Deuxième reprise cette année, après Macbeth vu la veille au Macerata Opera Festival, la production de Rigoletto créée en 2015 au Sferisterio est remontée par son metteur en scène Federico Grazzini. Nous sommes à la fête foraine, précisément au Luna Park comme indiqué par l’enseigne lumineuse qui entoure la tête de bouffon géante sur le mur du fond, bouche grande ouverte pour permettre les entrées et sorties des artistes par ce passage central.
La scénographie se compose d’alignements de tentes à l’arrière, de la caisse de vente de tickets, aux vitres cassées, une camionnette à gauche et une caravane à droite, deux bancs et plusieurs réverbères. On reste donc dans ce décor unique d’espace extérieur, y compris pour les scènes d’intérieur chez le Duc de Mantoue, le bal du premier tableau du premier acte se transformant sans difficulté en fête de nuit où l’on allume les guirlandes d’ampoules multicolores. Comme attendu, Rigoletto fait enfermer à clé sa fille Gilda dans la caravane et c’est là que Borsa, Ceprano et leurs acolytes enlèveront la jeune fille. Ces mêmes courtisans du Duc se montrent particulièrement cyniques au deuxième acte, placés en ligne derrière des barrières pour se moquer de Rigoletto.
Puis le troisième acte s’ouvre avec cinq prostitués, trois femmes et deux hommes travestis, en jupes très courtes et hauts talons qui tournent autour des lampadaires et aguichent le Duc à son entrée en scène. Sparafucile est le propriétaire de la camionnette, en fait un food truck où les invités du bal au premier acte faisaient la queue pour acheter des boissons. On amène, pour ce dernier acte, ce camion-restaurant au centre du plateau, Sparafucile portant un tablier de cuisinier tout tâché et aiguisant ses couteaux à l’intérieur du véhicule. Gilda viendra toquer à la porte, puis se fera poignarder, après le dramatique trio Gilda – Maddalena – Sparafucile sur fond d’éclairs. Sparafucile donne à Rigoletto le sac censé contenir le cadavre du Duc, mais le bouffon y découvre une femme, pendant que Gilda soi-même nous apparaît debout derrière la camionnette qui s’éloigne. Une fin plutôt énigmatique donc avec cette double Gilda morte et/ou vivante, après un traitement somme toute classique, l’originalité du food truck de Sparafucile mise à part.
Il faut ensuite mentionner la superbe direction musicale de Jordi Bernàcer, aux commandes des musiciens de l’Orchestra Filarmonica Marchigiana qu’il parvient à galvaniser. La musique possède un grand caractère ce soir, présente de belles couleurs et nuances variées, entre silences éloquents et climax de la partition, comme le trio du III évoqué plus haut. Les musiciens et choristes semblent d’ailleurs parfois légèrement à la traîne par rapport aux départs ou rythmes donnés par le chef, par exemple pour le passage « Zitti, zitti moviamo a vendetta » en fin de premier acte, en léger décalage passager.
Les voix n’amènent malheureusement pas les mêmes satisfactions, comme celle du rôle-titre tenu par Damiano Salerno, baryton doté d’une généreuse longueur de souffle, mais au grave limité et au registre aigu en manque de brillant pour véritablement nous marquer. Sa conclusion des premier et troisième actes « Ah, la maledizione ! » n’est pas spécialement explosive, mais son air de colère « Cortigiani, vil razza dannata » du II ressort avec plus de force, sur une musique qui s’amplifie et diminue comme en d’impressionnantes vagues pendant la tempête. Le personnage dégage de l’émotion au cours de ses doux passages, mais parfois avec un petit déficit de stabilité dans le registre aigu.
En Duca di Mantova, le ténor Ivan Magrì dispose de moyens, voix capable de puissance en particulier, mais le style se rapproche régulièrement d’un certain vérisme étranger à ce rôle verdien. Le registre le plus grave se fait également très discret et le vibrato s’accentue fortement lorsque le chanteur pousse à plein ses aigus. Moment très attendu, « La donna è mobile » produit son effet sur le public, mais l’instrument bouge sur certaines notes poussées à la limite et la souplesse est perfectible à la conclusion fleurie de l’air.
Nous avions apprécié la soprano Ruth Iniesta entendue ces trois dernières années à Saint-Etienne et Marseille, dans les rôles-titres de Thaïs et Traviata. Sa Gilda ce soir ne procure pas les mêmes satisfactions, peut-être en raison des conditions de représentation, dans ce vaste Sferisterio où les solistes peuvent être amenés à la limite de forcer leurs moyens pour en faire profiter au mieux l’auditoire. La musicalité reste fine et les aigus disponibles, mais le niveau de vibrato devient parfois envahissant, comme dans « Caro nome ». Peut-être également qu’en raison du choix du metteur en scène de faire mourir (ou pas) Gilda debout ce soir, l’émotion ne nous submerge pas au final.
Le reste de la distribution est plus que correctement pourvu, par Luca Park (… Luna Park à une lettre près !) en Sparafucile, voix noire comme son personnage aux tatouages qui dépassent sur les mains et le cou, ou encore la Maddalena de Carlotta Vichi, figure de caractère aux graves profonds mais par instants qui tirent vers le prosaïque. Aux côtés du Monterone sonore d’Alberto Comes, on remarque aussi le magnifique timbre grave d’Aleksandra Meteleva, qui n’a toutefois que peu à chanter, même si elle cumule les rôles de Giovanna et de la Contessa di Ceprano.
Irma FOLETTI
8 août 2025
Rigoletto, opéra de Giuseppe Verdi
Macerata, Sferisterio
Direction musicale : Jordi Bernàcer
Mise en scène : Federico Grazzini
Décors : Andrea Belli
Costumes : Valeria Donata Bettella
Lumières : Alessandro Verazzi
Reprise des lumières : Ludovico Gobbi
Il Duca di Mantova : Ivan Magrì
Rigoletto : Damiano Salerno
Gilda : Ruth Iniesta
Sparafucile : Luca Park
Maddalena : Carlotta Vichi
Giovanna : Aleksandra Meteleva
Monterone : Alberto Comes
Marullo : Giacomo Medici
Matteo Borsa : Francesco Pittari
ll Conte di Ceprano : Tong Liu
La Contessa di Ceprano : Aleksandra Meteleva
Usciere di corte : Stefano Gennari
Paggio della Duchessa : Laura Esposito
FORM-Orchestra Filarmonica Marchigiana
Coro Lirico Marchigiano “Vincenzo Bellini” (chef des choeurs : Christian Starinieri)
Complesso di palcoscenico : Banda Salvadei
___________________________________________________________________________________