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Concert de Gala « Fonds Jodie Devos » – Opéra Royal de Wallonie – Liège, vendredi 28 novembre 2025

Concert de Gala « Fonds Jodie Devos » – Opéra Royal de Wallonie – Liège, vendredi 28 novembre 2025

vendredi 28 novembre 2025

©Marie-Christine Paquot

ÉMOTIONS

L’émotion était palpable lorsque Stefano Pace, directeur de l’opéra Royal de Wallonie, puis Johanna Devos, la sœur de Jodie, ont pris la parole en début de concert pour rendre hommage à cette merveilleuse artiste, prématurément disparue. L’Agnus Dei de Barber qui a suivi n’a fait que renforcer la solennité spirituelle qui habitait ce concert de gala organisé pour le fonds Jodie Devos.

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© Marie-Christine Paquot

Il a vraiment fallu le talent, l’abattage et l’impact vocal d’un Lionel Lhote totalement décomplexé et brillant dans l’entrée du barbier rossinien pour insuffler à la succession des numéros composant ce programme tout l’élan, toute l’énergie indispensables. Belle surprise, d’ailleurs, que cette première performance de la part d’un artiste que nous avons toujours admiré pour la clarté de sa diction, le raffinement de son phrasé et de ses nuances, particulièrement dans son Posa français et dans un Chorèbe qu’il a su maintenir à un niveau d’exception de 2006 (Strasbourg) à 2023 (Versailles) ! Confirmation du sens de la ligne de Lhote dans les phrases d’Enrico chantées à l’archer dans le sextuor extrait de Lucia, et plus encore dans le duo extrait de Hamlet : chaque mot y trouve sa couleur et sa juste résonance.

Dans la suite de la soirée, l’engagement de chacun est à saluer bien bas.

Anaïk Morel se lance dans le redoutable ” orrido campo  ” (Ballo in marschera) avec sincérité. et elle se jette dans la bataille avec courage. Son intervention dans la ” belle nuit d’amour ” offenbachienne est sans souci. Sa comparse dans ce duo, Éléonore Pancrazi, possède pour sa part un beau timbre et un sens valeureux de la dynamique. Julien Behr, de son côté, trouve son meilleur moment de la soirée dans le duo entre Nemorino et Adina (L’Elisir d’amore). Confronté à cette tessiture de lirico leggero, le ténor propose une approche vocale toute en franchise, en détente et en simplicité technique, avec une présence scénique sympathique. L’Edgardo du sextuor donizettien comme l’air d’ouverture du deuxième acte de Rigoletto sont abordés avec énergie et détermination.

Sabine Devieilhe, annoncée souffrante, a dû renoncer à l’air de Cunégonde. Ses larmes aux yeux lors des saluts collectifs conclusifs ont montré son émotion, mais peut-être aussi sa frustration de ne pas avoir pu donner toute la mesure de son grand talent. Pourtant, il est toujours fascinant de constater à quel point les artistes lyriques en pleine maîtrise de leur instrument savent transcender leurs limites lors de soirées plus difficiles. Dans le duo des Nozze, par exemple, la voix sonne fraîche, facile, avec quelques variations absolument ravissantes, et un style toujours impeccable. Le duo de Lakmé apporte également son lot de grandes satisfactions. Même si l’artiste a pu intérieurement se confronter aux performances qui l’ont propulsée au premier rang dans un rôle qu’elle a totalement su habiter, elle parvient, en dépit des soucis de santé du moment, à faire parvenir des émotions enveloppantes à chaque spectateur de la salle, avec là encore cette voix franche, ce timbre pur et cet art direct qui constituent l’apanage de cette si belle artiste, que nous aurons plaisir à réentendre au sommet.

Reinoud Van Mechelen n’a pas choisi pour ce concert d’interpréter un de ses chevaux de bataille baroques. Dans la continuité d’un album consacrée à Mozart, il offre dans le Bildnis Arie son habituelle leçon de phrasé dynamique, de souplesse et de nuances finement connectées au texte. Sa seconde apparition dans le duo de Lakmé montre quel magnifique Gérald il pourrait être en scène, dans une version intégrale. La voix, capable de sonner avec magnificence, offre dans cette scène un style français absolument remarquable.

Patrick Bolleire apporte toute son expérience dans l’air (avec chœur) de Raimondo dans Lucia, et sa voix n’est pas sans évoquer par son homogénéité, son émission, voire son timbre un certain Bonaldo Giaiotti.

