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Odéon de Marseille : La Mélodie du bonheur triomphe et appelle à une reprise incontournable

Odéon de Marseille : La Mélodie du bonheur triomphe et appelle à une reprise incontournable

dimanche 25 mai 2025

© photo Christian DRESSE

Certes, un large public connaît le célèbre film The Sound of Music de Robert Wise (1965) avec Julie Andrews et Christopher Plummer, d’après le roman autobiographique The Story of the Trapp Family Singers de Maria Augusta Trapp, qui retrace la vie de la famille Trapp en Autriche, dans les années 1930, à la veille de l’annexion nazie. Ce film a séduit plusieurs générations et demeure une référence absolue du cinéma musical (d’après la comédie musicale créée à Broadway en 1959, ultime collaboration du célèbre duo Richard Rodgers et Oscar Hammerstein). Pourtant, force est de constater que la France a longtemps souffert d’une certaine pauvreté dans l’accueil scénique réservé à cette comédie musicale majeure.

Il a fallu attendre l’ère bénie de Jean-Luc Choplin, alors directeur du Théâtre du Châtelet, pour que le genre de la comédie musicale anglo-saxonne trouve enfin droit de cité avec une évidente splendeur dans une grande maison française. Choplin monta en effet une quinzaine de comédies musicales de référence (entre autres celles de Stephen Sondheim) instaurant un tournant décisif dans le paysage culturel parisien. Grâce à lui, The Sound of Music fut enfin représenté sur l’emblématique scène de la capitale en 2009 dans une véritable production d’envergure signée Emilio Sagi (reprise en 2011).

Un souffle nouveau à l’Odéon : celui de la comédie musicale

A Marseille l’Odéon demeure le dernier bastion en France proposant une saison complète d’opérette dans un lieu spécifique voué à ce genre. C’est donc tout à l’honneur de ce théâtre d’avoir pris le pari (largement gagné) d’inscrire la comédie musicale de Richard Rodgers et Oscar Hammerstein dans sa programmation. Entreprise doublement méritoire : d’une part parce qu’elle rend hommage à une œuvre emblématique du XXe siècle, d’autre part parce qu’elle témoigne d’un renouvellement d’ambition pour un théâtre populaire assumé.

En effet, ces dernières années, l’Odéon a très intelligemment décidé d’élargir sa programmation au répertoire du « musical » qui séduit un très large public et permet un renouvellement des spectateurs. Ce fut le cas récemment avec No, No, Nanette de Vincent Youmans (en mars 2023) ou encore La Cage aux Folles de Jerry Herman (en octobre 2023) énorme succès populaire, déjà salué lors de son passage à l’Opéra de Nice (dans la mise en scène trépidante de Serge Manguette). C’est dans cette logique que s’inscrit aujourd’hui cette production de La Mélodie du bonheur, en attendant l’année prochaine une nouvelle incursion dans l’univers musical américain avec Hello Dolly ! de Jerry Herman.

Un pari qui se solde par une belle réjouissante réussite scénographique

On pouvait légitimement se poser la question suivante : comment, avec un plateau relativement étroit et des dégagements exigus, le Théâtre de l’Odéon de Marseille allait-il parvenir à monter une comédie musicale comme La Mélodie du Bonheur, type même de la comédie musicale à un très grand spectacle, avec une multiplicité de lieux différents, aussi bien en extérieur qu’en intérieur ?

La surprenante et réjouissante réussite tient pour beaucoup à l’excellente scénographie imaginée par les Ateliers Sud-Side. Ces derniers ont conçu un décor quasi unique – une solution qui avait d’ailleurs déjà été adoptée (de manière certes différente) lors de la production du Châtelet à Paris – Il s’agit ici d’une structure à deux niveaux, dont l’étage supérieur est muni de fenêtres (pour la maison de von Trapp) lesquelles peuvent se transformer astucieusement en vitraux d’église pour figurer toutes les scènes se déroulant au couvent qui abrite l’héroïne Maria.

