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L’Élixir d’amour : Beau comme un camion. Chorégies d’Orange en itinérance

L’Élixir d’amour : Beau comme un camion. Chorégies d’Orange en itinérance

vendredi 30 juillet 2021

Photos Ph Gromelle

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« Beau comme un camion », tel est le « slogan » imaginé pour cette initiative pour le moins inattendue des Chorégies d’Orange.
L’idée trottait apparemment dans la tête de son directeur Jean-Louis Grinda et, sans doute, l’incidence de la pandémie n’a fait que hâter cet original projet. Au regard de la structure imposante du théâtre antique avec ses 8.000 sièges et son immense plateau, voici que, par contraste, toute une production d’ opéra peut tenir dans un camion (certes un semi-remorque de 14 tonnes !) et réunir un public aussi attentif qu’enthousiaste sur la place d’un petit village comme ce fut le cas en ce 30 juillet à Carcès, charmante bourgade du Var non loin de la célèbre Abbaye du Thoronet.

Le propos est de sensibiliser un public pour grande partie néophyte à l’art lyrique en réduisant un opéra à un format d’environ 1h15 (évidemment sans entracte) et en proposant l’essentiel de l’œuvre sans en trahir toutefois l’esprit. Fort intéressant challenge de vulgarisation appliqué, pour la circonstance, à L‘Elixir d’amour de Donizetti (créé au Teatro della Canobbiana de Milan en 1832) en langue italienne contrairement à la Fille du Régiment (affiché en 1840 à l’Opéra Comique de Paris) en langue française (pour évoquer deux ouvrages à l’esprit similaire). Dans la mesure où il paraît indispensable de conserver la plus grande partie des airs, duos et ensembles dans la langue de Dante le défi consiste donc à permettre à un auditoire en partie profane de suivre sans difficultés l’action et d’y prendre plaisir. Pour ce faire, Jean-Louis Grinda a fait appel à un metteur en scène expérimenté : Adriano Sinivia qui avait proposé à l’Opéra de Monte-Carlo en 2017 son Barbier de Séville de Rossini transposé à l’époque du néo-réalisme italien dans les studios de Cinecittà. Cette production avait fait l’objet d’une reprise au théâtre antique d’Orange en 2018.

Pour l’Elixir d’amour, Adriano Sinivia et son adaptateur Arnaud Pontois-Blachère ont donc, tout en gardant les grandes lignes de l’intrigue du livret original de Felice Romani, écrit un synopsis qui place l’histoire dans les années 1970 aux États-Unis en plein mouvement hippie (cheveux longs, jeans, chemises à fleurs) qui n’aura sans doute pas échappé à ceux qui ont parfaitement connu cette époque. Les deux héroïnes féminines sont censées se livrer à un « road-movie » le long des routes de l’Amérique en ouvrant, au fil des étapes, leur bar bariolé et fluorescent aux tentures disparates et multicolores, entièrement équipé avec comptoir, frigo, canapé, tonneau, télévision, piano et autres instruments de musique comme guitare, saxo et percussions. C’est miracle de voir dans l’espace aussi restreint que celui d’un camion un décor (signé Enzo Iorio) aussi riche dans sa la profusion d’autant d’accessoires accumulés (le tout parfaitement mis en valeur par les lumières de Baptiste Longuet)

Les dialogues en français, qui remplacent de fait les récitatifs chantés, sont retravaillés et remis au goût du jour dans un langage « moderne » susceptible de capter l’attention d’un public plus jeune. La fusion avec les numéros musicaux chantés en italien est parfaitement réussie de telle sorte qu’il n’est même pas utile, pour qui que ce soit, d’avoir lu au préalable l’argument. On le répète ici c’est un processus pédagogique astucieux qui fonctionne à merveille pour rendre l’opéra accessible au plus grand nombre et y amener de nouveaux adeptes ce dont on ne peut que se réjouir.

Bien sûr, dans le contexte énoncé, cet Elixir d’amour ne peut être représenté que dans le large espace d’une place publique ce qui contraint nécessairement à sonoriser les chanteurs à la manière d’une comédie musicale. Cela peut au prime abord paraître surprenant pour les oreilles d’un mélomane puriste habitué à une toute autre acoustique. On s’y accoutume assez rapidement tant le dynamisme et la bonne humeur de la représentation finit par s’imposer d’autant que la mise en scène décapante et rythmée d’Adriano Sinivia emporte l’adhésion.

A ces points positifs s’ajoute, en outre, une distribution jeune, énergique et motivée qui a été choisie sur audition par Jean-Louis Grinda et Adriano Sinivia. Amélie Robins, habituée du théâtre antique d’Orange par ses nombreuses participations à « Musiques en Fête », est ici – comme il fallait évidemment s’y attendre – une séduisante autant que piquante Adina, par le charme, le jeu, l’abattage. C’est de surcroît une fort belle rencontre entre un rôle et une interprète à un stade de sa carrière où la couleur de la voix s’inscrit avec bonheur non seulement dans les notes aiguës – ce qui n’est évidemment pas une surprise – mais encore désormais dans l’assise d’un médium bien étoffé.
Le Dulcamara de Fabrice Alibert est épatant aussi bien sur le plan interprétatif que celui de la verve vocale. Il est vrai qu’il s’agit là d’un rôle en or ! Le personnage secondaire de Giannetta (tenu par Clara Guillon) dans la version classique devient dans cette transposition un rôle de premier plan. Elle participe aux ensembles et de surcroît lui est réservé un numéro tout particulier avec l’air de Norina de Don Pasquale ce qui nous a permis de  découvrir ce soir là une artiste qui brûle les planches mais également une soprano dotée d’une très jolie voix.

Les deux autres protagonistes masculins ne sont pas en reste. Ils se révèlent eux aussi excellents comédiens guidés par la main experte de Sinivia.
Le drôle mais aussi touchant Nemorino de Matthieu Justine, particulièrement attachant, possède une voix suffisamment corsée pour satisfaire aux exigences du rôle et le Belcore (ici officier de marine des États Unis et revenant de la guerre du Vietnam) sait parfaitement jouer de ce coté hâbleur indispensable à ce personnage de fat qui dans l’allure, la gestique, comme la voix est parfaitement cerné par Florent Karrer.
Tout ce joyeux et joli monde est accompagné avec autant d’humour, de précision et de musicalité par Aurelio Scotto pianiste de grande qualité qui joue lui aussi du travestissement et arbore une imposante crinière entièrement frisée.
Ce « beau camion » va encore sillonner les routes du sud et fera une halte prochaine à Raphèle les Arles (9 août), Monaco(11 août) (à confirmer) et Nice (13 août voir PDF joint). Certainement le public de notre région ira avec joie à sa rencontre. Il est aussi, d’ores et déjà, prévu une nouvelle tournée pour la prochaine saison estivale 2022.

Christian Jarniat
30 juillet 2021

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