtrale constructive, avec des qualités synthétiques que l’on voit mises à l’œuvre dans l’évolution de sa peinture. Schlemmer commença par créer des études figuratives abstraites en rose, argent et noir. Ce furent ensuite des constructions spatiales  avec des figures à la rigidité disciplinée. Sa manière picturale s’assouplit finalement dans des œuvres plus colorées mais toujours bien structurées, dans lesquelles il est parvenu à concilier son goût pour l’ordre, la logique et le calcul avec la vitalité et la sensualité humaines, des œuvres à la beauté confondante.
L’aventure du Ballet Triadique commença en 1912 à Stuttgart. L’ouvrage constitue une des réalisations des plus approfondies de son créateur, le résultat de dix années de recherches. Une première présentation de quelques parties du ballet eut lieu en 1915 avant la représentation de la version définitive en septembre 1922, au Landestheater de Stuttgart. À ce moment, Oskar Schlemmer était déjà une figure importante de l’école du Bauhaus : il avait été nommé par son fondateur Walter Gropius maître des formes de l’atelier de sculpture en 1920 puis directeur de théâtre.
Schlemmer donna lui-même l’explication du  titre de sa pièce chorégraphique : elle est appelée triadique en raison du nombre de trois danseurs, de la construction symphonique-architectonique de l’ensemble, constitué de trois parties et de l’unité de la danse, du costume et de la musique. Il insistait sur la particularité du costume « spatial-plastique coloré-formel » qui revêt le corps de formes géométriques et qui induit des mouvements à la fois très réglementaires et directionnels. Il en résulte une œuvre qui donne l’impression d’un constant fondu enchaîné où le dessin des gestes et des formes, d’une netteté absolue, semble se dissiper avec douceur et une sorte de neutralité consentante dans la présence presque impalpable de la couleur, qu’il s’agisse du rose, du jaune ou du noir. L’accord qui s’en dégage est le contraire d’un effet mécanique, grotesque ou désincarné. « Le Ballet Triadique, nous dit Schlemmer, badine avec la gaieté sans tomber dans le grotesque, frôle le conventionnel sans flatter ses bassesses, aspire enfin à la dématérialisation des corps sans se purifier dans l’occultisme… » Des reconstitutions de cette œuvre unique de l’histoire de la danse ont été tentées d’abord par Margaret Hasting dans un film télévisé datant de 1970, ensuite et surtout par Gerhard Bohner en septembre 1977 à l’Académie des Arts de Berlin. Bohner s’intéressa aux capacités d’adaptation du corps humain soumis aux contraintes encombrantes des costumes abstraits très volumiques et imposants conçus par Schlemmer. Après essayage, il adapta les costumes aux corps des danseurs. Le Ballet triadique fait la synthèse des avant-gardes esthétiques de l’époque : le dadaïsme, le constructivisme ou encore l’abstraction géométrique. On y retrouve aussi l’influence de Pablo Picasso et de la mécanisation, que Schlemmer décrivait comme un  « processus inexorable qui s’empare de tous les domaines de la vie et de l’art ».
Voici une traduction du commentaire que donna Oskar Schlemmer de son œuvre, exprimé dans un langage où l’on retrouve des expérimentations stylistiques typiques de l’époque  :
     LE Ballet Triadique se compose de trois parties qui constituent une construction à partir de scènes de danses conçues de façon typique et allant, du point de vue sens, de la plaisanterie au sérieux. La première est d’un burlesque gai dans une scène décorée de jaune citron, la seconde est solennelle avec une scène rose et la troisième est d’un genre mystique fantastique sur une scène noire. Les douze danses différentes dans dix-huit costumes différents sont dansées alternativement par trois personnages : deux danseurs et une danseuse. Les costumes se composent en partie de pièces d’étoffe ouatinées, en partie de formes rigides traitées en couleurs ou en métal.
En partie tir forain en partie abstraction métaphysique, mélange de sens et de ” dépourvu de sens “, soumis à un parti pris par la couleur, la forme, la nature et l’art, l’homme et la machine, l’acoustique et la mécanique. L’organisation est tout : ce qui est le plus difficile, c’est d’organiser le plus hétérogène. La grande figure verte, tout en nez, soupire vers son vis-à-vis, où 
  Une femme regarde, s’appelle Gret,
a une gueule pendante et une tête ronde
et un nez comme une trompette !

