Paru sous le label Harmonia Mundi, cette intégrale en 3 CD des mélodies de Georges Bizet permet, pour la première fois, de disposer d’un album reflétant dans leur totalité, inédits compris, les qualités mélodiques et expressives du génial compositeur de Carmen et de L’Arlésienne.
Réalisé avec le soutien du Palazetto Bru Zane-Centre de musique romantique française et de l’association des Amis de Georges Bizet, cette intégrale trouve sa source dans l’idée d’un programme éclectique permettant à plusieurs types de voix de mêler les genres et les styles musicaux autour du piano de salon. Une soixantaine de titres répertoriés selon l’ordre choisi par le compositeur ou son éditeur (Choudens pour Vingt mélodies, Seize mélodies et les duos édités, Heugel et Cie pour Feuilles d’album, Taldoni pour Chants des Pyrénées, Hartmann pour Six mélodies) sont ainsi enregistrés, parmi d’autres – 8 précisément – totalement inédits (des pièces de jeunesse mais aussi quatre mélodies des années 1870) qui, la plupart du temps, font déjà entrevoir la délicatesse et l’expressivité de l’amateur de théâtre qu’a toujours été Bizet.
De fait, on est immédiatement séduit par la sonorité de pianos d’époque, tour à tour pianino Pleyel 1835 pour le cycle des Chants des Pyrénées, Erard 1898 pour les Vingt mélodies puis les Seize mélodies et encore Pleyel 1857 pour les premières pièces éditées, les inédits et duos édités et les Feuilles d’album. Ce sont deux pianistes à l’endurance particulièrement significative, Luca Montebugnoli et Edoardo Torbianelli, qui se succèdent dans l’accompagnement d’un quatuor de voix dont certaines – celle de Cyrille Dubois en particulier – sont déjà familières de ce répertoire1 tandis que d’autres, Marianne Croux (soprano), Coline Dutilleul (mezzo-soprano) et Guilhem Worms (baryton-basse), qui le sont moins, s’y font entendre avec un égal bonheur, en gardant à l’esprit l’importance de la simplicité dans ce type d’expression.
De cet ensemble de pépites, si subtilement amorcé par« Chanson d’avril » où le souci de l’expression dans la voix de l’ineffable Cyrille Dubois s’adapte merveilleusement au rythme de la mélodie et permet d’en dégager toute la sonorité, on retiendra de brefs instants de figuralisme musical où le piano murmure des sonorités printanières ou nous emporte vers un rythme hispanisant de bolero (« Guitare »). Ailleurs, si le sentiment amoureux domine et permet aux interprètes d’en décliner tout le nuancier – du ton badin de « Je n’en dirai rien », si joliment interprété par Marianne Croux, au ton angoissé d’ « Absence » (Théophile Gautier), toujours ciselé par Cyrille Dubois – les moments de virtuosité pure ne sont pas absents, comme « Tarentelle », « Douce Mer » où le célèbre « Adieux de l’hôtesse arabe » – avec sa couleur orientalisante – nous donnent à l’entendre à travers leur art de la vocalise.
On se gardera d’oublier, enfin, que Bizet, grand amateur d’opéra dès sa plus tendre jeunesse – son père et son oncle sont tous deux professeurs de chant – construit ses mélodies, certes d’un grand éclectisme, comme autant de « petits drames lyriques » (comme l’écrit Ernest Reyer au moment de la publication du recueil des Vingt mélodies chez Choudens) qui nous laissent pantois devant la beauté mélancolique de « Matin », emprunté par le compositeur à son Chœur « Pastorale » extrait de L’Arlésienne.
Dire que cette intégrale est indispensable à la discothèque de tout amateur de mélodie est une évidence, enfin permise par la curiosité audacieuse d’Harmonia Mundi.
Hervé Casini
Les artistes
Luca Montebugnoli et Edoardo Torbianelli : piano
Cyrille Dubois : ténor
Marianne Croux : soprano
Coline Dutilleul : mezzo–soprano
Guilhem Worms : baryton-basse
Le programme :
Mélodies de Georges Bizet (1838-1875) – Premier enregistrement intégral
3 CD Harmonia Mundi HMM 905388.90 Harmonia Mundi
en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane
1 Voir notre compte-rendu pour « Résonances Lyriques » du récital de mélodies de Cyrille Dubois au château de Montauban, Fontvieille :
