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AUDITORIUM MAURICE RAVEL – ORCHESTRE NATIONAL DE LYON : HAYDN / TCHAÏKOVSKI : Quel panache !

AUDITORIUM MAURICE RAVEL – ORCHESTRE NATIONAL DE LYON : HAYDN / TCHAÏKOVSKI : Quel panache !

vendredi 28 novembre 2025

© Yannis Adelbost

Honorer Vassili Petrenko en lui offrant ses vrais débuts officiels en ces lieux n’est que justice. Rappelons, en effet, qu’il n’y avait eu accès que “par la petite porte”, remplaçant au pied levé Nikolaj Szeps-Znaider à la direction d’un concert Chin / Elgar / Beethoven en mars 20231.

Pour dissiper une confusion fréquente2, précisons qu’à l’Opéra de Lyon, son homonyme Kirill Petrenko (actuel chef des Berliner Philharmoniker), a dirigé Tristan & Isolde de Wagner ainsi qu’une légendaire trilogie Tchaïkovski (Eugène Onéguine, La Dame de Pique et Mazeppa).

Directeur musical du Royal Philharmonic Orchestra depuis 2021, Vassili Petrenko a, quant à lui, attiré notre attention dès 2010, par sa captivante gravure des Symphonies N°1 et N°3 de Chostakovitch avec les Royal Liverpool Philharmonic Orchestra and Choir, sous label Naxos.

Jamais nous n’eûmes l’opportunité d’une évaluation sur le vif. Ce soir, l’espoir n’est pas déçu.

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© Yannis Adelbost

Kian Soltani éblouit, coupe le souffle, sans jamais verser dans le numéro de cirque

Bien qu’à priori insolite, l’association entre Haydn et Tchaïkovski dans un même programme présente, malgré tout, un fil conducteur, aussi ténu soit-il. Éperdu d’admiration devant le legs mozartien, le compositeur russe avouait priser bien des éléments dans l’immense catalogue laissé par Haydn. Souvent, l’héritage du Classicisme laissera des traces substantielles au sein d’épanchements romantiques slaves exaltés, bien au-delà des Variations sur un thème rococo Opus 33, conçues précisément pour violoncelle et orchestre par Tchaïkovski. Ce dernier ne pouvait toutefois connaître le Concerto pour violoncelle N°1 en Ut Majeur, Hoboken VIIb.1, dans la mesure où cette partition d’Haydn ne sera exhumée qu’en 1961, dans le fonds Radenín à Prague. Vraisemblablement élaborée pour les phénoménales capacités de Joseph Franz Weigl (1740-1820), l’œuvre l’emporte en séductions spontanées sur le Concerto N° 2 en Ré Majeur, plus technique, à la condition d’avoir des artistes sûrs pour le servir. Pari gagné !

Avec 44 exécutants (sous réserve d’erreur dans notre décompte), l’effectif proposé ce soir s’avère, certes, quasiment doublé par rapport à celui dont disposait Haydn chez les princes Esterházy. Ceci posé, quel plaisir le public éprouve à retrouver un auteur si marginalisé dans cette salle. Jouer une de ses symphonies par an ne constituerait pourtant pas un vain luxe !

Concert ONL HAYDN TCHAIKOVSKI 28 Novembre 2025 Cliche N°1 © Yannis Adelbost 1
© Yannis Adelbost

Sans sombrer dans l’académisme, Vassili Petrenko a, dans sa gestique comme son maintien – droit sinon rigide – quelque chose qui nous rappelle singulièrement Karl Böhm. Perception confirmée à l’oreille dans sa façon d’attaquer le Moderato initial. Nous sommes ici placés loin des interprétations décapantes façon Harnoncourt. Néanmoins, cette vision suprêmement élégante, veloutée, déploie un discret charme suranné. Avec ses attaques inversement franches ou farouches, ses sonorités volontaires, le violoncelliste austro-iranien Kian Soltani parle un langage beaucoup plus “historiquement informé” d’esprit. Bien que d’une persévérante distinction, le timbre de son instrument conserve un parfum rustique nullement hors de propos. En outre, son appréciable volume projette loin et grand. Audacieuse en doubles cordes et chromatismes, jusque dans un suraigu boccherinien osé, la cadence dévoile une maîtrise digitale exceptionnelle. L’Adagio met ensuite en exergue un vrai sens du dialogue avec ses partenaires. La propension au lyrisme demeure constamment tempérée, en pérennisant un discours de bon goût, autant qu’inspiré (un trille révélateur, à ce titre, en atteste). Pierre de touche dans cet ouvrage, le finale, Allegro molto, constitue une épreuve de force où toujours s’effondrent les impétrants téméraires. Bannissons les craintes : soutenu par un orchestre plus fortement engagé sous la férule d’un chef se souvenant soudain du fier modèle d’Antal Doráti, Kian Soltani éblouit, coupe le souffle sans jamais verser dans le numéro de cirque. En totale symbiose avec ses partenaires, il dispense une bienfaisante énergie, appropriée à ce bouquet sonore pyrotechnique dont notre confrère Marc Vignal3 souligne justement l’obligatoire éclat.