     Méta est parfaite du point de vue physique : alternativement la tête et le corps disparaissent. L’œil en arc-en-ciel brille. Les silhouettes progressent lentement : la boule blanche, jaune, rouge, bleue se promène ; la boule devient pendule, la pendule oscille : l’horloge marche. Le corps de violon, le bariolé, l’élémentaire et le « monsieur bien », le problématique, la rose, le Turc. Les corps cherchent des têtes, qui se déplacent diamétralement. Un choc, une explosion, une marche de victoire quand ils se retrouvent: l’hydrocéphale, le corps de Marie et le corps de Turc, diagonale, et le corps du ” monsieur bien “.
   Une main gigantesque impose l’arrêt — l’ange laqué s’élève et gazouille trululù… Dans tout cela se déplace fantômatiquement, dirigeant, gesticulant, téléphonant, le maître, le Spallanzani de E.T.A. Hoffmann ; mille morts se tuant eux-mêmes en succombant sous le souci pour la fonction du fonctionnel.
    Le rouleau se déroule impassible avec des carrés de couleurs flèche et signe, virgule, partie de corps, chiffre, réclame: « prend un compte-chèque postal » … Des deux côtés les signes abstraits linéaires avec une tête de laiton et corps de nickel, marquant comme un baromètre les mouvements de l’âme.
    Feu de Bengale ; Fips le Terrier fait le beau…
    Le timbre retentit. La main gigantesque — le vert, Méta, les corps… Les baromètres sont en folie, la vie tourne, un œil brille électriquement, bruits assourdissants, rouge. Le Maître, à la fin tire pour la dernière fois… — Le rideau tombe… »

La représentation donnée par le Bayerische Junior Ballett München approche de la perfection et a reçu une ovation éperdue d’un public au comble de l’émotion et de la reconnaissance. Un tel professionnalisme à l’orée de l’âge adulte promet des lendemains qui chantent tant pour ces seize artistes accomplis que pour l’avenir du ballet munichois.

Luc-Henri ROGER
3 juin 2023

Distribution

Concertante 

Chorégraphie Hans van Manen
Musique Frank Martin
Costumes Keso Dekker

Le ballet Triadique d’Oskar Schlemmer (1922)

Reconstitution et chorégraphie Gerhard Bohner
Musique Hans-Joachim Hespos
Reconstruction des costumes et nouvelle version Ulrike Dietrich
Répétition Ivan Liška et Colleen Scott
Restauration des costumes Susanne Stehle et les ateliers de l’Opéra national de Bavière
Direction technique de la production Norbert Stück
Lumières Michael Kantrowitsch

Ballet Junior Bavarois de Munich

Un projet du Tanzfonds Erbe
Coopération Bayerisches Staatsballett & Akademie der Künste, Berlin
Les costumes font partie du fonds d’archives Gerhard Bohner de l’Académie des Arts, Berlin

Interprètes du ballet : 

ELOISE ALSOP

CHIARA BACCI

LARA BIRCAK

DENISA BZHETAJ

JAMIE CONSTANCE

FLORENCE JOFFRE

SAMUEL LÓPEZ LEGASPI

LUCA MASSARA

AUGUSTE MARMUS

MARINA MATA GÓMEZ

LORIEN RAMO RUIZ

MAXINE MORALES

ANTOINE RANDON

SOREN SAKADALES

TYLER ROBINSON

ZOFIA WARA-WASOWSKA

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