Soirée pianistique hyper-romantique, entre Schubert et Liszt, avec Khatia Buniatishvili en récital pour la première fois dans la cité phocéenne sous l’égide de l’association Marseille Concerts : un moment d’apesanteur, de grâce et de coups d’éclats !
On suit depuis longtemps Khatia Buniatishvili, artiste si attachante dans la galaxie des concertistes internationales. Ce qui frappe d’emblée pour ces débuts in loco, outre la capacité de l’artiste à établir un contact immédiat avec son public, c’est désormais une allure qui, moins glamour que ces dernières années -l’artiste est vêtue d’une robe noire particulièrement élégante – permet d’emblée de capter l’attention sur le bicéphalisme du jeu de la pianiste, fait d’extrêmes nuances susurrées presque à l’oreille de l’auditeur et de cette fièvre éruptive bien connue.
En mettant au programme du début de récital la Sonate n°21, écrite par Schubert quelques mois avant sa mort, Khatia Buniatishvili nous convie, sur la pointe des pieds, à partager un instant d’introspection dans la vie intérieure du compositeur. Tendant un arc de mélancolique retenue, la pianiste, orfèvre en la matière, poursuit sur sa lancée en suspendant le souffle de son public dans un Impromptu op.90 n°3 ressenti, grâce à un jeu éthéré, comme le souvenir d’un moment (on n’ose écrire d’un lieu…) cher.
Avec Marguerite au rouet puis Ständchen, deux lieder arrangés pour le piano par Liszt, l’interprète commence à nous donner des clés de lecture pour nous faire entendre et voir la jeune Grätchen, comme si nous étions, avec elle, en train de tisser et d’attendre. C’est un chant de toute beauté, comme celui de l’amoureux sous la fenêtre de sa bien-aimée, et notre héroïne romantique sait de cette cantilène dégager au clavier tout l’exquis legato : un moment de poésie infinie comme nous en entendons beaucoup lors de cette soirée !
C’est, en deuxième partie – et sans entracte – que Khatia Buniatishvili laisse davantage la place, avec Liszt, à ce jeu fiévreux qui la caractérise lorsque les pièces au programme le lui permettent. De fait, malgré toute la lumineuse pureté de la consolation n°3, il y a dans ce jeu subtil un souffle à la fois plein de retenu et d’une volonté de faire respirer l’instrument qui, personnellement, nous entraîne toujours… bien loin. Dans la culture magyare, la rhapsodie est un marqueur identitaire dont l’abbé Liszt constitue le jalon musical incontournable : avec cette rhapsodie hongroise n°6, Khatia Buniatishvili se fait virtuose et montre soudain du romantisme tout ce qu’il peut avoir de fantaisie contrastée et d’espièglerie, entrainant dans la danse un public qui se laisse emporter par tant de jubilation.
C’est donc avec une excitation toute naturelle que l’on écoute en bis la plus célèbre cadence des rhapsodie de Liszt, celle extraite de la n°2 : devenue soudain divinité dionysiaque, Khatia Buniatishvili fait enfin rugir son clavier et achève en apothéose éclatante une soirée qui l’aura entendue, une nouvelle fois, jouer avec maestria des clairs-obscurs de sa personnalité, l’une des plus belles du monde artistique actuel.
Hervé CASINI
5 novembre 2025
https://www.marseilleconcerts.com/
Les artistes
Piano : Khatia Buniatishvili
Le programme
Franz Schubert :
Sonate pour piano n°21 en si bémol majeur D.960 (1828)
Impromptu D.899 op. 90 n°3 (1827)
Marguerite au rouet (arrangement pour piano de F. Liszt)
Ständchen (arrangement pour piano de F. Liszt)
Franz Liszt :
Consolation n°3 (1850)
Rhapsodie hongroise n°6 (1853)
