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Lohengrin au festival de Bayreuth : Des problématiques soulevées et en partie solutionnées

Lohengrin au festival de Bayreuth : Des problématiques soulevées et en partie solutionnées

lundi 22 août 2022
Camilla Nylund, Petra Lang, Martin Gantner et Klaus Florian Vogt © Enrico Nawrath

Ce n’est pas sans raison que l’opéra de Richard Wagner Lohengrin a conquis le public allemand (création à Weimar en 1850), mais aussi le public français. Certes pour toutes sortes de raisons la création à Paris à l’Eden-Théâtre en 1887 voit les représentations interrompues après la première et l’arrivée de l’ouvrage en 1891 à l’Opéra est émaillée d’incidents (certains spectateurs finissant en prison !), mais très vite l’engouement succède à ces faux départs. Prenons pour exemple de cette vitalité de l’ouvrage en France les nombreuses reprises à l’Opéra de Paris des années 1950. Le théâtre présente l’ouvrage dans la traduction française de Charles Nuitter et mobilise ses forces habituelles (Berthe Monmart, Raoul Jobin, Simone Couderc, entre autres, dans les principaux rôles).
Lohengrin sera chanté en allemand en 1959 lors d’une reprise dirigée par Hans Knappertsbusch. Seront alors distribués Régine Crespin, Rita Gorr, Sandor Konya affichés à Bayreuth, mais aussi encore René Bianco, pilier du Palais Garnier. On ne compte pas les représentations en province ni les nombreuses reprises parisiennes qui allaient définitivement installer l’ouvrage allemand dans le paysage musical français. Il est intéressant de voir comment l’ouvrage est alors perçu voire compris par le public, alors que l’Opéra de Paris commémore le centième anniversaire de la naissance de Giacomo Meyerbeer.