Ce décor simple mais d’une grande intelligence de conception est par ailleurs parfaitement transformable grâce à un jeu de toiles additives de projections, fixes et mobiles, qui permettent d’évoquer rapidement les paysages autrichiens ou les intérieurs de la villa des von Trapp, ce qui est d’autant plus remarquable que la scène, bien qu’étroite, parvient à donner une illusion d’espace et de variété.

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© Christian DRESSE

Une mise en scène fluide et dynamique signée Carole Clin

Grâce au support offert par des décors particulièrement astucieux, la metteuse en scène Carole Clin a pu inscrire sa lecture dans une mise en scène à la fois fluide et cinématographique, rythmée par des changements de lieux rapides et souvent effectués à vue. Cette capacité à faire circuler l’espace scénique, à suggérer sans jamais surcharger, donne à l’ensemble un dynamisme qui rappelle celui d’un montage filmique, si essentiel dans une œuvre aussi visuelle que The Sound of Music.

Il faut dire que Carole Clin, grande amatrice de comédie musicale – elle fréquente régulièrement les théâtres londoniens où le genre est roi – connaît parfaitement les codes du musical anglo-saxon. Son attachement profond à ce répertoire transparaît dans chaque tableau, et elle parvient à en proposer ici une traduction scénique formelle et élégante, qui en respecte les canons tout en gardant une certaine fraîcheur de regard. Danseuse et chorégraphe de formation, Carole Clin insuffle également à son spectacle une énergie chorégraphique continue. La danse y est, comme dans toute bonne comédie musicale, le prolongement logique de l’émotion.

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© Christian DRESSE

Une distribution judicieusement choisie

Dans le rôle délicat de Maria, Julie Morgane s’impose, et son interprétation constitue, pour nombre de spectateurs, une belle surprise. Le public de l’Odéon de Marseille la connaît bien : elle y est une habituée des rôles d’opérette, où elle assume avec brio les emplois de fantaisistes, pétillantes et effrontées (quand ce ne sont pas des emplois comiques de composition comme Zénaïde dans Quatre jours à Paris de Francis Lopez). Pourtant, il serait réducteur de l’enfermer dans cette unique facette : Julie Morgane est une artiste complète, dotée de multiples cordes à son arc.

Ici, elle trouve dans la comédie musicale un terrain d’élection qui lui convient parfaitement. On sent qu’elle aime profondément ce genre, qu’elle en cerne parfaitement les codes et qu’elle en comprend les exigences et les élans. Il ne s’agit d’ailleurs pas pour elle d’une première incursion dans ce registre : témoin son incarnation très réussie de Magnolia, le rôle principal féminin de Show Boat de Jérome Kern. De même nous l’avions particulièrement apprécié à Nice dans le spectacle consacré aux célèbres standards de Broadway interprétant, entre autres, Roxie de Chicago de John Kander et en duo avec Julien Salvia « So in Love » de Kiss me Kate de Cole Porter, « Tea for two » de No No Nanette et – déjà ! – Maria de La Mélodie du bonheur. Oui, elle s’avère convaincante dans un rôle de jeune première romantique, avec une sensibilité qui n’est jamais feinte, et une voix chantée claire, articulée, charmeuse parfaitement conduite et stylistiquement adéquate qui correspond à celle que l’on attend dans pareil répertoire et en outre dessinant une héroïne en adéquation idéale avec les diverses facettes du personnage: jeune fille timide, ingénue et pour autant enjouée au couvent, gouvernante – ô combien attachante ! – adorée des enfants, femme amoureuse…

Nous avons toujours suivi avec intérêt la carrière de Sébastien Lemoine, un artiste dont les interprétations nous ont toujours charmés. Nous gardons notamment en mémoire une prestation particulièrement marquante : celle de Ta Bouche, de Maurice Yvain au Théâtre de l’Athénée à Paris avec la compagnie Les Brigands. Heureusement, une captation vidéo permet d’en conserver le souvenir, témoignage précieux d’une performance de très grande qualité.

