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OPÉRA DE LIMOGES / FESTIVAL URBAKA / CARMEN, OPÉRA-PAYSAGE / JEANNE DESOUBEAUX

OPÉRA DE LIMOGES / FESTIVAL URBAKA / CARMEN, OPÉRA-PAYSAGE / JEANNE DESOUBEAUX

samedi 28 juin 2025

©Steve Barek

Après Carmen, un piano dans la montagne (Sandrine Anglade), Carmen, cour d’assises (Alexandra Lacroix) et divers concerts, l’Opéra de Limoges termine en fin de saison son approche multi-facettes de l’opéra de Bizet avec Carmen, opéra-paysage (Jeanne Desoubeaux). Ce dernier monté par la compagnie « Maurice et les autres » a été donné pour la première fois en juin 2023 au théâtre de l’Aquarium à Paris. Il a ensuite bénéficié de son succès immédiat et d’une vaste coproduction pour être réclamé par de nombreux théâtres, scènes nationales et opéras.

Jeanne Desoubeaux, une conception décentrée de la mise en scène : aller dans l’œuvre et vers le public

La metteuse en scène Jeanne Desoubeaux est arrivée à la mise en scène lyrique par le théâtre mais aussi par la musique (elle a une formation de claveciniste). En 2018 elle créé la compagnie « Maurice et les autres » avec laquelle elle produit l’Enfant et les sortilèges et Didon et Énée de Purcell. Elle rejoint l’Académie de l’Opéra national de Paris ; elle est très vite associée à de nombreux projets. Parmi les mises en scène on retiendra, outre Carmen, opéra-paysage, en 2021-22 Où je vais la nuit, d’après Orphée, l’opéra de Gluck, La Esmeralda de Louise Bertin, et en 2025 Orlando de Haendel monté au théâtre du Châtelet, la direction musicale étant assurée par Christophe Rousset.

La mise en scène de Carmen, opéra-paysage de Jeanne Desoubeaux motivée par le théâtre autant que par la musique, loin pourtant d’être oubliée, est particulièrement décapante. Jeanne Desoubeaux ne met pas en opposition la fin cruelle de l’ouvrage, la forme sanglante que prennent les violences faites aux femmes, et l’énergie qui se dégage du spectacle où l’improvisation n’est qu’apparente. La metteuse en scène s’explique dans le dossier de presse sur l’implication de chacun dans une Carmen qui se veut « joyeuse, collective, politique » : « Il y a aussi une forme de militantisme, et on sait que les collectifs, les forces militantes sont des groupes joyeux, même si on lutte contre des choses abominables, on est ensemble. »

Loin d’être statique, le spectacle trouve sa place qui le rapproche du public dans l’espace et les extérieurs. Même si le cadre est aboli et le point de vue néantisé, on ne quitte pas le réalisme, voire une forme de vérisme, puisque l’opéra lui-même se déroule dans des lieux publics et essentiellement ouverts. L’intrigue est dans ses grandes lignes conservée. L’ouvrage de Bizet s’inscrit dans des formes très codifiées, même si la mort de compositeur l’année de la création en 1875 a pu faire hésiter ensuite sur la version à retenir (avec ou sans texte parlé et certains ajouts discutés). Le « paysage » n’implique aucun dépaysement puisqu’il permet de rester fidèle au livret d’origine. En revanche les rencontres et les altercations sont sous le regard de tous ; les conventions sont évacuées ; « quand un harcèlement de rue se termine par un féminicide », la violence ne s’y pare pas de la sociabilité et des visions dictées par la sociologie.

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©Steve Barek

Le Jardin de l’Évêché à Limoges

La mise en scène est concertée en fonction des conditions, y compris matérielles et changeantes selon les lieux de la représentation. À Limoges, c’est au Jardin de l’Évêché par une étouffante soirée d’été qui rapprochait des températures dignes de l’Espagne qu’a été donné le spectacle.

C’est bien l’itinérance qui structure la scénographie réduite au minimum. Le public installé au premier acte devant les portes du musée de l’Évêché, se déplacera pour le second sous les arbres du parc (rien à voir avec les marronniers de Figaro !) ; pour le dernier acte (car l’ouvrage est resserré en trois actes), le parcours accidenté en contrebas de la cathédrale conduit à la cour de l’école Louise de Marillac qui était inconnue même d’un Limougeaud de souche comme votre chroniqueur.

Dans une mise en scène riche, attentive à tous les moments du spectacle, les fins d’actes sont particulièrement soignées. La séguedille est chantée sans orchestre à la limite du parlé chanté (le « plateau » est nu !). Quant à la fin de l’ouvrage, elle n’a rien d’un finale d’opéra ; le féminicide est perpétré en coulisses comme dans le théâtre classique et don José s’enfuit. L’absence de la coda dans l’orchestre de Bizet empêche toute interprétation figée ; elle met face au choc et à la mort.

