L’ennui, quand on va écouter le Concerto pour piano de Tchaïkovsky, c’est qu’on l’a entendu tant de fois par d’éblouissants interprètes, qu’on risque d’être déçu.
Il faut avoir un soliste extraordinaire pour être vraiment satisfait. Ce soliste, on l’a eu à Monaco. Ce fut le macédonien Simon Trpčeski.
Époustouflant pianiste ! Il fallait voir ses mains bondir sur le clavier, se démultiplier en octaves vertigineux, faire jaillir des gerbes d’accords puis, l’instant d’après, caresser les touches avec une exquise douceur. Il fallait entendre la rondeur de son toucher. Il fallait se laisser surprendre par ces petits suspens qu’il ménageait au bout de ses phrases. A ses côtés, l’orchestre l’entoura d’un accompagnement somptueux. Dans le deuxième mouvement du concerto, il bénéficia des précieuses répliques du violoncelliste Thierry Amadi, de la flûtiste Raphaëlle Truchot, du hautboïste Matthieu Bloch.
En bis, il sollicita la complicité du même Thierry Amadi et de la violoniste Liza Kerob pour interpréter un bout de trio de Tchaïkovsky. Instant de régal !
Deux autres moments grandioses nous attendaient au cours de ce concert. On y entendit Octobre 1917 et la Douzième Symphonie de Chostakovitch – deux musiques d’insurrection et de drapeaux rouges qui racontent la Révolution d’Octobre.
On entendit le Philharmonique se lancer à l’assaut du Palais d’Hiver, répandre la révolte dans les rues de Saint Pétersbourg, approcher Lénine dans son village de Razliv (dans la 2ème. partie de la symphonie), déclencher la canonnade du navire Aurora (dans la 3ème partie), annoncer l’« aube nouvelle de l’humanité » (dans la 4ème. partie), et glorifier en fanfare le succès de la Révolution !
Cela flambait, explosait à tous les pupitres. Partout fusaient des solos enflammés : la trompette de Matthias Persson, le trombone de Jean-Yves Monier, le cor d’Andrea Cesari, le basson d’Arthur Menrath, la clarinette de Véronique Audard, les timbales de Julien Bourgeois. Et, au premier rang de l’orchestre, la violon solo Liza Kerob, débordante d’énergie, menait la charge.
Le chef Stanislav Kochanovsky maîtrisa tout cela de manière admirable, sachant exiger de son orchestre rigueur et précision dans la tourmente. Il tranchait les phrases à coup de sabre, faisait claquer les accords, enflammait les crescendos. Dans certaines phrases douces, il avait le talent de glisser une volupté que Chostakovitch, lui-même, n’avait peut-être pas imaginée en écrivant cette musique guerrière.
Ah qu’on aime la Révolution… quand c’est le Philharmonique de Monte-Carlo qui la fait !
André PEYREGNE
12 octobre 2025