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Guerre et Paix de Prokofiev à l’Opéra de Munich (3) — Le décor de Dmitri Tcherniakov brève histoire du Palais des Syndicats à Moscou

Guerre et Paix de Prokofiev à l’Opéra de Munich (3) — Le décor de Dmitri Tcherniakov brève histoire du Palais des Syndicats à Moscou

vendredi 17 novembre 2023

Le décor de Tcherniakov © Wilfried Hösl /BSO La salle des colonnes du Palais des Syndicats.© Photo du site officiel de la Maison des Syndicats à Moscou

Dmitri Tcherniakov fait se dérouler toute l’action de Guerre et Paix dans le huis-clos de la grande salle d’un immeuble du centre de Moscou que connaissent tous les Russes, un lieu devenu mythique dans l’imaginaire russe tant il est chargé d’histoire.  Le somptueux décor reconstitue à l’identique la célèbre Salle des colonnes de ce qu’on appelle aujourd’hui la Maison ou le Palais des Syndicats. À lire son histoire on peut mieux comprendre et décoder la manière dont Tcherniakov utilise le décor, et les objets ou les installations qu’il y introduit, pour inviter les spectateurs à une réflexion qui dépasse de loin le cadre historique de Guerre et Paix. L’action du roman de Tolstoï se déroule en 1812. L’action de l’opéra prenait déjà une dimension contemporaine au temps de sa composition en raison du patriotisme exalté du livret surtout dans la seconde partie de l’œuvre. Le décor de Tcherniakov nous entraîne à travers deux cents ans d’histoire russe. Histoire du Palais et de la Salle des colonnes Le bâtiment construit au début des années 1770 fut d’abord la résidence du gouverneur général de Moscou, Vladimir Dolgurokov-Krimski, vainqueur de la guerre de Crimée, avant d’être acheté à sa mort en 1784 par l’Assemblée de la noblesse de Moscou. La Salle des colonnes date de cette deuxième période : c’est l’architecte Kasakov qui repensa et reconstruisit le bâtiment en y ajoutant cette salle monumentale qui tire son nom des 28 colonnes corinthiennes qui la soutiennent, des colonnes de bois peintes en faux marbre blanc.  Au dix-neuvième siècle, la salle servit de salle de bal, — son parquet pouvait accueillir 500 couples de danseurs, — et déjà aussi de salle de concert : la Société musicale russe y lança une tradition de concerts symphoniques placée à partir de 1862 sous la direction de Nicolaï Rubinstein. Des compositeurs et des musiciens comme Tchaïkovski, Rimski-Korsakov, Berlioz, Liszt. Rachmaninov, Robert et Clara Schumann, pour ne citer qu’eux, s’y produisirent. Ce fut aussi la salle dans laquelle le tsar Alexandre II promulgua en 1856 l’abolition du servage et dans laquelle encore Dostoïevski prononça en 1880 son fameux discours sur Pouchkine à l’occasion du dévoilement du monument consacré à l’écrivain. Pendant la première guerre mondiale, une partie du bâtiment fut transformée en hôpital. Chaque année, le dimanche des Rameaux, s’y tenait aussi un bazar de la charité dans les échoppes étaient tenues par des dames de la noblesse. Après la révolution d’ Octobre le bâtiment fut étatisé et affecté au Conseil des syndicats de Moscou, ce qui lui a donné son nom actuel. Pendant l’ère soviétique, il servait principalement de lieu pour d’importants événements officiels, comme les congrès et les conférences du Parti communiste et les cérémonies gouvernementales de remises de prix, et toujours de salle de concert pour des concerts de musique classique et populaire, notamment ceux d’Emil Gilels, Guennadi Rojdestvenski, Klavdia Chouljenko et Lev Lechtchenko. Lénine y prononça plus de 50 discours entre 1918 et 1922. Le premier congrès des écrivains s’y tint en 1934. La Maison des syndicats a également été le théâtre des célèbres procès staliniens contre les ennemis du peuples à partir de 1928. La Salle des colonnes fut pour le moins polyvalente : à partir de 1935 on y organisa la fête de Nouvel An des enfants, une pratique qui existait déjà en 1850 ; et de grands tournois internationaux d’échecs s’y tinrent, ainsi du fameux tournoi entre Karpov et Kasparov en 1984/85. Son importance politique s’est étendue aux funérailles d’État pour les héros, les hauts fonctionnaires et les dirigeants. C’est le révolutionnaire Piotr Kropotkin qui en eut la primeur. Les dépouilles de Vladimir Lénine (du 23 au 27 janvier 1924), Joseph Staline (du 6 au 8 mars 1953), Léonid Brejnev, Konstantin Tchernenko, Iouri Andropov et Mikhaïl Souslov ont toutes été exposées dans la Salle des colonnes avant leur inhumation dans la nécropole du mur du Kremlin sur la place Rouge ou, pour Lénine, dans le fameux mausolée. Et plus récemment celles Brejnev et Andropov, et enfin celle de Mikhaïl Gorbatchev, dernier dirigeant de l’Union soviétique, mort en 2022. Serguei Prokofiev donna plusieurs concerts dans la Salle des colonnes, notamment à l’occasion de sa première visite en URSS en 1927. C’est à la suite d’un concert qu’il donna en 1938 que Staline prononça sa célèbre et courte sentence : ” Prokofiev est des nôtres.” À partir de 1948, la Salle des colonnes abrita le premier congrès de l’Union des compositeurs soviétiques, que Staline avait créé en 1932. Prokofiev y prit part. Cet organe de l’appareil d’État de sinistre mémoire était chargé d’évaluer le travail des compositeurs de l’Union soviétique. Il condamna notamment le formalisme, une déviance dont fut aussi taxée le travail de Prokofiev. Des compositeurs parmi lesquels Prokofiev et Chostakovitch furent forcés de venir y battre leur coulpe. Prokofiev s’en tira en adressant une lettre de soumission et ne se présenta pas devant la commission au motif de sa mauvaise santé. Vladimir Jurowski se souvient, quant à lui, d’y avoir entendu pour la première fois la Cinquième symphonie de Chostakovitch. Luc-Henri Roger

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