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Anthéa Théâtre Antibes : C’est ainsi mon amour que j’appris ma blessure

Anthéa Théâtre Antibes : C’est ainsi mon amour que j’appris ma blessure

samedi 8 novembre 2025

©Yoan Boselli

Fabrice Melquiot : un auteur prolifique

Fabrice Melquiot né le 5 avril 1972 à Modane (Savoie) écrivain, dramaturge, poète, romancier, metteur en scène, parolier, et interprète/acteur s’impose comme l’un des auteurs les plus prolifiques avec une soixantaine de pièces publiées, traduites dans une douzaine langues et à l’affiche des théâtres en France comme dans de nombreux pays.

En France il est l’un des auteurs contemporains les plus joués de sa génération soutenu par plusieurs institutions notables dont la Comédie-Française

Sa pièce Bouli Miro (Comédie-Française 2003) est devenue un classique contemporain, jouée à travers le monde qui explore les thèmes du manque, de la filiation, de la violence du monde, mais aussi de l’humour, de l’émerveillement, du désir.

Son œuvre, reconnue pour sa sensibilité, son imaginaire foisonnant et son rapport très particulier à la langue, occupe une place essentielle dans le paysage théâtral actuel. Ses pièces attirent très vite l’attention par leur ton singulier : une langue poétique, nerveuse, volontiers ludique, où le réalisme se mêle au rêve, avec un goût pour le fantastique, l’onirique et la fable. Le théâtre de Melquiot mêle souvent poésie et cruauté : l’enfance, l’adolescence, la question du mal, le temps qui passe, les fragilités humaines, un mélange d’images fortes, d’ellipse, d’humour parfois noir, de métaphores visuelles chez un auteur qui ne cherche pas à moraliser mais à interroger.

Fabrice Melquiot a assumé pendant 20 ans la direction du Théâtre Am Stram Gram à Genève : centre de création pour l’enfance et la jeunesse.

Il a reçu nombre de prix et distinctions : notamment le prix du Jeune Théâtre de l’Académie française (2008) et a été nommé aux Molières  catégorie auteur (2004) pour Le Diable en partage. Il a été promu Chevalier des arts et des lettres pour ses contributions artistiques.

Le texte original de Melquiot C’est ainsi mon amour que j’appris ma blessure  date de 2003, mais il l’a retravaillé pour cette nouvelle production mise en scène par Pierre Blain.

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Un monologue sur la douleur de la blessure amoureuse

« Un homme, un matin, à l’aéroport une valise rouge à ses pieds et des coups dans la gueule » : entre nuit et jour, moment de transit, attente, flottement. L’homme est assis sur un banc. Une femme s’assoit près de lui, dos tourné. Elle reste distante, muette. Il la regarde, il se raconte. Elle devient le point focal de ses pensées, de son désir, de sa blessure. Seul face au public, Il entreprend de recomposer les fragments d’une histoire d’amour passée, une passion ardente mais aussi meurtrie et porteuse d’une fêlure profonde.

Un « monologue-récit » où le personnage parle pour survivre, pour mettre en forme ce qui, sans la parole, resterait chaos intérieur. Comprendre, c’est guérir – ou du moins tenter de le faire – il nous raconte le vide laissé par l’amour, cette zone de flottement où il tente de saisir ce qui lui échappe encore. Le monologue avance par fragments, par images, par réminiscences. L’homme déroule ses souvenirs comme on fouille un paysage après la tempête. Il ne suit pas la logique d’un récit mais les impulsions de sa mémoire affective, avec ses retours, ses repentirs, ses bonds dans le passé confondus avec le présent. La parole devient alors enquête, tentative de mise en ordre du chaos affectif, exploration de ce point secret où l’amour, la perte et la douleur s’entremêlent.