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© Christian DRESSE

Plus récemment, Sébastien Lemoine s’est produit en concert à l’Opéra de Marseille, dans le cadre des festivités marquant le centenaire de sa reconstruction. Il y a alors interprété, avec élégance et sensibilité, plusieurs extraits d’opérettes et de comédies musicales. Forts de cette expérience, nous pressentions qu’il serait un von Trapp élégant, stylé, et parfaitement en situation dans ce rôle exigeant.

Il faut souligner que le personnage de von Trapp, tel qu’écrit par Rodgers et Hammerstein, évolue dans une tessiture mixte, entre baryton et basse, requérant une voix à la fois chaleureuse, sombre et noble. Sébastien Lemoine répond à cette exigence avec une parfaite maîtrise vocale. De plus, son jeu s’accorde admirablement avec celui de sa partenaire, formant un couple scénique absolument idéal, où la différence d’univers et de tempérament entre les personnages nourrit précisément l’émotion de leur rapprochement : un couple que l’amour réunit et qui devient le cœur battant du spectacle.

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© Christian DRESSE

Parmi les autres rôles, on saluera Fabrice Todaro toujours très apprécié du public et dont on connaît la carrière significative dans l’opérette comme dans la comédie musicale. Il incarne un Max à la fois exubérant drôle et finement dessiné. Son aisance vient sans doute aussi de son héritage artistique. Son sens du rythme et de la réplique font ici merveille.

Face à lui, Perrine Cabassud campe une Comtesse belle et savoureuse. Elle est, elle aussi, une fidèle de l’Odéon de Marseille, où elle a déjà fait preuve de son éclectisme et de son intelligence scénique. Ce qui est notable dans cette production, c’est que la comtesse chante ici les parties significatives de deux ensembles qui sont souvent coupés dans certaines productions, choix qui permet de redonner à ce personnage toute sa consistance et sa place dans la dynamique dramatique de l’œuvre.

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© Christian DRESSE

Au-delà des rôles principaux, La Mélodie du Bonheur réunit une constellation de rôles secondaires qui n’en demeurent pas moins essentiels à l’équilibre dramatique et à la richesse de l’ensemble. On retiendra notamment Philippe Béranger, qui campe avec une inquiétante sobriété le personnage de Zeller, et Jean-Luc Epitalon, comédien polyvalent, qui incarne avec justesse plusieurs figures d’autorité, telles que l’amiral von Schreiber ou encore le baron Elberfeld.

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© Christian DRESSE

Autre présence marquante, Claude Deschamps, habitué des rôles de fantaisiste et qui prête ici son jeu expressif au majordome, Franz rendu subtilement ambigu et inquiétant . Dans un tout autre registre, on salue la fraîcheur et la justesse du couple adolescent incarné avec une tendresse évidente : Jean Goltier en jeune premier crédible dans le rôle de Rolf, et Jade Viards, lumineuse Liesl von Trapp. Leur duo emblématique, “J’ai seize ans et bientôt dix-sept ans”, déborde de naturel, de candeur et d’émotion ; un moment suspendu, empreint de pureté amoureuse adolescente.

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© Christian DRESSE

Il faut encore souligner un rôle particulièrement marquant dans cette production : celui de la Mère Abbesse. Il est ici interprété par la mezzo-soprano Lucie Roche, qui livre une prestation d’une rare intensité. Cet emploi exigeant sur le plan vocal, requiert en effet une large extension de la tessiture, (notamment dans l’air emblématique « Gravir chaque montagne ») tout en conservant une autorité et une douceur spirituelle. On retrouve un exemple comparable de difficulté vocale dans un autre rôle de Richard Rodgers, celui de Lady Thiang dans Le Roi et moi. Il convient également de mentionner les sœurs du couvent, incarnées avec justesse et engagement : Sabrina Kilouli dans le rôle de Sœur Marguerite, Esma Mehdaoui dans celui de Sœur Sophie, et Manon Pizzichemi en Sœur Berthe. Toutes trois forment un trio parfaitement harmonieux, tant sur le plan vocal que scénique. Leurs interventions musicales, essentiellement lors des scènes d’introduction, contribuent grandement à installer cette atmosphère paisible et recueillie du couvent, en contraste avec le tumulte qui suivra.