Chaque acte a eu sa propre couleur. L’acte I évoque la vie de garnison (et les propos qui vont avec !). La dramaturgie fait une place non négligeable au texte parlé réécrit dans l’esprit du sociétal d’aujourd’hui. On décrypte le « prends garde à toi ! » ou les arguties de la légitime défense lorsqu’il faut juger l’acte agressif de Carmen envers les ouvrières, tout cela après une ouverture de spectacle où Mercedes et Frasquita dissertent de façon un peu délayée sur le consentement. La musique n’est évidemment pas oubliée avec une habanera très enlevée répartie entre les différents personnages.

Changement de climat à l’acte II. Si la base orchestrale est celle d’un piano, d’un violoncelle et d’une clarinette, plusieurs autres instruments interviennent joués par les acteurs eux-mêmes (trombone, trompette, batterie…). La musique militaire déjà présente à l’acte I se poursuit à l’acte II, la taverne de Lillas Pastia servant de lieu de pouvoir mais aussi de plaisir à l’armée. L’acte est bruyant et animé avec la chanson bohème reprise à l’envi. Il saura faire sa place aux rythmes gitans (ukulélé, clarinette…). Cet acte II est le seul à recourir aux micros. Il est celui aussi des grands tubes de l’ouvrage : le duo, l’air de la fleur, et – dans un ordre réaménagé – bien sûr les couplets du toréador.

L’acte III est celui du triomphe d’Escamillo dans l’arène et dans le cœur de son inconstante amoureuse. L’acte qui paraît enchâssé se déroule comme une cérémonie. Après un trio des cartes superbement mis en scène et préfiguratif du destin, le duo du toréador avec la gitane précède le crime de José. La stupéfaction ne vient qu’après une séquence où les personnages grimaçants ne semblent pas croire à l’inéluctable.

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©Steve Barek

Des comédiens, chanteurs et musiciens

Présenté dans le cadre du Festival Urbaka consacré aux cultures urbaines, le spectacle donne la possibilité aux artistes de sortir des emplois dans lesquels on les range trop souvent. Ils sont comédiens, chanteurs et la plupart musiciens.

Annoncée souffrante, Anaïs Bertrand prise par l’ambiance n’en laisse rien paraître. Les notes longues, graves, accrocheuses dressent un profil vocal qui colle avec le personnage revendiquant sans concession sa liberté (on sourit au personnage « horriblement déplaisant » évoqué dans le Noël et Stoullig de 1875 !).

On avait déjà chroniqué Kaëlic Boché dans son brillant Quipasseparla du Voyage dans la lune ; son don José a tout pour séduire dans l’incarnation du personnage déclassé et dans la voix homogène, au timbre plein et charmeur.

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©Steve Barek

Jean-Christophe Lanièce a également croisé nos chroniques cette saison avec l’impressionnant Brasillach dans Voyage d’automne au Capitole de Toulouse et le gouleyant mari des Mamelles de Tirésias à l’Opéra de Limoges ; il inscrit l’air d’Escamillo et les deux duos avec Carmen (comme son rôle de Morales) dans un phrasé idéal, aux intonations mordantes et nuancées à la fois ; l’autorité et un certain romantisme se dégagent de l’être de feu.

Les voix de Mercedes et de Frasquita s’harmonisent à merveille. Celle de la première chantée par Pauline Leroy est claire et expressive ; la Frasquita d’Agathe Peyrat démontre des qualités de couleur et de souplesse.

Zuniga revient à Igor Bouin très en relief par rapport au même rôle dans l’opéra ; l’interprète est également un des maîtres d’œuvre avec Jérémie Arcache de la partition. La metteuse en scène Jeanne Desoubeaux est un épatant Lillas Pastia donnant son souffle à l’acte II. Les trois instrumentistes, Solène Chevalier, Vincent Lochet et Flore Merlin sont musicalement parfaits et en situation.

On ne s’avance pas en disant que le public a adoré ce spectacle payé 1 euro et même gratuit en restant debout et en cela ne démentant pas le concept (d’ailleurs théorisé par Alexandre Koutchevsky) de l’opéra-paysage !

Didier Roumilhac

28 juin 2025

Mise en scène : Jeanne Desoubeaux
Direction musicale : Jérémie Arcache et Igor Bouin
Scénographie / espace : Cécilia Galli
Costumes : Alex Constantino

Carmen : Anaïs Bertrand
Zuniga : Igor Bouin
Violoncelle : Solène Chevalier
Lillas Pastia : Jeanne Desoubeaux
Escamillo / Moralès : Jean-Christophe Lanièce
Clarinette : Vincent Lochet
Mercedes : Pauline Leroy
Piano : Flore Merlin
Don José : Kaëlig Boché
Frasquita : Agathe Peyrat

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