Logo-Resonances-Lyriques
Menu
Casino de Paris : Chicago : une œuvre-culte entre crime et show incandescent

Casino de Paris : Chicago : une œuvre-culte entre crime et show incandescent

vendredi 5 décembre 2025

©Cyril Bruneau

De Broadway à Pigalle, Chicago continue d’enflammer les foules. Près d’un demi-siècle après sa création par Bob Fosse, John Kander et Fred Ebb, la comédie musicale mythique revient sur une scène parisienne avec une vigueur irrésistible. Au Casino de Paris, cette nouvelle production française ressuscite le style « Fosse » dans toute sa sensualité stylisée et son ironie noire. Entre satire sociale, show incandescent et élégance chorégraphique, Chicago s’impose comme l’un des événements musicaux majeurs de la saison 2025-2026.

Les mirages du cabaret selon Kander et Ebb

Chez John Kander et Fred Ebb, le music-hall n’est jamais un simple décor : il devient le miroir déformant d’un monde en crise. Trois œuvres majeures – Cabaret (1966), Chicago (1975) et Kiss of the Spider Woman (1990) – composent un triptyque d’une remarquable cohérence. Toutes jouent sur le contraste entre l’éclat des lumières et la noirceur du réel, entre la légèreté du spectacle et la gravité du propos.

Dans Cabaret, les numéros étincelants du Kit Kat Klub rythment la montée du nazisme à Berlin : les chansons drôles et provocantes ne sont que le reflet d’une société qui danse au bord du gouffre. L’histoire d’amour de Sally Bowles et Cliff Bradshaw s’y brise sur fond de décadence et de peur. Le cabaret devient alors le dernier refuge avant la catastrophe.

Dix ans plus tard, Chicago transpose ce procédé dans une Amérique des années 1920 gangrenée par le cynisme et la soif de célébrité. Derrière le vernis du jazz et les plumes des showgirls, Kander et Ebb signent une satire féroce où le crime se transforme en numéro de music-hall. Meurtres, procès, prisons : tout devient spectacle, et la justice elle-même se fait scène. L’univers du cabaret devient ici métaphore de la manipulation médiatique et du pouvoir de l’illusion.

Enfin, Kiss of the Spider Woman déplace le théâtre du rêve dans une cellule d’Amérique latine : Molina, prisonnier homosexuel, s’évade de la torture par l’imaginaire du cinéma et des stars de son enfance. Les chansons et les danses y deviennent un acte de résistance, une manière de survivre à l’oppression.

De Cabaret à Chicago, puis à Kiss of Spider Woman, Kander et Ebb inventent un langage musical où le divertissement n’est qu’un masque – fragile autant qu’ironique – nécessaire. Leurs héroïnes chantent et dansent pour échapper au néant, et leurs refrains brillants cachent toujours une inquiétude sourde : celle d’un monde qui se regarde sombrer en dansant.

CHICAGO All i care about 2 cCyril Bruneau scaled
©Cyril Bruneau

Le jazz du crime et le glamour du cynisme

C’est dans cet entrelacement du rire et du tragique que se joue également toute la modernité de Chicago, satire scintillante d’un univers où tout, même le meurtre, finit par devenir un numéro.
Chicago trouve son origine dans A Play in Four Acts (1926), pièce de Maurine Dallas Watkins nourrie des procès criminels qu’elle couvrit comme journaliste judiciaire dans les années 1920 et qui s’inspirait d’un fait divers authentique1 : deux femmes accusées de meurtre devenant, grâce à la presse, de véritables célébrités.
Un sujet qui fascinait Bob Fosse par son lien direct entre violence, séduction et spectacle. En collaboration avec John Kander (musique) et Fred Ebb (paroles et livret), il en tira une comédie musicale sans paillettes inutiles : une satire de la justice et du show-business, où le tribunal devient une scène et où le mensonge se confond avec la performance.

7 cCyril Bruneau scaled
©Cyril Bruneau

Créée le 3 juin 1975 au 46th Street Theatre de Broadway Chicago connut, à partir du revival de 1996, une renaissance mondiale sous la direction de Walter Bobbie et les chorégraphies « Fosse-style » d’Ann Reinking.2 Ce renouveau dépouillé, sensuel et graphique est devenu la référence internationale : orchestre visible sur scène, costumes noirs, chaises-accessoires et un érotisme stylisé au cordeau. C’est cette version qui est aujourd’hui reprise au Casino de Paris

Chicago traverse les décennies avec la même insolence transformant la presse à scandale en machine à fabriquer des célébrités, et la justice en spectacle où l’éclat l’emporte sur la vérité. Sur fond de jazz, de crimes maquillés et d’ambitions dévorantes, Velma Kelly et Roxie Hart se disputent la lumière dans un univers où tout se  négocie, même l’innocence3.