Quelques performances appellent enfin de grandes louanges.

Anne-Catherine Gillet n’est, pour sa part, que fraîcheur vocale et scénique : quelle émission franche, égale, saine, aux couleurs pimpantes ! Quel pétillement, que ce soit dans Adina, ou dans l’air d’Angèle, dans le rare Domino noir d’Aubert ! L’artiste brûle les planches et virevolte vocalement sans jamais trahir le moindre effort. Tout l’arsenal technique disparaît au profit de la caractérisation des personnages : un tour de passe-passe qui mérite son panégyrique.

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© Marie-Christine Paquot

À l’inverse, il ne saurait plus, pour des raisons évidentes, être question de fraîcheur vocale en ce qui concerne Patricia Ciofi. À presque 60 ans, et après 35 ans d’une carrière menée tambour battant, aucune artiste ne pourrait prétendre posséder la voix de ses débuts. Le voile qui recouvre le timbre de la Ciofi a toujours été une caractéristique majeure de ce soprano, et elle a su l’exploiter au fil de ses rôles pour leur conférer cette nostalgie qui a fait le prix de la plupart de ses incarnations. À l’heure actuelle, le bas médium et le grave dans les premières phrases d’Ophélie posent souci. Cependant, le haut médium et l’aigu possèdent encore une sacrée qualité, y compris dans une belle projection. Mais surtout, la Ciofi possède d’une part toute la grammaire stylistique et technique de Lucia et Gilda. D’autre part, elle s’investit corps et âme dans ce qu’elle chante. L’espace de quelques mesures, le désespoir de l’héroïne donizettienne sonne vrai, la fragilité d’Ophélie cogne au cœur, avec évidence, et l’artiste est capable de transformer un numéro aussi érodé que ” caro nome ” en scène d’hallucination proche de la folie. Que dire aussi d’une maîtrise qui autorise ces magnifiques suspensions et permet même à la cantatrice de réaliser la cadence osée de Gilda ou le contre-ré bémol conclusif du sextuor de Lucia ? Chapeau bas à Patricia Ciofi qui démontre, si besoin en était, qu’une artiste parvient toujours à toucher son auditoire, à émouvoir, à provoquer ses frissons, ce que le vrai fan lyrique recherche par-dessus tout.

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© Marie-Christine Paquot

En sommet absolue de la soirée, le couple Nicole Car–Étienne Dupuis a mis la salle à ses pieds. Ils sont beaux. Ils ont une allure aristocratique. Ils sont charismatiques. Leur présence magnétique fait même oublier la version concert pour nous plonger directement au cœur du drame verdien, dans ce début du troisième acte du Ballo in maschera. Tous deux possèdent une voix ample, enivrante, avec une technique infaillible, un sens du style inné qui paraît juste une évidence, une manière de sculpter les mots pour les faire jaillir en relief dans les oreilles d’un spectateur tenu en haleine. Le timbre de Nicole Car, d’une richesse capiteuse, d’une densité incroyable, parvient à trouver, par le jeu de nuances, tout un éventail de couleurs pour coller aux affects de son personnage. Sculpturale, la cantatrice agit telle une pythie sur un auditoire médusé. Étienne Dupuy, de son côté, possède une voix juste érotiquissime, avec ce timbre mordant, séducteur en diable, des harmoniques d’une richesse dingue. Sa capacité à épouser le discours qu’il prononce lui permet, par ailleurs, avec une magie qui ne tient qu’à lui, et de produire des nuances qui transmutent son organe vocal en véritable kaléidoscope sonore. Un moment inouï et inoubliable. Leurs autres interventions (le duo des Nozze pour Madame, le conte et la comtesse dans le finale du même opéra pour le couple) resteront, par la forces des choses, plus anecdotiques, même si Nicole Car fait entendre dans la comtesse un soyeux qui rappelle Della Casa, et même si Étienne Dupuis réalise un diminuendo de toute beauté dans sa supplique du Comte. Deux artistes au sommet, que nous chérissons, que nous admirons, et qui nous transportent dans un ailleurs mirifique.

003 Concert Fond Jodie Devos © Marie Christine Paquot 281125 c J Berger ORW Liege
© Marie-Christine Paquot

Sous la houlette d’un Guillaume Tourniaire aux petits soins pour les artistes – qu’il enveloppe avec tendresse, tout au long du concert – l’orchestre remplit sa mission avec les honneurs, et fait même entendre des soli remarquables, notamment pour le violoncelliste qui accompagne l’air ” Morro “.

