Un touchant hommage d’un fils à son père entre jazz et musique classique
C’est un coup de chaud venu de la Californie qui a soufflé sur les Chorégies d’Orange emportant avec lui les notes de Jazz West Coast en cette avant-dernière soirée du festival. Kyle Eastwood nous conduit avec son quintet et l’Orchestre national Avignon-Provence dans un « road movie » musical à travers la filmographie sélective de son père Clint Eastwood. Le musicien et ses complices relèvent le défi de revisiter de grands classiques de la musique des films avec ou signés par Clint, vu par plusieurs générations, pour en proposer une interprétation nouvelle, créant le trait d’union entre la musique symphonique et le jazz.
Dès les premières secondes, une projection « Eastwood symphonic » sur le mur du théâtre antique présentant des extraits d’un dialogue entre le père et le fils donne le ton de la soirée. Clint Eastwood, ponctue son intervention d’un trait d’humour, en adressant dans un clin d’œil taquin au public un : « vous allez adorer ! ». Des anecdotes de tournage, de composition des thèmes ou des souvenirs de leurs soirées jazz partagées, ponctuent chaque intervention musicale. Ces projections apportent une compréhension au public sur le thème à venir tout en mettant en évidence la tendre complicité entre les deux hommes.
L’Orchestre national Avignon-Provence, sonorisé pour l’occasion et dirigé par Gast Waltzing, a la lourde tâche de débuter la soirée avec L’Inspecteur Harry et Magnum Force de Lalo Schifrin. Ils sont rapidement rejoints par le quintet. Les musiciens de l’Opéra d’Avignon délivrent une prestation convaincante dans Lettres d’Iwo Jima, conférant une atmosphère aux accents orientalistes (le film se déroule pendant la Guerre du Pacifique vue du côté japonais) ou encore lors de l’émouvant Sur la route de Madison, l’un des rôles les plus célèbres d’Eastwood. Le thème de L’Échange, autre film au sujet bouleversant, constitue hélas quant à lui un magma musicalement peu lisible où nous aurions apprécié une sonorisation plus travaillée.
Kyle Eastwood affiche un très large sourire dès son entrée en scène, communiquant au public sa joie de participer à cet événement. Il dirige son quintet en toute humilité de l’arrière de sa contrebasse, comme Charles Mingus avant lui. Le musicien charismatique empoigne également sa guitare basse à plusieurs reprises dans la soirée. Avec cet instrument, cet artiste hors pair communiquera aux spectateurs son amour pour les magnifiques lignes de basses présentes notamment dans la musique de Lalo Schifrin. Il est soutenu par l’excellent Chris Higginbottom à la batterie dont le sens de la rythmique est impeccable et qui insuffle également par son énergie à l’ensemble des artistes une véritable dynamique. La complicité et l’admiration entre les deux hommes, qui souvent s’attendent et échangent des regards, est enthousiasmante. Andrew McCormack brille au piano dans Impitoyable de Lennie Neihaus ou encore dans Lettres d’Iwo Jima. Quentin Collins expose magnifiquement à la trompette, avec beaucoup de sobriété et d’émotion, le thème du film La Sanction de John Williams avant d’en proposer de multiples variations. Brandon Allen alternera entre le saxophone ténor et le soprano d’un morceau à l’autre. Son interprétation de Grand Torino est particulièrement inspirée et enveloppante. Il délivre un solo magistral d’émotion et d’intensité dans Bird, rendant ainsi hommage au saxophone ténor de Charlie Parker. Cet extrait, exclusivement porté par le quintet constitue incontestablement le climax de la soirée ! Les complices nous proposent un jazz orchestral, lyrique, très inspiré des années 50-60 et toujours convaincant. La soirée se termine par un vibrant hommage à deux grands films iconiques de Sergio Leone avec Clint Eastwood : Pour une poignée de dollars et Le Bon, la brute et le truand, dont les partitions bien connues sont signées Ennio Morricone et qui viendront clôturer la soirée, lors des bis réclamés par le public.
Depuis les premiers films muets, qui étaient loin de l’être tout à fait, musique et cinéma sont restés intimement liés. Dans la famille Eastwood, ce sont deux passions également partagées. Acteurs, réalisateurs, musiciens ou compositeurs, les deux membres emblématiques de la lignée, associés à un talentueux quintet et soutenu par l’Orchestre national Avignon-Provence réussissent leur pari ! L’Eastwood Symphonic emporte le public d’Orange dans l’euphorie d’une douce nuit d’été interprétant des thèmes musicaux qui restent gravés dans nos mémoires, alors même que les images des films associés finissent par s’effacer.
Aurélie Mazenq
18 juillet 2023
Eastwood Symphonic
DIRECTION ARTISTIQUE Kyle Eastwood
DIRECTION MUSICALE ET ARRANGEMENTS Gast Waltzing
PRODUCTION EXÉCUTIVE Fred Gluzman
CONTREBASSE ET GUITARE BASSE Kyle Eastwood
PIANO Andrew McCormack
SAXOPHONE Brandon Allen
BATTERIE Chris Higginbottom
TROMPETTE Quentin Collins
