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PIANO JAZZ, COCKTAILS, JAPON ET AUTRES DÉLICES

PIANO JAZZ, COCKTAILS, JAPON ET AUTRES DÉLICES

jeudi 25 septembre 2025

De la variété des cocktails à celle des expressions musicales – (c) D. R.

Réflexions sur la musique dans les bars de qualité et brèves considérations sur un passé où des musiciens promis à une célébrité universelle se trouvaient au piano pour divertir femmes du monde, consommateurs sages et marlous. Ces lignes, traitant aussi d’aujourd’hui, réunissent l’art de vivre, l’univers jailli des shakers et les joies de la découverte. Structurées en particulier dans un bar parisien nommé « Mesures », elles donnent raison à l’adage suivant de Camille Saint-Saëns : « Il n’y a que la bonne et la mauvaise musique. »

***

Quel est le dénominateur commun entre certains monstres sacrés de la musique classique ayant été des chefs d’orchestre, comme des pianistes, de premier ordre ? Ils furent, au temps de leurs études artistiques supérieures, claviéristes dans des établissements festifs ou pianistes parmi des bars. Un certain Pierre Boulez (1925-2016) joua ainsi des ondes Martenot durant des revues du Moulin rouge. Quant aux pianistes, on trouva parmi eux Erik Satie (1866-1925) à la tâche parmi les lupanars de Montmartre ou encore Max Deutsch (1892-1982), élève d’Arnold Schönberg et futur grand professeur de composition en train d’accompagner les tours de chant donnés par Édith Piaf avant la Seconde Guerre mondiale.

Je me souviens d’ensembles de brasserie se produisant encore – lorsque j’étais enfant au milieu des années 1950 – au Palais de la Bière d’Épinal. Comme ailleurs, en France et à l’étranger. Depuis, ils ont disparu. Le coût du travail, le raz-de-marée Qobuz, le changement des modes de vie ont eu raison de ces formations réunissant souvent trois ou quatre instrumentistes, dont un pianiste jouant ce que l’on nommait le conducteur. Les programmes étaient constitués de danses, de morceaux dits de genre et de transcriptions-arrangements venant d’œuvres classiques. Il m’est arrivé de lire, parmi des bibliothèques spécialisées, la partition d’une fantaisie sur des thèmes des « Maîtres-Chanteurs de Nuremberg », ouvrage fameux de Richard Wagner. Pour sa part, Joseph Kosma (1905-1969) aura donné une pièce intitulée « Zourika », destinée aux cabarets.[1]  Datant de 1935, elle raconte une rencontre entre la campagne et la ville hongroises. Cette page réunit un piano-conducteur et quelques cordes.

Il a longtemps suffi que, dans un restaurant ou un bar, un piano captive les consommateurs. Cette magie existe toujours, dans la réalité comme au cinéma. Les hôtels de luxe de Zürich, de Los Angeles, de Vienne, de Prague ou de Paris cultivent toujours cette tradition. Je l’ai savourée au Waldhaus de Sils Maria ou à l’Hôtel Elefant de Weimar – aimé de Thomas Mann – après que j’aie donné une conférence dans cette ville. Au cinéma, Charles Aznavour a été au centre de «  Tirez sur le pianiste », un film célèbre de François Truffaut. On a pu, depuis peu, voir « Oui », travail du réalisateur israélien dissident Nadav Lapid (*1975). Ce cinéaste montre les désastres psychologiques suscités par le conflit israélo-palestinien ayant débuté le 7octobre 2023. Son récit mêlant l’amour, la haine et le désespoir comporte une scène consensuelle. Elle montre, dans un restaurant de Tel Aviv, deux musiciens à l’œuvre sur un piano à queue. Dès qu’ils se mettent à jouer, les clients de l’établissement quittent leur table et font un demi-cercle autour d’eux.

Une pareille séquence atteste de la dimension thérapeutique caractérisant la musique. Mais cette dernière peut connaître des variations. On le mesure pleinement du côté de la Loire-Atlantique où une série de dissonances sans résolution harmonique attendue retentit actuellement à l’énoncé du nom de René Martin. Le directeur-fondateur des fameuses « Folles Journées » de Nantes a fait l’objet d’une enquête conjointe – en deux volets –  de « La Lettre du Musicien » et de « Médiacités » sur son management, ses frais de bouche et des « attitudes salaces ».[2] L’affaire prend une large dimension. Comment, dans un pareil contexte, se désinhiber ? Grâce au gros plant ou à des cocktails à déguster dans des bars spécialisés ? Ne pourrait-on pas créer un cocktail à l’absinthe, au piment rouge et au jus de goyave ? Pourrait-on le baptiser «  La musique n’adoucit pas les mœurs. » ? Ces idées apparaissent chez moi depuis que, voici quelques années, le pianiste virtuose Simon Ghraichy m’a initié à la mixologie, art de la création des cocktails. En effet, notre musicien franco-libano-mexicain est autant à l’aise chez Liszt que dans la préparation d’un Bellini. Un cocktail Bellini, j’entends …

