Ce samedi 8 novembre, le Met a rallumé la flamme de La Bohème, quatrième opéra de Puccini, dans la légendaire mise en scène de Franco Zeffirelli, réalisée en 1981. C’est un véritable monument du Met, qui a été donné plus de cinq cents fois depuis 1981, et toujours aussi irrésistible que la première rencontre de Mimi et de Rodolphe. Le Met de New York est tout à fait décidé à la conserver comme une pièce de musée précieuse, comme témoignage d’une époque révolue.

Il faut dire que ce spectacle ne manque pas d’atouts et conserve son pouvoir de fascination sur un public ravi applaudissant à chaque lever de rideau les décors opulents imaginés par le metteur en scène italien, en particulier celui du deuxième acte qui représente les « scènes de la vie de bohème » du Quartier Latin : le café Momus, quelques baraques d’un marché de Noël autour desquelles se presse une foule grouillante, des maisons typiques séparées par des ruelles, les toits de Montmartre, les commerces avec leurs enseignes, les lampadaires, un âne, un cheval. Que cette Bohème a du panache ! Les quatre amis-artistes portent en eux la jeunesse de Puccini avec cette énergie candide et cette tendresse brillamment transmises par les chanteurs de très haut niveau.
On est vraiment admiratif devant le réalisme et le souci du détail dont font l’objet tous ces décors fabuleux en particulier la mansarde du 1er et 4e actes. Et le superbe paysage enneigé du troisième acte ne manque pas de poésie.
Il faut souligner que pour cette reprise, la distribution très homogène vocalement, rassemble avec bonheur, des solistes totalement engagés dramatiquement, grâce à une direction d’acteurs très efficace et sous la baguette très inspirée de la cheffe Keri-Lynn Wilson à la tête de l’Orchestre du Metropolitan Opera qui donne le meilleur de lui-même.

Le ténor anglo-italien Freddie de Tommaso incarne un Rodolfo à la fois solide et émouvant, vaillant et puissant dans sa passion amoureuse pour Mimi et bouleversant dans sa douleur à la fin de l’opéra. Doté d’une véritable voix de lirico-spinto, ce jeune ténor est en train de gravir une à une les marches du succès, comme en témoignent ses récents triomphes sur les scènes européennes, Barcelone, Vienne et Londres où il incarnait en septembre dernier, un Cavaradossi percutant aux côtés d’Anna Netrebko. Dès son premier air, on est subjugué par son opulence vocale, la solidité de son medium et la plénitude de ses aigus puissants. Son style n’est pas sans rappeler celui des ténors italiens d’antan, (notamment le jeune Di Stefano à qui on le compare quelquefois). Si dans la séduction du premier acte, son jeu paraît parfois un peu trop exagéré pour être naturel, l’émotion semble le gagner au fil de l’œuvre pour devenir déchirante à la fin du 4e acte. (Pour la petite histoire, Freddie de Tommaso sera à Strasbourg, pour le concert du 31 décembre avec l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg dans des airs de Verdi, Bellini, Puccini et bien d’autres).

A ses côtés, la jeune soprano arménienne Juliana Grigoryan est une Mimi de rêve, éblouissante, se hissant d’emblée au niveau des grandes interprètes du rôle. Lauréate de plusieurs concours internationaux dont Operalia en 2022, la jeune soprano possède un physique de jeune première. Son visage d’une grande beauté a conservé un sourire ingénu d’adolescente. Elle a tout pour elle : une voix fraîche, délicate et puissante. Son échange au 3e tableau avec Marcello et son duo « O soave fanciulla » avec Rodolfo sont d’une intensité et d’une force incomparables, accentuant sa faiblesse physique du dernier acte. La justesse de sa mimique renforce les émotions que traverse le rôle de Mimi, et on aperçoit même lors du dernier tableau, une larme couler sur son visage. A cet instant, on y croit : le réalisme, le vérisme, l’émotion, la grâce : tout est rassemblé. Que c’était beau et émouvant !!!

Le baryton américain Lucas Maechem, campe un Marcello avec passion, humour. Il rit, se fâche et aime également. Il vit pleinement son rôle de peintre, et sa voix veloutée, mordorée le met en valeur. Dans le 3e acte alors que Mimi et Rodolfo s’abandonnent à la mélancolie, Maechem exprime le côté malicieux de son air « O sole e amore » et relève le piquant du personnage lors de sa dispute avec Musetta.
La mezzo-soprano américane Heidi Stober est très à l’aise dans le rôle de Musetta, frivole à souhait, mutine éclatante dans son air Quando me’n vo », jouant à la perfection la reine du Café Momus et des boulevards de Saint-Germain. Elle possède des aigus brillants et bien timbrés.
Les autres compères ne déméritent pas : Sean Michael Plumb est un fidèle Schaunard, très vif avec un beau chant nuancé. La basse Jongmin Park possède un timbre de bronze et un grave profond. Son Colline digne et plein de compassion ne passe pas inaperçu. Gregory Warren campe un Parpignol haut en couleurs et Donald Maxwell assume avec brio son double emploi, en particulier celui de Benoît qui lui permet de faire une composition désopilante.
Quant à la cheffe Keri-Lynn Wilson, elle maitrise parfaitement la partition, dirigeant avec fougue, trouvant le juste équilibre entre les scènes de pure comédie et les passages les plus dramatiques. Elle adopte des tempos mesurés au premier acte, et fait sonner avec éclat durant tout le deuxième, l’orchestre rutilant du Met. Le dernier tableau est conduit avec une retenue qui crée un climat angoissant en accord avec la tragédie finale. L’Orchestre du Metropolitan Opera sait faire parler la musique de Puccini dans tout son vérisme, avec une puissante intensité. Une mention spéciale aux solistes qui ont soutenu le caractère dramatique de l’ouvrage dans toute son intégralité.
Le fourmillement des Chœurs du Metropolitan Opera dans le second tableau est impeccablement maîtrisé, mais de façon très naturelle, donnant une authenticité à cette vaste scène parisienne. Le chœur d’enfants est parfait dans sa justesse et sa coordination.
Quelle magnifique soirée !!! Même dans la salle du Vox à Strasbourg, les bravos ont fusé. Encore une fois, Zeffirelli et Puccini nous ont enchantés tant par la musique que par la mise en scène si romantique, si vériste, si réaliste. On ne s’en lasse pas…
Marie-Thérèse Werling
Direction musicale : Keri-Lynn Wilson
Mise en scène : Franco Zeffirelli – (Actualisée par Mirabelle Ordinaire)
Décors : Franco Zeffirelli
Costumes : Peter J. Hall
Lumières : Gil Wechsler
Réalisateur pour le cinéma : Gary Halvorson
Mimì : Juliana Grigoryan
Musetta : Heidi Stober
Rodolfo : Freddie De Tommaso
Marcello : Lucas Meachem
Schaunard : Sean Michael Plumb
Colline : Jongmin Park
Benoît / Alcindoro : Donald Maxwell
Parpignol : Gregory Warren
Un sergent : Jonathan Scotti
Un douanier : Ned Hanlon
Chœur et Orchestre du Metropolitan Opera
Chef des Chœur :Tilman Michael
Retransmission en direct du Metropolitan Opera de New-York
Cinema VOX Strasbourg le 8 novembre 2025 à 19h