Généreusement, le soliste octroie à l’auditoire enthousiaste deux bis : d’abord un émouvant chant d’amour persan, La Fille de Chiraz, soutenu par les autres violoncelles. Puis, une Danse du feu perse de sa plume, riche en rebonds d’archet ou traits percussifs. Quel panache !

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© Yannis Adelbost

Les foucades de Fedosseïev en 2015 éclipsées par le charisme de Petrenko !

Quand tant d’œuvres amples considérées – à tort – comme marginales attendent encore leur création lyonnaise (dont le Concerto pour piano de Busoni !), la Symphonie Manfred Opus 58 de Tchaïkovski inspirée par Byron n’a rien d’une rareté ici, puisque nous l’entendons ce soir pour la cinquième fois avec l’ONL. Toutefois – en présence de notre ami André Lischke qui introduisait alors le concert – sa dernière audition, en avril 2015, nous avait laissés déconfits. Pris d’invraisemblables foucades, Vladimir Fedosseïev baissait dans notre estime, bousculant les tempos et coupant la rédemption conclusive du héros soutenue par l’entrée de l’orgue !

Concert ONL HAYDN TCHAIKOVSKI 28 Novembre 2025 Cliche N°4 © Yannis Adelbost 1 1
© Yannis Adelbost

Or, dans cette composition, passerelle entre Berlioz et Mahler, il faut un timonier philologue, tenant fermement la barre sans s’économiser. L’incipit rassure : outre les bassons superbes en galbe, les cordes impriment bien l’accablante physionomie dépressive encadrant le premier leitmotiv inhérent à Manfred, même si un surcroît de mordant serait avantageux. En revanche, l’on adhère sans réserve au second leitmotiv, clamé par des cuivres ravageurs et ponctué par une percussion sauvage. Le fond du propos narratif atteint dès lors son plein épanouissement.

Vassili Petrenko domine avec sang-froid son sujet, dirigeant d’une dextre ferme, implacable dans la battue, dénué d’emphase s’agissant des indications dynamiques de la main gauche. Parmi les plus belles interventions solistes, celles de Mathias Landeau à la clarinette basse accède à un fascinant relief. La tension se confirme dans une conclusion sans pathos superflu.

À l’opposé, le 2ème mouvement, Vivace con spirito, exige d’abord un vrai sens du coloris, avec une palette quasi impressionniste. Car la cascade créant l’arc-en-ciel où apparaît la Fée des Alpes doit atteindre un ruissellement probant. Le chef russe tire, sur ce plan, le meilleur d’une phalange inspirée mettant à profit sa maîtrise d’un répertoire français requérant ces qualités. Par ailleurs, Vassili Petrenko éclipse tous ses prédécesseurs céans sur un point précis : la mise en exergue des motifs cycliques, jusque dans leurs métamorphoses, lesquelles passèrent si souvent inaperçues jadis. Voici un travail en profondeur qui mérite une mention d’honneur !

Sujet du 3ème mouvement, le décontractant épisode pastoral a souvent trahi les baguettes inexpérimentées, tendant alors à ne plus innerver le flux indispensable dans ces pages. Rien de tel ici, puisque le chef préserve constamment l’attention, captant l’intérêt avec, en sus, une implication poétique jusqu’alors un tantinet tenue en lisière. Car s’installe désormais une chaleur croissante, propre aux grandes visions dans cette œuvre aux spécificités hors normes.

Tandis que le chef fait preuve d’un abandon bienvenu, ses troupes conservent assez d’énergie pour affronter l’épuisant Allegro con fuoco conclusif, où s’épanchent d’abord les flamboyants excès orgiaques des souterrains d’Ahriman4. Sans folie débridée, toujours digne et contrôlant une écriture bouillonnante, le chef parvient à ses fins. Quand les cordes se font impérieuses dans l’épisode en fugato, les bois caracolent à foison, les harpes étincellent, tout révélant un réel travail d’équipe. Couronnant l’édifice, l’orgue tenu par Tom Rioult consacre l’apothéose d’une splendide narration phonique. Voilà Fedosseïev éclipsé par le charisme de Petrenko !

La maîtrise rythmique constituant sa vertu princeps, confions donc à ce chef à l’apogée de ses moyens les symphonies écrites par Balakirev ou Borodine, si tristement délaissées à Lyon…

Patrick FAVRE-TISSOT-BONVOISIN
28 novembre 2025

1Merci à Sarah Brun, efficiente Chargée de relations publiques et presse pour les précieux compléments d’information apportés en l’espèce.

2Derechef constatée sur le terrain durant l’entracte ce soir, lors d’échanges avec plusieurs auditeurs mélomanes.

3Marc Vignal a publié plusieurs ouvrages sur Haydn, dont il demeure le plus grand spécialiste francophone, notamment chez Fayard en 1988.

4Dans le Zoroastrisme, Ahriman constitue l’entité malfaisante, démoniaque, opposée à Spenta Mainyu, l’esprit du bien.

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