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Opéra de Monte-Carlo : Cats la superbe « machine à danser » dans l’écrin de la Salle Garnier

Opéra de Monte-Carlo : Cats la superbe « machine à danser » dans l’écrin de la Salle Garnier

samedi 20 décembre 2025

Cats ©Alessandro Pinna

On ne peut que saluer l’initiative particulièrement heureuse de l’Opéra de Monte-Carlo qui, à l’occasion des fêtes de fin d’année, a su ouvrir sa saison lyrique traditionnellement consacrée aux grands titres du répertoire opératique à des comédies musicales de tout premier plan. Après Le Fantôme de l’Opéra l’an dernier, c’est Cats qui est à l’affiche cette saison : deux œuvres emblématiques signées Andrew Lloyd Webber, inscrivant avec éclat le théâtre musical au cœur de la programmation monégasque. Du 14 au 31 décembre 2025 la tournée internationale de Cats vient célébrer idéalement les fêtes de fin d’année en Principauté.

Andrew Lloyd Webber ©DR
©DR

Andrew Lloyd Webber le prolifique alchimiste du musical entre lyrisme pop et théâtre total

Andrew Lloyd Webber, l’un des compositeurs les plus prolifiques et influents de la comédie musicale, a signé une quinzaine d’œuvres majeures qui continuent à marquer durablement l’histoire du théâtre musical.
Anobli en 1992 par la Couronne britannique (titre de « Baron Lloyd-Webber »), nommé à la Chambre des Lords en 1997 et admis au sein de l’Ordre de la Jarretière la plus haute distinction honorifique britannique en 2024 son plus grand succès demeure Le Fantôme de l’Opéra à l’affiche, depuis près de 40 ans, au His Majesty’s Theatre de Londres qui a réuni environ 160 millions de spectateurs, dans plus de 60 pays, et a été traduit en 21 langues : un record absolu1.
Le compositeur a également signé des œuvres à la longévité exceptionnelle, telles que Jesus Christ Superstar, Joseph and the Amazing Technicolor Dreamcoat, Evita et Sunset Boulevard.
Enfin, cinq de ses comédies musicales ont été adaptées au cinéma, fait rare qui confirme une notoriété mondiale atteinte par très peu de compositeurs. Andrew Lloyd Webber s’impose ainsi comme l’un des piliers incontestés du spectacle musical international.
Autre partition iconique devenue phénomène mondial : Cats qui a touché près de 75 millions de spectateurs, dans 30 pays, et a été traduit en 15 langues. À eux seuls, les deux titres que sont Le Fantôme de l’Opéra et Cats ont redéfini très significativement l’échelle du succès dans le théâtre musical.

CATS
© 1981 RUG LTD

Cats, la fable chorégraphique qui a changé l’histoire de la comédie musicale

Lorsque Andrew Lloyd Webber présente Cats au New London Theatre le 11 mai 1981 (avant Broadway au Winter Garden Theatre le 7 octobre 1982) le compositeur n’imagine sans doute pas qu’il vient de bouleverser durablement la grammaire du théâtre avec un jalon significatif du « blockbuster musical » : une œuvre où l’expérience scénique (chorégraphie, images, énergie collective) prime sur le récit traditionnel.

Inspiré du recueil Old Possum’s Book of Practical Cats de T. S. Eliot (1939), l’ouvrage rompt avec la narration linéaire traditionnelle : point d’intrigue au sens classique, mais une succession de portraits d’une animalité stylisée, de « climats », de confessions chantées et dansées réunies par une cérémonie nocturne quasi rituelle. Une « revue narrative »,où chaque protagoniste apporte couleur, style, virtuosité et tempérament singulier ainsi qu’une expérience sensorielle et chorégraphique, où le mouvement s’avère moteur de dramaturgie

Cats ©Alessandro Pinna 4
Cats ©Alessandro Pinna

Une cérémonie initiatique dans un univers félin fantasmé

Une nuit, dans une décharge urbaine transfigurée par l’imaginaire, une tribu de chats, les Jellicles, se réunit pour le « Jellicle Ball ». Au fil de la nuit, chacun se présente et décrit son caractère, narre ses habitudes, égrène ses souvenirs, vante ses exploits ou déplore ses faiblesses tout en revendiquant sa singularité. À l’issue de cette cérémonie, leur patriarche Old Deuteronomy doit faire « le choix jellicle » : désigner parmi les chats celui ou celle qui pourra monter vers le « Heaviside Layer » (une forme d’au-delà), afin de renaître à une nouvelle vie.
L’arrivée de Grizabella, la chatte déchue, ancienne beauté désormais rejetée, fait basculer la fête et bouleverse l’équilibre du groupe : l’exubérance se teinte d’empathie, et l’assemblée est mise au défi d’accueillir celle qui revient de l’exil. Sa solitude, sa détresse, puis son chant de mémoire et de regret transforment la fête en méditation sur l’exclusion, le pardon et la possibilité de recommencer.