Tout ce beau monde conclut le concert par l’inévitable Brindisi verdien, qui permet à chacun de s’amuser, tout en restant vocalement fort respectable. Une conclusion réussie pour une soirée aux émotions diverses, avec quelques souvenirs de grandes intensité.

Laurent ARPISON
28 novembre 2025

Guillaume Tourniaire DIRECTION MUSICAL
Denis Segond CHEF DU CHŒUR

Julien Behr, ténor
Patrick Bolleire, basse
Nicole Car, soprano
Patrizia Ciofi, soprano
Sabine Devieilhe, soprano
Étienne Dupuis, baryton
Anne-Catherine Gillet, soprano
Lionel Lhote, baryton
Anaïk Morel, soprano
Éléonore Pancrazi, mezzo-soprano
Reinoud Van Mechelen, ténor
Jonathan Vork, ténor

Opéra Royal de Wallonie-Liège ORCHESTRE ET CHŒUR

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© Marie-Christine Paquot

PROGRAMME 1ère PARTIE

Samuel Barber : Agnus Dei (chœur)
Gioachino Rossini : Il Barbiere di Siviglia, « Largo al factotum… » (Lionel Lhote/Figaro)
Wolfgang Amadeus Mozart : Le Nozze di Figaro, « Canzonetta sull’aria… » (Nicole Car/Contessa Almaviva, Sabine Devieilhe/Susanna)
Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte, « Dies Bildnis ist bezaubernd schön… » (Reinoud Van Mechelen/Tamino)
Giuseppe Verdi : Un Ballo in maschera « Ecco l’orrido campo… Ma dall’arido stelo divulsa… » (Anaïk Morel/Amelia)
Gaetano Donizetti : L’Elisir d’amore, « Caro elisir… Esulti pur la barbara… » (Julien Behr/Nemorino, Anne-Catherine Gillet/Adina)
Ambroise Thomas : Mignon, « Connais-tu le pays ? » (Éléonore Pancrazi/Mignon)
Gaetano Donizetti : Lucia di Lammermoor, « Cessi, ah cessi quel contento… Dalle stanze ove Lucia… » (Patrick Bolleire/Raimondo, choeur)
Gaetano Donizetti : Lucia di Lammermoor, « Chi mi frena in tal momento » (Patrizia Ciofi/Lucia, Julien Behr/Edgardo, Lionel Lhote/Enrico, Éléonore Pancrazi/Alisa, Patrick Bolleire/Raimondo, Jonathan Vork/Arturo, chœur)

PROGRAMME 2e PARTIE

Bedrich Smetana : La Fiancée vendue « Skoênà » (Orchestre)
Ambroise Thomas : Hamlet ,« Monseigneur… Doute de la lumière… » (Lionel Lhote/Hamlet, Patrizia Ciofi/Ophélie)
Daniel-François-Esprit Auber : Le Domino noir, « Flamme vengeresse » (Anne-Catherine Gillet/Angèle)
Giuseppe Verdi : Rigoletto, « Ella mi fu rapita… Parmi veder le lagrime… » (Julien Behr/Duca)
Giuseppe Verdi : Rigoletto, « Gualtier Maldè… Caro nome… » (Patrizia Ciofi/Gilda)
Giuseppe Verdi : Un Ballo in maschera, « A tal colpa… Morro ma prima in grazia… Alzati… Eri tu… » (Nicole Car/Amelia, Étienne Dupuis/Renato)
Léo Delibes : Lakmé, « D’où viens-tu ? Que veux-tu ? » (Sabine Devieilhe/Lakmé, Reinoud Van Mechelen/Gérald)
Jacques Offenbach : Les Contes d’Hoffmann, « Belle nuit, ô nuit d’amour » (Éléonore Pancrazi/Nicklausse, Anaïk Morel/Giulietta, choeur)
Wolfgang Amadeus Mozart : Le Nozze di Figaro, « Contessa perdono… Ah ! Tutti contenti… » (Nicole Car/Contessa Almaviva, Sabine Devieilhe/Susanna, Anne-Catherine Gillet/Barbarina, Éléonore Pancrazi/Cherubino, Anaïk Morel/Marcellina, Étienne Dupuis/Conte Almaviva, Lionel Lhote/Figaro, Patrick Bolleire/Bartolo, Jonathan Vork/Basilio)

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