Logo-Resonances-Lyriques
Menu
UNE MER DE STABILITÉ

UNE MER DE STABILITÉ

jeudi 13 novembre 2025

Le Quatuor Schumann – (c) Harald Hoffmann

Soirée magistrale au Musikverein de Vienne, grâce au Quatuor Schumann. Cette jeune formation, en pleine ascension internationale parmi les lieux les plus prestigieux, s’est distinguée par une approche cérébrale de Mozart, comme de la compositrice américaine Amy Beach. Les membres de ce quatuor comptant trois frères dans son effectif portent des vestes bleu de chauffe, tout en délivrant une lecture analytique du Quatuor en ut mineur opus 51/1 de Brahms, à l’endroit même où il fut donné – en 1873 – en création mondiale.

*****************************

Me voici, pour la vingt-huitième fois de mon existence, à Vienne. J’ai donné avant-hier une conférence sur Max Deutsch et la France dans les magnifiques locaux de l’Arnold Schoenberg Center, installé en 1998 dans la capitale autrichienne par la volonté conjointe de Pierre Boulez, de Claudio Abbado, de Maurizio Pollini et des enfants du compositeurs. J’ai eu le plaisir – l’autre soir – d’y faire la connaissance de Joe Schoenberg, le petit-fils de l’auteur de La Nuit transfigurée. Il vit à San Diego et se distingue, comme les autres membres de sa famille, par une nette amabilité accompagnée d’humour. Des caractéristiques témoignant de son appartenance à une généalogie viennoise.

La ci-devant capitale de l’empire austro-hongrois a un côté immuable. Tout y est fluide et calme. La majorité des habitants se couche au plus tard vers 22 heures, l’instant même où nombre de spectacles sont terminés depuis près de soixante minutes. Seuls la présence de nombreux réfugiés ukrainiens et les échos d’un conflit armé se déroulant à mille kilomètres de Vienne colorent ce tableau de teintes grises. Les habitants montrent une politesse disparue depuis des lustres à Paris. Ils ne s’insultent pas par médias interposés. La haute culture a droit de cité. Les orchestres autrichiens ne voient pas planer au-dessus d’eux les menaces concoctées très récemment par le ministère français de la Culture.[1] Il est plaisant, au vénérable Musikverein, de constater que les scènes de pugilat, les insultes entre auditeurs et l’utilisation de fumigènes inaugurée le 6 novembre à la Philharmonie de Paris lors du concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël sont inconcevables parmi cette mer de stabilité. Tant mieux. Les mélomanes ardents ayant la possibilité de fixer leur résidence à Vienne – si la France continue à péricliter – en seraient récompensés au centuple.

Je suis donc – le 13 novembre – dans la salle de musique de chambre du Musikverein, temple planétaire de la musique contrôlé depuis 1812 par la fameuse Société des Amis de la musique de Vienne. Elle est un État dans l’État, disposant également d’archives fameuses rassemblant deux millions de pièces. La Société possède une influence internationale. Celle-ci agit sur le développement des carrières musicales et a une dimension prescriptrice majeure. Depuis 1937, la salle de musique de chambre porte le nom de Johannes Brahms, illustre figure allemande s’étant établie à Vienne et y ayant prospéré. Les meilleures formations de l’histoire se sont produites à la Salle Brahms. Il y aura eu – notamment – le Quatuor Hellmesberger, le Quatuor Rosé, le Quatuor Busch, le Quatuor Kolisch, le Quatuor Amadeus, le Quatuor Alban Berg, le Quatuor LaSalle ou  le Quatuor Hagen.[2] Des personnalités considérables se seront installées sur les sièges de la Salle Brahms : Anton Bruckner, Gustav Mahler, Arnold Schönberg, Richard Strauss et bien d’autres.

De pareilles références ne perturbent en rien les membres du Quatuor Schumann, ayant fait ses débuts voici dix ans au Musikverein. Il ne tire pas sa dénomination d’un hommage au grand compositeur romantique allemand Robert Schumann. Mais du lien de parenté entre trois de ses membres : les frères Erik, Ken et Mark Schumann. Seul l’altiste Veit Hertenstein n’appartient pas à ce sérail. Pourtant, il s’y intègre sans gêne aucune. Considéré aujourd’hui comme l’une des formations européennes vivant une irrésistible ascension, le Quatuor Schumann se distingue par une pureté stylistique combinée à une approche intellectuelle des œuvres qu’il interprète. Il y a, en lui, du Quatuor LaSalle. On l’aura constaté à l’écoute du Quatuor en ré majeur K. 499 de Mozart et du reste du programme. Il comportait aussi le Quatuor en un mouvement opus 89, écrit en 1929 par l’Américaine Amy Beach (1867-1944), artiste postromantique de talent. Sa présence rappelait la grande ignorance de la musique antérieure à celle de Charles Ives (1874-1954) dans laquelle nous avons été entretenus jadis, à l’heure de découvrir la production sonore apparue outre Atlantique.

La seconde partie du programme ne se déroula pas seulement à dix mètres du buste de Johannes Brahms mais aussi avec son Quatuor en ut mineur opus 51/1, donné en création mondiale fin 1873 par le Quatuor Hellmesberger dans le lieu même où nous étions réunis. L’exécution de cette œuvre pleine de traquenards techniques par les Schumann a confirmé la hauteur de vue de leur approche artistique. Elle a également montré la gradation dynamique distinguant la construction de leur programme : un fortissimo chez Mozart ou chez Beach n’est pas un fortissimo chez Brahms. Enfin, un Menuet à la hongroise signé Haydn a été le bis d’un concert indiquant le sentier enchanté sur lequel marche le Quatuor Schumann.

Dr. Philippe Olivier

 

 

 

[1] Les effectifs des grands orchestres régionaux français pourraient être « stabilisés » à 80 musiciens  d’ici peu. Outre la continuation de la destruction intentionnelle du réseau culturel de notre pays et une volonté manifeste d’abaissement par le bas, les instrumentistes seraient confrontés à des difficultés sérieuses d’emploi. « La Lettre du musicien » a tiré la sonnette d’alarme dans son édition du 13 novembre 2025.

[2] Deux de ces formations – les Rosé et les Kolisch – auront été saccagées par l’Anschluss de mars 1938 et la mainmise de l’Allemagne nazie sur ce qui fut l’Autriche. Si l’on se limite aux Kolisch, la vie musicale américaine se trouva fortement enrichie grâce à leur émigration.

Imprimer
Cookies
Nous utilisons des cookies. Vous pouvez configurer ou refuser les cookies dans votre navigateur. Vous pouvez aussi accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton « Accepter tous les cookies ». Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre Politique de confidentialité et des cookies.