Je m’aperçois, en rédigeant, que d’autres individus appartenant à mon entourage immédiat ou proche donnent dans la confection des cocktails, utilisant ainsi un instrument percussif que j’adore : le shaker. Il y a – parmi les barmen diplômés de ma connaissance – les fils de mes amis François Kahn et Thierry Kerébel. Ces deux garçons ont étudié en Suisse ou pratiqué à Londres. Le pianiste Stéphane Blet (1969-2022) m’emmenait antan au « Harry’s Bar » de la rue Daunou. Ce 17 septembre, je me suis transporté dans le Marais, ayant la chance de découvrir « Mesures » et la magnifique liste de ses dix-huit cocktails du soir – des réalisations de premier ordre – grâce à Alexis Menantaud, un ami parisien.[3] Véritable épicurien, Alexis ne choisit pas au hasard. Il adore la musique. Comme nous ne sommes pas de la même génération, il m’amène à découvrir des continents sonores auxquels je me refusais l’accès, continents célébrés – à Paris – au « Virage » ou au « Trabendo ». Ils appartiennent à une planète immense, la musique, dont les terres ne se nomment pas seulement Mahler ou Rameau.

Alexis me conduit donc chez « Mesures ». Le concept de l’établissement est étudié. On y diffuse des vinyles de jazz, choisis avec passion et érudition. Nous discutons avec le maître des lieux. Il me demande un nom d’artiste. Je cite John Coltrane (1926-1967), saxophoniste afro-américain et grande figure du genre. Bientôt, l’un de ses premiers enregistrements retentit. Ensuite et grâce à Alexis, j’apprends ce qu’est le « jazz kissa », dont « Mesures » constitue – en quelque sorte – l’ambassade parisienne. Ces deux mots désignent des cafés japonais spécialisés dans la diffusion et l’appréciation du jazz enregistré. Yukio Mishima (1925-1970) ou Seiji Ozawa (1935-2024) les fréquentèrent. Apparus parmi l’Empire du soleil levant à la fin des années 1920, ils s’y développèrent jusqu’à être au nombre de six cents. Mais Pearl Harbour et ses conséquences portèrent un grand préjudice aux « jazz kissas ». Ils connurent une recrudescence après 1945, à une époque où l’US Army occupait l’archipel et où les disques importés coûtaient trop cher pour être achetés en quantité par des particuliers.

J’aurai négligé – par ignorance – durant mes trois séjours au Japon de découvrir ces « bars d’écoute » in situ. Je suis alors allé vers le kabuki, le nô, les mangas et la yakuza. Mon regret est net. L’attrait nippon pour la culture occidentale m’a également toujours fasciné. Ces derniers temps, je me limitais à l’axe musical germano-japonais s’étant mis en place sous l’ère Meiji. Il permit à des Nippons d’assister, en 1876, à l’inauguration du Festival de Bayreuth et au couturier Yojhi Yamamoto (*1943) d’y signer les costumes de « Tristan et Isolde » en 1994. De son côté, Hidemaro Konoe (1898-1973), l’un de leurs compatriotes, dirigea l’Orchestre philharmonique de Berlin durant un unique concert en 1924.[4] Me voici maintenant, grâce à Alexis, sur la voie d’un enrichissement artistique et humain. Je suis heureux de le proposer à mes lecteurs.

Dr. Philippe Olivier

 

[1] « Zourika » figure parmi divers inédits de Joseph Kosma, devant prochainement paraître chez le label français indépendant nommé Hortus. Ce CD portera le titre « À la belle étoile ». Le pianiste Thomas Tacquet et la mezzo-soprano Anne-Lise Polchlopek sont au nombre des interprètes.

[2] Voir « La Lettre du Musicien » du 18 septembre 2025. www.lalettredumusicien.fr.

[3] Ouvert début 2024, l’établissement est au 58, rue de Saintonge dans  le 3ème Arrondissement, donc au cœur du Marais. www.instagram.com/mesures.paris/

[4] Egalement compositeur, Konoe conduisit le premier enregistrement électrique de la « Quatrième Symphonie » de Gustav Mahler en 1930. Il devint ensuite l’un des principaux professeurs japonais de direction d’orchestre.

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