Sous la houlette cette année du baryton-basse Tomasz Konieczny, l’un des Wotan les plus célèbres de sa génération, en collaboration avec le pianiste et chef de chant Thomas-Michael Gribow, les six élèves de la master-class de chant du Festpielhaus 2025 donnent, en présence de Katharina Wagner, un aperçu prometteur de l’avenir du chant wagnérien.
C’est l’honneur d’un festival international de l’envergure de celui de Bayreuth que de permettre à de jeunes artistes – dont certains sont déjà à l’orée d’une carrière internationale -, de se faire entendre des festivaliers dans le cadre magique de la villa Wahnfried, qui plus est en présence de l’arrière-petite fille de Richard Wagner !
Disons le d’emblée : le crû 2025 de cette master-class nous a tout simplement bluffé, non seulement par la qualité de la préparation des trois chanteurs et trois chanteuses réunis et par leur personnalité individuelle mais aussi, pour la plupart d’entre eux, par la prise de risque dans le choix des œuvres au programme, faisant la part belle aux compositions de l’enchanteur de Bayreuth.
C’est à la mezzo-soprano allemande Janina Schweitzer d’ouvrir les festivités en Vénus, avec un « Geliebter, komm ! » extrait de Tannhäuser nous donnant à entendre une voix au velouté soyeux, dont nous percevons d’emblée l’aigu d’airain, ce que nous confirmera, en début de deuxième partie, une « ballade de Senta » du Vaisseau fantôme abordée avec tout l’aplomb indispensable à ce type de chant. En outre, l’artiste est également capable de nuances dans l’approche psychologique de ce long récit halluciné.
Quel instant suspendu que celui du récitatif et de la romance à l’étoile de Wolfram, au troisième acte de Tannhäuser ! Le baryton sud-coréen Minki Kong, diplômé de la prestigieuse Julliard School de New York, nous en fait entendre une version pleine de poésie et d’intelligence dans la façon de ciseler un chant particulièrement rigoureux : avec la complicité d’un Thomas-Michael Gribow faisant retentir si merveilleusement le piano de la maison Wagner, sans nul doute l’un des moments les plus émouvants de cette fin de matinée.
Avec Monika Radecka, jeune soprano slovaque déjà amenée à chanter des premiers rôles sur bon nombre de scènes d’Europe centrale et des pays baltes, on est conquis par la manière pleine de douceur d’aborder le récit de Sieglinde au premier acte de Die Walküre avant que l’organe ne s’envole dans la partie haute d’un ambitus vocal d’une belle homogénéité. Dans l’air choisi en fin de deuxième partie, extrait de La fiancée vendue de Smetana, l’interprète nous entraîne avec elle dans les beautés nostalgiques de l’âme tchèque et achève de ravir le public qui lui réserve un accueil particulièrement chaleureux.
Beau succès également pour le ténor chinois Peng Tian, élève au CNSM de Paris, en particulier dans le somptueux « Der Engel » extrait des Wesendonck lieder puis dans « Gigerlette », extrait des Brettl-lieder de Schœnberg. La voix est solide et l’aigu bien présent : et c’est bien celui d’un ténor… ! Un bel espoir en devenir.
Comme beaucoup de spectateurs, le choix des œuvres abordées par le baryton-basse polonais Mateusz Lugowski – un extrait du monologue d’Amfortas au troisième acte de Parsifal, le bouleversant « Ja, wehe ! Weh’über mich ! » et le monologue final de Wotan dans Das Rheingold « Abendlich strahlt der Sonne Auge » – m’a totalement emballé ! Artiste se produisant déjà sur plusieurs scènes européennes, Mateusz Lugowski n’attend plus que la confirmation de quelques grandes maisons d’opéras pour amorcer la carrière internationale que lui ouvrent légitimement des moyens vocaux superlatifs : un chanteur à suivre sans nul doute.
Mais c’est sans doute la contralto ukrainienne Vanda Kozub qui nous a le plus impressionné : dès qu’ont retenti dans Wahnfried les premiers accents des visions d’Erda « Weiche, Wotan, weiche ! » extraites de Das Rheingold – auquel, luxe suprême, Tomasz Konieczny donne les répliques indispensables – j’avoue avoir immédiatement pensé que l’on tenait là, enfin, une voix authentique de contralto et non de mezzo voulant chanter les contralto ! Quelle puissance absolument bluffante dans la projection chez cette jeune interprète et quelle parfaite maîtrise de l’interprétation alors que la voix, si ample, pourrait ne pas être encore tout à fait stabilisée. Dans la poignante mélodie de la compositrice ukrainienne Yudif Rozhavskaïa (1923-1982) « Alte Weise », Vanda Kozub fait monter l’émotion de l’auditoire de plusieurs degrés par la qualité étonnante d’une voix qui sait également faire preuve de morbidezza (mœlleux) et achève de nous convaincre de l’impérieuse nécessité de la réentendre ! Une voix à suivre… de très près !
Hervé Casini
10 août 2025
Les artistes
Janina Schweitzer: mezzo-soprano
Monika Radecka: soprano
Vanda Kozub: contralto
Peng Tian: ténor
Minki Kong : baryton
Mateusz Lugowski : baryton-basse
Thomas-Michael Gribow: piano
Tomasz Konieczny : enseignant