Il découvre que cette douleur ne naît pas de la rupture mais réactive un manque peut-être lié à l’abandon, la séparation, l’idéalisation de l’autre, la quête d’un amour total impossible

Ce monologue devient alors un travail de deuil, mais aussi un travail de symbolisation : mettre en mots ce qui n’a jamais été dit auparavant. Le personnage comprend que la femme était le symbole d’autre chose : une pièce manquante de lui-même. D’où la phrase implicite : « Ce n’est pas toi qui m’as blessé ; c’est toi qui m’as montré ma blessure. » une blessure ancienne, tapie dans l’un comme dans l’autre, menace l’équilibre.

Au fil du récit, la femme demeure une figure multiple, insaisissable, tour à tour proche et lointaine. Elle est le miroir dans lequel l’homme se découvre : plus vulnérable qu’il ne l’imaginait, dépendant d’un amour qu’il croyait maîtriser. La relation devient l’espace où se révèlent des zones d’ombre, des peurs originelles, des blessures enfouies. Il comprend que ce qu’il croyait être son amour n’était peut-être que la blessure qu’il transportait depuis toujours.

Dans ce monologue incandescent, Fabrice Melquiot transforme une histoire d’amour en autopsie de la blessure intérieure du protagoniste : un acte de survie. Il nous rappelle que l’amour ne disparaît jamais tout à fait : il se dépose en nous comme une cicatrice qui continue de parler et nous rappelle que l’amour, même lorsqu’il disparaît, continue de façonner celui qui en porte la trace

Une poésie de l’intime, capable de faire d’un monologue une traversée humaine d’ombres, d’éclats et de réminiscences d’une intensité rare qui interroge sur le chagrin,… à accueillir l’autre, à survivre aux blessures de l’enfance.

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©Nathalie Sternalsky

Une scénographie dépouillée et une mise en scène au scalpel

Dans la salle Pierre Vaneck d’Anthéa à Antibes, la pièce trouve un écrin propice à cette introspection. Sur le plateau nu, un banc dans la salle d’un aéroport : lieu de transit, d’attente, d’errance : choix judicieux et symbolique avec des voyageurs en transit tout de noir vêtus pareils à des ombres fantomatiques

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©Nathalie Sternalsky

Cette scénographie, volontairement dépouillée, laisse toute la place au texte dans la mise en scène acérée de Pierre Blain qui sait conserver cette intimité propice au monologue. Dans cet espace ascétique sa direction d’acteur au scalpel, quasi chorégraphiée, porte à incandescence le long monologue ( de plus d’une heure trente (!) de ce « solitaire blessé » incarné par Julien Bodet entièrement investi dans cette langue souple, imagée, parfois heurtée, qui avance comme un souffle retenu trop longtemps et qui, soudain, se libère. Dans ce personnage qui ne parle pas « à » quelqu’un mais qui parle depuis un endroit fragile de lui-même s’inscrit une incarnation vibrante, d’une grande justesse, révélant la puissance d’un théâtre où l’émotion passe par la simplicité du geste, la nudité de la langue, la sincérité dans un jeu totalement investi mais tout en retenue et en vérité, qu’il convient de saluer.

Ce type de théâtre exige néanmoins de s’abandonner à une langue chargée de symboles, à l’ellipse, à l’introspection. Il peut ne pas convenir à un public cherchant un « drame narratif » classique, ou une intrigue bien structurée. Il est davantage adapté aux amateurs de théâtre contemporain, de monologue poétique ouverts au « non-dit ». Pour un public ne souhaitant « que » divertissement simple, il pourrait sans doute paraître un peu « trop » abstrait, ésotérique voire pour certains  hermétique.

Christian JARNIAT
8 novembre 2025

De Fabrice Melquiot
Mise en scène : Pierre Blain
Avec : Julien Bodet

et Mélissa Charlet, Denis Bouchet

Scénographie : Philippe Maurin
Chorégraphie : Michaël Allibert
Création sonore : Fabrice Albanese
Création lumière : Raphael Maulny
Costumes : Célia Le Scornec
Accessoires : Sylvie Châtillon
Crédit photos et vidéos : Yoan Boselli

Coproduction Anthéa, théâtre d’Antibes, la Compagnie La Berlue

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