Cats s’impose depuis des décennies comme l’un des titres les plus joués de l’histoire du musical : un mythe planétaire, qui ne laisse aucun spectateur indifférent avec à son sommet, l’air « Memory », confié à Grizabella, et désormais gravé dans la mémoire collective.

Cats ©OMC Marco Borrelli 12
Cats ©OMC – Marco Borrelli

Le décor de Cats : une décharge nocturne à l’allure d’un paysage lunaire en clair obscur

Le décor imaginé par John Napier propose davantage qu’un simple cadre scénique : il constitue un véritable monde, autonome, clos sur lui-même, Dès l’ouverture, le spectateur est happé par cette décharge nocturne monumentale à l’allure d’un paysage lunaire ou d’une ville fantôme. Un capharnaüm poétique fait d’objets hétéroclites abandonnés usées, et aux couleurs patinées par le temps : pneus, poubelle, théière, boîtes de conserve, réveils, bouteilles, chaussures, carcasses de voitures et d’appareils ménagers rouillées tous démesurément agrandis, comme vus à hauteur de chat et terrain de jeu et de mémoire des Jellicles le tout accentué par un éclairage qui sculpte l’espace en clair-obscur.

Particularité notable de cette production : pour des raisons de dimension du plateau, l’orchestre ne prend pas place en fosse mais est installé derrière la scène. Cette disposition singulière modifie subtilement la perception sonore : la musique semble émerger du décor lui-même, comme si cet amas d’objets abandonnés vibrait et respirait au rythme des Jellicles Cats.

Une fresque musicale d’une grande diversité stylistique doublée d’une énergie chorégraphique permanente

Sur le plan musical, Cats s’impose comme un vaste rituel sonore. La partition d’Andrew Lloyd Webber, fondée sur une succession de portraits déploie une significative diversité de styles : ballade pop, jazz musical, music-hall, touches rock ou parodiques portées néanmoins par une écriture mélodique très reconnaissable pour qui connaît bien l’œuvre du compositeur
Le rythme constitue le véritable moteur du spectacle alimentant une énergie chorégraphique permanente, faisant de l’ensemble choral un véritable corps collectif, moteur dramatique autant que musical.
Point d’orgue du spectacle, Memory loin d’un simple air culte, offre un moment lyrique de vérité suspendue qui fait basculer l’œuvre du divertissement vers l’émotion tragique.

Cats ©Alessandro Pinna 9
Cats ©Alessandro Pinna

Le vrai protagoniste : une troupe soudée et une chorégraphie pour le temps suspendu d’une nuit partagée

Cats ne se présente pas pas comme un musical « à livret » mais comme une « cérémonie scénique chorégraphique ».
On a donc souvent dit que Cats n’avait pas d’histoire. C’est vrai… et profondément faux ! Il n’y a pas de narration linéaire, certes, mais il y a un parcours émotionnel, presque initiatique.
Les personnages sont des « types » (le patriarche, le dandy, la séductrice, le rebelle, le magicien, l’artiste vieillissant…), mais chacun doit exister avec une vérité immédiate, presque tactile. Dans cette tournée, la galerie fonctionne à plein : l’ouvrage aligne des « numéros » mais chacun d’eux ressemble à une confession en plein bal.

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Cats ©Alessandro Pinna

La chorégraphie héritière directe du travail historique de Gillian Lynne exige une discipline extrême : Ici, pas de relâchement possible : chaque interprète est visible, même silencieux, même immobile en apparence.
Ce qui frappe d’emblée, c’est la cohésion organique de la troupe. Rien n’est plaqué, rien n’est démonstratif. La chorégraphie vit dans les corps, circule avec naturel, s’ajuste au moindre frémissement collectif.
Chaque interprète existe pleinement, sans jamais chercher à s’imposer.

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Cats ©Alessandro Pinna

On attend, bien sûr, l’énergie et l’insolence électrique et provocatrice du charismatique Rum Tum Tugger (Jack Danson), la figure morale du vieux patriarche Deuteronomy (Michael Robert-Lowe), l’autorité bienveillante du narrateur, fil conducteur du récit, Munkustrap (Sam Brown), l’humour attendrissant de Jennyanydots (Hazel Baldwin), la virtuosité acrobatique d’une précision redoutable et le charme juvénile de Mistoffelees (Samuel Bateson), l’élégance bondissante du spectaculaire Skimbleshanks (Marcus May)…: autant de jalons qui structurent la soirée et guident le public dans une dramaturgie faite de « climats » plutôt que d’intrigue.