Chicago au Casino de Paris : un bijou de rythme, d’ironie et de noirceur brillante  

Les années 1920 reprennent possession du Casino de Paris, où Chicago s’empare a nouveau du mythe avec aplomb, mêlant glamour noir, satire affûtée et virtuosité musicale . Cette production francophone est un bijou de rythme, d’ironie et de noirceur brillante, servi par une admirable précision scénique

Capture decran 2025 12 19 193939
©DR

Le rôle de Velma Kelly prend une tournure singulière lorsque Lisa Lanterni, doublure officielle, surgit au dernier moment pour remplacer Shy’m. Dotée d’une solide formation de danseuse acquise à l’Académie de danse Princesse Grace de Monaco. elle s’est imposée les scènes françaises du théâtre musical dans Cabaret, Titanic et Frankenstein Junior, rôle qui met en valeur son tempérament scénique et ses qualités à l’instar d’emplois emblématiques comme Anita dans West Side Story. Dans cette Velma Kelly née de l’imprévu, elle confirme son statut d’interprète majeure des grands rôles féminins du répertoire. Démarche féline, voix tranchante, regard de braise, humour mordant, elle transforme l’urgence en moteur. Sa Velma crépite, amuse, griffe : une interprétation galvanisante qui impose instantanément son autorité.

14 cCyril Bruneau
©Cyril Bruneau

Face à elle, Vanessa Cailhol rayonne. Actrice-chanteuse-danseuse rompue à la comédie musicale (une vingtaine de titres de Grease a Cats en passant par Cabaret et Mamma Mia ! et une dizaine de pièces de théâtre) elle fait de Roxie Hart un modèle de duplicité et de candeur naïve à la fois vénéneuse et pétillante, dangereusement charmante, mûre d’une ambition calculatrice que son sourire espiègle de poupée de cire masque à peine. Elle danse, joue et chante avec une aisance insolente, maniant le comique de situation (Funny Honey) comme la manipulation (Roxie) avec un instinct scénique jubilatoire. Chaque numéro s’embrase sous son rythme affûté, et si l’on pourrait presque lui offrir le bon Dieu sans confession, mieux vaut se méfier : actrice brillantissime, elle renverse une scène d’un simple regard, vous faisant rire ou vaciller l’instant d’après4.

Lisa Lanteri et Vanessa Cailhol apportent au couple de rivales qu’elles forment une tension dramatique et un relief saisissant. Dans leur duo final, les deux comédiennes se rejoignent enfin dans une osmose jubilatoire : la compétition laisse place à l’alliance, le crime devient show, la morale s’efface dans le triomphe du spectacle.

CHICAGO All i care about 1 cCyril Bruneau scaled
©Cyril Bruneau

Jacques Preiss compose un Billy Flynn d’une séduction souple, tacticien affûté qui transforme chaque plaidoyer en manœuvre savamment orchestrée. Son numéro des plumes “All I Care About Is Love” déploie tout son art : sourire feutré, gestes millimétrés, charme carnivore enveloppant la salle à chaque apparition. Soulignons que l’année dernière il avait également incarné Marius dans Les Misérables au Théâtre du Châtelet, une production qui a remporté le Molière du meilleur spectacle musical en 2025, consacrant ainsi l’éclat collectif de cette renaissance francophone.

8 cCyril Bruneau scaled
©Cyril Bruneau

Waku Malanda incarne une Mama Morton solide, portée par une voix riche qui pose immédiatement le décor. Son humour, son aplomb et cette précision tranquille ancrent le personnage avec une autorité naturelle qui s’impose sans hausser le ton. Et puis vient “Classe”, en duo avec Lisa Lanterni : un moment suspendu où leurs voix se répondent comme si elles s’attendaient depuis toujours, glissant du sourire à l’émotion avec une justesse qui touche autant qu’elle amuse.

Quant à Pierre Samuel (habitué du rôle de Amos Hart  qu’il avait déjà interprété au Théâtre Mogador en 2018) il livre un mari bouleversant de simplicité dans « Mister Cellophane » : une respiration tendre au milieu du cynisme ambiant, un instant suspendu qui est l’un des plus touchants de la soirée. Qu’il soit rassuré il est tout sauf invisible !…

L’ensemble avance avec la précision d’un big band : silhouettes félines, énergie tendue, humour ciselé. La mécanique chorégraphique claque, sans lourdeur, sans perte d’élan.Ce Chicago-là vibre comme un organisme parfaitement huilé, où aucune individualité ne cherche l’éclat au détriment du collectif : du vrai, du grand musical.