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© Christian DRESSE

Mais s’il est une palme toute particulière à décerner, elle revient sans conteste aux adorables interprètes des enfants von Trapp. Ici, les rôles sont assumés par les talentueux jeunes chanteurs de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône, qui font preuve d’un professionnalisme, d’une précision vocale et d’une spontanéité rares à cet âge tant sur le plan du théâtre du chant que de la danse. Notons que deux distributions alternent : nécessité réglementaire et éthique évidente, empêchant des enfants de jouer deux jours d’affilée.

La direction musicale revient au maestro Didier Benetti, qui s’impose d’année en année comme le chef attitré de l’Odéon de Marseille, tout en demeurant une figure incontournable de Musiques en Fête aux Chorégies d’Orange. À la tête de l’excellent orchestre de l’Opéra de Marseille, il donne tout son éclat à la partition exigeante, mais subtilement orchestrée de Richard Rodgers, qu’il dirige avec un sens affûté du rythme, de la couleur orchestrale et du style propre à la comédie musicale anglo-saxonne. rappelant – sil en était besoin – que ce répertoire mérite d’être servi avec autant de rigueur que de passion..

Il faut également saluer la prestation toujours exemplaire du Chœur Phocéen, fidèles compagnons des grandes productions de l’Odéon. Leur précision, leur cohésion et leur implication scénique contribuent une nouvelle fois à la qualité globale du spectacle. Ils apportent notamment une grande force dans les ensembles religieux du début ainsi que dans les tableaux d’ensemble plus amples.

Enfin tressons des louanges méritées à l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, dont l’exécution musicale rime  avec souplesse et élégance.

Une reprise de cette Mélodie du bonheur s’impose ainsi qu’une large place à donner désormais à la comédie musicale à l’Odéon

Maurice Xiberras qui, avec talent, assure conjointement à Marseille la direction de l’Opéra et de l’Odéon mérite d’être chaleureusement félicité et remercié pour avoir instauré, depuis peu, un élargissement de la programmation vers le genre de la comédie musicale. L’introduction de ces grandes œuvres anglo-saxonnes, dans un théâtre historiquement voué à l’opérette, marque une ouverture heureuse vers un répertoire encore plus large et plus populaire.

Le public, extrêmement nombreux et manifestement conquis, a réservé un accueil des plus chaleureux à cette production. L’émotion palpable dans la salle ainsi que l’enthousiasme tout au long de la représentation ainsi qu’au salut final confirme que cette initiative doit être poursuivie. Pareilles œuvres attirent un public vaste, familial, intergénérationnel preuve que le spectacle musical a encore de très beaux jours devant lui à Marseille. En tout état de cause il faut rapidement reprendre cette production de  La Mélodie du bonheur. Deux représentations seulement pour une ville comme Marseille priverait une large part de public d’un moment de bonheur parfait !

Christian Janiat
25 mai 2025

Direction musicale : Didier Benetti
Mise en scène : Carole Clin

Distribution :

Maria Rainer : Julie Morgane
Mère Abbesse : Lucie Roche
Elsa Schraeder (La Baronne) : Perrine Cabassud
Frau Schmitt : Carole Clin
Liesl von Trapp : Jade Viards
Sœur Marguerite : Sabrina Kilouli
Sœur Sophia : Esma Mehdaoui
Sœur Berthe : Manon Pizzichemi
Von Trapp : Sébastien Lemoine
Max : Fabrice Todaro
Zeller : Philippe Béranger
Amiral von Schreiber / Baron Eberfeld : Jean-Luc Épitalon
Franz : Claude Deschamps
Rolf : Jean Goltier

Enfants de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône
Chœur Phocéen
Orchestre de l’Opéra de Marseille

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