Cats ©Alessandro Pinna 10
Cats ©Alessandro Pinna

Et puis vient Grizabella qui constitue le cœur battant du spectacle et le point de bascule émotionnel de la pièce : symbole de l’exclusion, de la mémoire et du pardon Elle est une blessure qui avance lentement vers la lumière. Ici la solitude du personnage est rendue avec une grande pudeur, sans pathos inutile et magnifiquement chanté par Lucy May Barker.

La tournée 2025 de Cats impressionne par la qualité homogène de son ensemble.

Une direction musicale au service du mouvement

La partition de Andrew Lloyd Webber alterne numéros dansants, moments contemplatifs et ensembles spectaculaires. La direction musicale (Daniel McLaughlin) privilégie avec intelligence la respiration du plateau. Les tempi, souples et maîtrisés, laissent aux danseurs l’espace nécessaire pour habiter chaque phrase permettant ainsi une clarté de l’élocution rarement atteinte dans ce type de production.
Dans l’acoustique de la Salle Garnier, l’équilibre voix-orchestre s’avère particulièrement réussi, renforçant la lisibilité du texte et l’impact émotionnel des ensembles.

Cats ©OMC Marco Borrelli
Cats ©OMC – Marco Borrelli

Cats dans la salle Garnier : un monde dans lequel on entre sans frontière entre la salle et la scène 

À Monte-Carlo, le spectacle trouve une résonance singulière. La Salle Garnier, avec son élégance feutrée, son acoustique naturelle et sa proximité rare, agit ici comme un révélateur et joue un rôle déterminant. Elle permet une lecture et une adhésion presque « tactile » du spectacle. On n’observe pas les chats : on les accompagne : on perçoit la puissance des corps, la concentration des regards, la précision des gestes, les micro-réactions qui donnent vie à cette tribu féline. Cette proximité renforce l’impression que Cats n’est pas un spectacle regardé, mais un monde dans lequel on entre. Peu à peu, la frontière entre la scène et la salle s’efface, et le spectateur devient lui-même un fragment du rituel.

Ce qui frappe particulièrement, c’est la qualité du travail collectif : aucun danseur ne « sort » du cadre, aucun n’existe au détriment des autres. Chaque mouvement semble naître d’une nécessité organique, comme si la communauté féline respirait à l’unisson. Les transitions sont fluides, les déplacements naturels, presque instinctifs. Cette précision, jamais figée, donne au spectacle une dimension presque hypnotique.

À Monte-Carlo, Cats ne cherche pas à impressionner. Il cherche à toucher et y parvient, discrètement, profondément, durablement.

On quitte la salle avec une sensation de douceur mêlée de mélancolie et l’impression d’avoir partagé un instant fragile, quasiment  secret comme si, l’espace d’une nuit, quelques chats nous avaient confié leur histoire avant de disparaître dans l’ombre. Et l’on comprend alors que Cats ne parle pas seulement d’eux. Il parle de nous : de nos solitudes, de la fragilité du temps qui passe, de nos élans, de cette part d’humanité qui cherche encore un endroit où se poser.
C’est peut-être cela, finalement, la réussite la plus rare.

Christian JARNIAT
20 décembre 2025

1Malgré son origine française — le roman de Gaston Leroux se déroulant dans un opéra parisien — Le Fantôme de l’Opéra de Lloyd Webber n’a jamais été représenté à Paris ! Il devait l’être enfin au Théâtre Mogador mais un incendie survenu en septembre 2016 sous la scène avant la création a entraîné l’annulation définitive du projet.

Mise en scène : Trevor Nunn
Chorégraphie : Gillian Lynne
Décors, scénographie et costumes : John Napier
Lumières : Howard Eaton
Sound designer : Greg Pink
Direction musicale : Daniel McLaughlin
Musical supervisor : Graham Hurman (et Associate music supervisor : Peter McCarthy)

Distribution :

Grizabella : Lucy May Barker
Old Deuteronomy : Michael Robert-Lowe
Rum Tum Tugger : Jack Danson
Mistoffeles : Samuel Bateson
Macavity : Marco Venturini
Munkustrap : Sam Brown
Jennyanydots : Hazel Baldwin
Bustopher Jones : Quinlan Kelly 
Skimbleshanks : Marcus May
Bombalurina : Emily-Layden Fritz
Demeter : Alice Oberg
Rumpleteazer : Grace Chan
Mungojerrie : Ben Walsh

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