Opéra de Nice : En ouverture de la saison la fascination de Satyagraha

L’inscription de l’œuvre de Philip Glass dans une politique d’ouverture artistique affirmée.

Depuis sa nomination à l’Opéra de Nice Bertrand Rossi, son directeur général, s’emploie à élargir les horizons de cette prestigieuse maison. Si les piliers du grand répertoire italien (Rossini, Donizetti, Verdi) restent au cœur de la programmation et continuent d’attirer un public fidèle, l’institution assume désormais une politique d’ouverture artistique affirmée – une pertinente alternance entre tradition et innovation – proposant des œuvres rarement jouées : on se souvient d’Edgar de Puccini (magnifique redécouverte en novembre 2023 ! ) ou des pages d’envergure du surréalisme musical comme Juliette ou la clé des songes de Bohuslav Martinů qui avaient conquis les spectateurs niçois en mars 2024.

C’est dans cette ligne qu’intervenait l’audace du choix dès l’ouverture de la saison 2021-2022 d’Akhnaten de Philip Glass¹, monument hypnotique et exigeant, suivi quatre ans plus tard d’une œuvre du même compositeur : Satyagraha dont on notera qu’il s’agit de la première production en France de l’ouvrage du compositeur américain.

Une fresque envoûtante au souffle universel

Créé en 1980 à l’Opéra de Rotterdam, Satyagraha (littéralement « Force de la vérité ») (sur un livret du compositeur en collaboration avec Constance DeJong ) s’inspire de la vie de Gandhi et de sa philosophie de justice, de vérité et de non-violence inspirée de Tolstoï,Tagore et Martin Luther King et ce, hors des cadres narratifs habituels où la pensée prime sur l’action. Philip Glass y déploie une écriture minimaliste fondée sur la répétition, les variations harmoniques infimes et la lente montée de nappes orchestrales. Comme le souligne fort justement Bertrand Rossi « pareilles à des vagues musicales qui emportent l’auditeur, tel un nageur en proie à un continuel ressac ».

Cette partition, loin d’un lyrisme traditionnel, crée une expérience quasi méditative et spirituelle. Elle requiert un chef capable de maintenir tension et respiration : Léo Warynski, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Nice, a su donner à ces flux sonores une architecture lisible, jouant des plans dynamiques avec précision, sans jamais laisser retomber l’énergie. La pâte orchestrale s’est révélée lumineuse, avec un sens du phrasé qui rendait perceptible le cheminement intérieur du héros.

Une mise en scène chorégraphique aux lumières et projections immersives

Comme en 2021 pour Akhnaten, les concepteurs scéniques Lucinda Childs (mise en scène et chorégraphie), Bruno de Lavenère (décors et costumes), David Debrinay (lumières) et Etienne Guiol (vidéo), reviennent avec leur esthétisme épuré, fait de symboles puissants, de verticalité et de mouvements collectifs. L’espace scénique, dominé par des voiles translucides, permet des jeux de lumière subtils, évoquant tour à tour l’Afrique du Sud coloniale, l’Inde spirituelle et un monde intemporel. Par ailleurs les projections fixes et mobiles à 360°non seulement sur le plateau mais dans toute la salle – loges et plafond compris – enveloppent les spectateurs dans une lame de fond immersive. La chorégraphie, très stylisée, intégrant le chœur et le ballet dans une gestuelle fluide, donne au drame sa dimension rituelle et universelle.

Une distribution vocale engagée

L’ouvrage, chanté en sanskrit, exige des artistes une diction précise et une endurance exceptionnelle. Le ténor malgache Sahy Ratia² en Gandhi fait valoir une émission aisée, un timbre clair et un style châtiée en osmose avec l’ascétisme scénique du personnage et en parfaite adéquation avec sa force spirituelle et sa profondeur symbolique et mystique.

Autour de lui, les solistes (Melody Louledjan, Julie Robard-Gendre, Karen Vourc’h, Jean-Luc Ballestra, Frédéric Diquero et Angel Odena) et le chœur (qui joue ici un rôle central et qui s’est révélé en tous points remarquable) ainsi que le ballet de l’Opéra de Nice Cote d’Azur se sont illustrés par leur cohésion et leur engagement, maintenant la tension dramatique dans une partition où le temps semble suspendu.

Un accueil chaleureux du public

Si la proposition pouvait sembler risquée pour une ouverture de saison, le public niçois a réservé un accueil chaleureux, saluant longuement orchestre, chef, metteuse en scène. Beaucoup ont souligné la force visuelle et la beauté plastique du spectacle, tout en découvrant une facette différente de l’opéra certes moins narrative que les ouvrages traditionnels, mais profondément spirituelle et émotive.

Un moment fort et une étape majeure à l’orée de cette prometteuse saison niçoise 2025/2026

Christian Jarniat

3 octobre 2025