Lorsqu’on pense à Giacomo Puccini viennent immédiatement à l’esprit des titres tels que La Bohême, La Tosca ou encore Madama Butterfly qui font partie d’un répertoire couramment joué sur toutes les scènes lyriques. Il en va différemment pour Il Trittico, avant-dernier ouvrage du compositeur précédant de quelques années son testament posthume Turandot (1926).
Créé en 1918 au Metropolitan Opera de New York Il Trittico est divisé en 3 volets d’une heure chacun : Il Tabarro (La Houppelande) drame conjugal de la jalousie, Suor Angelica (Sœur Angélique) quête pathétique et désespérée d’une mère privée de son enfant et Gianni Schicchi, farce sarcastique autour d’un gisant avec de cupides héritiers se livrant à la falsification du testament. S’imposent ici l’exigence de lieux différents mais surtout celle d’une pléthorique distribution car les personnages principaux, comme secondaires (et ceux-ci ont une importance particulière) sont fort nombreux. En outre, les tessitures des protagonistes n’étant pas identiques d’un ouvrage à l’autre, il est parfois difficile d’utiliser les mêmes chanteurs. Seuls les théâtres huppés des capitales lyriques, comme les grands festivals internationaux peuvent aujourd’hui disposer des moyens pour monter ce qui ne constitue pas un seul opéra mais en fait trois.
Le Festival de Salzbourg dans son édition de l’été 2022 nous a donc proposé cette trilogie, comme on n’imaginait pas en rêver. Ce fut pour les spectateurs qui y assistaient un incroyable choc musical et théâtral et ce n’est pas sans raison qu’ils ont réservé un légitime triomphe à toutes les représentations, les critiques ayant été unanimement dithyrambiques.
Quel bonheur que de retrouver en ces lieux l’une des phalanges les plus célèbres du monde : le merveilleux Orchestre Philarmonique de Vienne, somptueux de lyrisme et dispensant de splendides sonorités sous la direction grandiose de Franz Welser-Möst ! La production a été confiée à Christof Loy, l’un des metteurs en scène les plus éminents de sa génération. Loin de certaines divagations du « Regietheater » qui défigurent certains livrets au point d’en rendre le sens incompréhensible, Christof Loy respecte l’œuvre tout en offrant de celle-ci une proposition originale, actualisée autant que passionnante. Il est parfaitement secondé dans son inspiration par le décorateur Etienne Pluss qui situe l’action de ces trois volets dans des univers clos y compris d’ailleurs pour Il Tabarro où la péniche parait « enclavée » entre les mêmes murs que la chambre mortuaire du riche Buoso Donati ou encore ceux austères du couvent dans lequel est cloîtrée, contre son gré, Sœur Angélique.
Le metteur en scène allemand y dispense une leçon de théâtre prodigieuse où tous les interprètes jouent comme des comédiens de cinéma sous l’extraordinaire « emprise » d’une direction d’acteurs emplie d’inventions et réglée au millimètre !
Habituellement les rôles de Lauretta, Giorgetta et Suor Angelica sont confiés à des cantatrices distinctes, non seulement parce que les trois héroïnes ont des profils psychologiques différents (la jeune fille amoureuse, la femme adultère inquiète en proie à la jalousie de son époux et la religieuse violemment tourmentée) mais encore parce qu’elles doivent être servies par des tessitures différentes. Hasmik Grigorian qui à Salzbourg avait incarné une remarquable Chrysothémis d’ Elektra en 2020 et dont l’éblouissante Senta de Die Fligende Holländer (Le Vaisseau fantôme) de Bayreuth en 2021 demeure dans les mémoires des festivaliers, brûle ici littéralement les planches dans sa triple incarnation. Diva aussi sublime sur le plan du chant, de l’émotion et du théâtre, tragédienne hors pair, sa “Suor Angelica”, sommet d’engagement absolu dans un rôle, bouleverse le plus insensible des auditeurs. Le triomphe qui lui est réservé à l’issue de la représentation et la longue ovation – ô combien méritée ! – qu’elle reçoit du public en dit long sur une artiste qui a accédé aujourd’hui au rare privilège d’être l’une des plus admirables interprètes de sa génération. Réunis autour d’elle, on trouve des artistes de haut niveau comme Roman Burdenko, impressionnant Michele dans Il Tabarro où se révèle également le félin Luigi du ténor mexicain Joshua Guerrero ainsi que le truculent Gianni Schicchi de Mischa Kiria. Sans pouvoir citer tous les artistes de cette abondante distribution, comment pourrait-on passer sous silence, dans l’ultime volet de cette trilogie, Karita Mattilla fascinante Zia Principessa, la confrontation entre cette dernière et Suor Angelica constituant l’un des sommets émotionnels de ce Trittico.
Ceux qui n’ont pas eu la chance de pouvoir se rendre au Festival de Salzbourg, pourront se précipiter avec la fonction « replay » de leur téléviseur sur ARTE (dans l’onglet concert) – avant que cette retransmission ne soit supprimée – et « vivre » ainsi un moment exceptionnel avec ce chef-d’œuvre (précurseur de tout le répertoire musical et lyrique « moderne ») servi par, sans doute, la plus électrisante des stars actuelles du chant. Coproduit avec l’Opéra de Paris les fervents amateurs français pourront aussi, dans un certain nombre de mois, apprécier cet extraordinaire spectacle dans notre capitale.
Christian Jarniat
https://www.arte.tv/fr/videos/110482-000-A/giacomo-puccini-il-trittico/
disponible jusqu’au 23/12/2022