10 cCyril Bruneau
©Cyril Bruneau

Un orchestre en U inversé, la clef de voûte du spectacle

Installé sur scène en U inversé, l’orchestre dirige le souffle du spectacle. Sous la direction de Dominique Trottein, la musique circule comme une sève nerveuse : cuivres mordants, piano incisif, banjo vif, batterie précise. Mais au-delà de la virtuosité, c’est la sonorité d’ensemble qui frappe : un grain chaud, presque granuleux, rappelant les clubs de jazz des années folles, où chaque instrument semble parler sa propre vérité tout en fusionnant dans un même swing. Les musiciens ne se contentent pas d’accompagner : ils sculptent l’atmosphère, relancent la tension dramatique et transforment chaque transition en impulsion scénique.

Le duo final, unissant Velma et Roxie dans « Nowadays » puis « Hot Honey Rag », referme la soirée dans une jubilation irrésistible. Lisa Lanteri et Vanessa Cailhol s’y rejoignent comme deux faces d’une même ambition, conjuguant ironie, panache et un sens du timing qui soulève la salle. Un éclat final d’une justesse limpide, porté par une complicité qui redonne tout son mordant à ce grand classique en un hommage vibrant à Bob Fosse et à l’âge d’or du musical américain

Ce Chicago parisien s’empare du mythe avec aplomb, mêlant glamour noir, satire affûtée et virtuosité musicale dans un écrin parisien où chaque note, chaque geste, chaque silence respire le plaisir du théâtre vivant.

Une soirée qui claque, captive, et rappelle qu’un revival peut encore surprendre lorsqu’il pulse avec autant de conviction, d’audace et de feu.

À la sortie, on fredonne All That Jazz avec la certitude que ce spectacle a réinventé la classe du crime.

Christian JARNIAT et Cécile BEAUBIE
5 décembre 2025

1 L’œuvre à connu des prolongements cinématographiques, de Roxie Hart de William A. Wellman en 1942 au film Chicago de Rob Marshall en 2002, six fois oscarisé, qui ancre Roxie Hart et Velma Kelly dans l’imaginaire collectif.

2 La version « revival » de Chicago a ouvert à Broadway le 14 novembre 1996 (et toujours à l’affiche de l’Ambassador Théatre) figure au deuxième rang des comédies musicales les plus jouées en continu à Broadway, (plus de 10.000 représentations) juste derrière The Phantom of the Opera d’Andrew Lloyd Webber qui a détenu le record de la comédie musicale la plus jouée à Broadway(au Majestic Theatre ) avec plus de 13.000 représentations jusqu’en 2023 )

3 En France, Chicago a été représenté pour la première fois au Casino de Paris en 2024. Mise en scène : Scott Faris Direction musicale : John Gilbert Avec : Véronic DiCaire (Roxie Hart),Terra Ciccotosto (Velma Kelly), Stéphane Rousseau (Billy Flynn). Puis au théâtre Mogador en 2018. Mise en scène Walter Bobbie et Tania Nardini Direction musicale : Dominique Trottein Avec : Carien Keizer (Roxie Hart), Sofia Essaïdi (Velma Kelly), Jean-Luc Guizonne (Billy Flynn)

4 Vanessa Caihol a été plusieurs fois nommée aux Molières. En 2024 elle a obtenu le Molière de la meilleure comédienne

Direction musicale : Dominique Trottein
Mise en scène de la production originale : Walter Bobbie,
Mise en scène résidente : Véronique Bandelier
Chorégraphie : Ann Reinking (d’après Bob Fosse)
Scénographie : John Lee Beatty.
Costumes : William Ivey Long.
Lumières : Ken Billington.

Distribution :

Velma Kelly : Lisa Lanteri
Roxie Hart : Vanessa Cailhol
Billy Flynn : Jacques Preiss
Mama Morton : Waku Malanda
Amos Hart : Pierre Samuel
Mary Sunshine : Josua Lebraud

 

Imprimer
Cookies
Nous utilisons des cookies. Vous pouvez configurer ou refuser les cookies dans votre navigateur. Vous pouvez aussi accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton « Accepter tous les cookies ». Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre Politique de confidentialité et des cookies.