Le premier acte ne surprend pas : un mystérieux chevalier vient délivrer Elsa, duchesse de Brabant, des accusations dont elle est accablée et confondre Friedrich von Telramund, son ennemi juré. Les spectateurs sont en terrain connu. Les voix peuvent se superposer contre toute vraisemblance et le final ne déconcerte pas l’habitué de la « Grande Boutique ». Les deux actes qui suivent vont installer sur la longueur la « catastrophe ». Manipulée par Ortrud, mariée à Telramund, Elsa va transgresser l’injonction édictée par Lohengrin de ne pas lui demander qui il est et d’où il vient. L’insistance de la jeune femme interrompt la nuit nuptiale et provoque le départ de Lohengrin appelé à rejoindre en tant que fils de Parsifal les chevaliers du Graal à Monsalvat. Gottfried, le frère d’Elsa, dont la disparition était imputée à Ortrud, réapparaît.
Cette littéralité on s’en doute a été interrogée bien avant l’actuelle production de Yuval Sharon, mais on s’en tiendra à cette dernière pour voir comment peut se construire un sens nouveau à partir d’une approche trans-historique de l’œuvre. Cette mise en scène soulève un certain nombre de problématiques et leur apporte des réponses, mais qui restent ouvertes, le metteur en scène, nuancé dans sa note d’intention, ayant d’ailleurs rejoint le spectacle en cours de route. 
 Le rapport à la scène est ambigu quand on le compare justement à ce que dit la note d’intention. Pour cette dernière Lohengrin, appuyé sur les forces du royaume de Heinrich l’Oiseleur, ne sort pas grandi de son passage sur les terres Brabançonnes. Rien ne justifie qu’il impose l’interdit de son identité. Les deux femmes, Elsa et Ortrud, apparemment en conflit, ont vite fait de se rejoindre. Elsa ouvre facilement sa porte à celle qui vient la trianguler. Ce n’est peut-être pas sans raison que, dans un pays en guerre, Ortrud ait fait disparaître le jeune frère. L’allié Telramund n’est pas en reste en provoquant Lohengrin qui devient son meurtrier. Elsa prend conscience de sa force libératrice. « Au  cœur de l’intrigue de Lohengrin, écrit le metteur en scène, figure la double libération d’Elsa. La première libération est réalisée au premier acte par le Chevalier au Cygne qui vient sauver la jeune femme de la mort et de la société du Brabant. La seconde libération, au troisième acte, est cependant bien plus importante : c’est Elsa elle-même qui se libère des attentes impossibles à satisfaire de Lohengrin.  Est-ce seulement de l’amour ? » se demande-t-elle avec un doute. Non, réalise-t-elle au moment même où elle se pose la question ».
Le sort des femmes dans l’opéra est concrétisé par cet autodafé préparé au cas où Elsa serait condamnée. Ligotée par des gaines électriques dans la chambre nuptiale orange, couleur de la passion, elle s’échappera en transmuant la couleur en costume, symbole de son émancipation. Elle ne peut néanmoins mettre cette libération en action que dans un avenir qui n’est pas écrit, mais qui se fonde sur l’irrationnel que représente le retour du prétendant au trône ressuscité. 
Le spectacle répond-il et doit-il répondre à cette thèse ? Le transformateur (métaphorique quand il devient chambre nuptiale), au centre de la dramaturgie, représente les forces de l’électricité, plus généralement de la technique. On peut comprendre dans ce monde programmé et dont le fonctionnement chaotique semble échapper à l’« électricien » Lohengrin (les lumières dues à Reinhard Traub jouent un rôle essentiel) l’opposition aux conventions rationnelles, aux normes sociétales acceptées, à la fuite en avant voulue par la machine. Mais comment alors le Récit du Graal ne serait-il pas en porte-à-faux ? Très subtilement le spectacle est beau (trop ? ), en dehors de quelques marqueurs vestimentaires un peu énigmatiques, comme les ailes de lucioles dont la noblesse est revêtue. Les décors peints et les costumes de Rosa Loy et Neo Rauch, dans les teintes de bleu, restent figuratifs dans l’évocation des lieux où est censée se dérouler l’intrigue ; nuages lourds, orages et rayons de soleil alternent. Ce visuel permet au spectateur de rejoindre la littéralité qu’imposent la musique et le texte (que Wagner ne pensait pas impossible à repenser), tout en s’ouvrant aux causes que défend la mise en scène à la fois politique et poétique de l’œuvre. Une mise en scène qui solutionne, c’est rare, et cette production semble – en partie – y parvenir. 
La distribution est en parfaite osmose avec le visuel scénique. On est toujours un peu surpris de lire des choses convenues sur le ténor Klaus Florian Vogt quand on voit l’engagement de l’artiste à chaque représentation. Le passage de la voix de poitrine à la voix mixte et aux demi-teintes impressionne et donne une couleur qui convient aussi bien au Lohengrin héroïque qu’au chevalier plus mystérieux et « hors venu » que fait la production du personnage. La soprano finlandaise Camille Nylund ne séduit pas moins tant Elsa s’impose par les inflexions d’une voix claire et articulée ; on a rarement l’occasion d’entendre une telle homogénéité des registres qui compense amplement la limite du volume qu’on pourrait lui reprocher. Le duo de l’acte III avec Klaus Florian Vogt est un immense moment de chant et de théâtre. Petra Lang même si elle fait un peu parfois « cantatrice » n’en sait pas moins trouver les accents appropriés que lui dicte son rôle de vengeresse écorchée-vive. Friederich von Telramund trouve en Martin Gantner un baryton au dramatisme intense ; la  formation dans la mélodie et l’opéra contemporain sont des atouts forts pour imposer les calculs et la noirceur du rôle, le beau chant dut-il en pâtir. A l’applaudimètre on constate sans surprise que le Roi Heinrich de Georg Zeppenfeld ne peut être égalé.
Les chœurs dirigés par Eberhard Friedrich sont splendides et la direction de Christian Thielmann exactement celle qui convient, accordée à la mise en scène à la fois réaliste, littéralement sous tension, à la fois symphonique et dramatique, faisant ressortir la beauté de l’orchestre sans négliger l’attention portée aux interprètes.
Lors de la dernière représentation de cette production de Yuval Sharon inaugurée en 2018 c’est l’ensemble des forces scéniques et musicales qui se sont présentées au public qui ne lui a pas ménagé des applaudissements longs, nourris et chaleureux.

Didier Roumilhac
22 août 2022

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