Pour illustrer le thème du Festival ARSMONDO consacré cette année à la Méditerranée, Alain Perroux, directeur de l’Opéra national du Rhin, a choisi de programmer, entre concerts, lectures, films et conférences, la très rare Giuditta de Franz Lehàr, ultime œuvre du compositeur créée en 1934 à l’Opéra de Vienne.
A Strasbourg, Alain Perroux a donné la version française de cette histoire, inspirée du livre, adaptée au cinéma sous le titre de Morocco en 1930, chef d’œuvre de Josef von Sternberg avec Marlène Dietrich et Gary Cooper.
Les seuls airs connus de l’œuvre sont « Freunde, dass Leben ist lebenswert » et « Meine Lippen , sie küssen so heiss », régulièrement entendus lors de récitals. On se souvient de la version exceptionnelle d’Anna Netrebko au Festpielshaus de Baden-Baden et de Jonas Kaufmann lors d’un récital hommage à Richard Tauber !!!!
Il s’agit de la rencontre d’une femme, éprise de liberté au passé trouble et inconnu qui fascine les hommes et d’un légionnaire (dont on devine aussi le passé également nébuleux). Une oeuvre qui n’est pas sans rappeler Carmen.
A Strasbourg, la mise en scène a été confiée à Pierre-André Weitz, enfant du pays. Décorateur attitré d’Olivier Py, il respecte l’époque et les différents lieux de l’action située dans les années 1930, des deux côtés de la Méditerranée, dans un port du Sud de la France, puis au bord de la mer au Maroc, ensuite à Tripoli et pour finir dans une capitale européenne. Dans sa scénographie spectaculaire et richement colorée, Pierre-André Weitz qui a également réalisé les costumes, place un cirque sur la place du village avec les déambulations de divers artistes et phénomènes de foire : culturistes, trapézistes, femme obèse, nain, deux sœurs et bien sûr, des personnages de la commedia dell’arte, créant un certain fouillis.
Si les toiles peintes et l’évocation du bateau traversant la Méditerranée, le cabaret du 4e tableau et le restaurant huppé du dernier, les chorégraphies d’Ivo Bochiero sont réussies et séduisantes, Pierre-André Weitz ne parvient pas à donner consistance et vie aux personnages et ne convainc pas au final. L’attitude de Giuditta n’a ni aura ni mystère et ne semble être qu’une danseuse/prostituée au destin banal. De même que l’agitation (soi-disant comique) du couple Anita/Séraphin ne déclencha aucun rire du public, et certaines scènes parlées, souvent caricaturales finissent par lasser. Cette mise en scène reflète souvent les mœurs de l’entre-deux-guerres. Le seul regard perturbateur se situe à la fin, avec l’entrée au restaurant de Son Altesse, muni d’un brassard orné d’un drapeau nazi, rappelant la montée du nazisme et la guerre proche.
Vocalement, le plateau ne convainc pas totalement. Peu aidée par une direction d’acteur trop discrète, la soprano Melody Louledjian se trouve confrontée à une tessiture trop exigeante, qui la met parfois en difficulté. Son charme et sa belle plastique ne compensent pas tout à fait le manque de grave et les tensions dans l’aigu. Sa voix manque sensiblement d’homogénéité.
Dotée d’une ligne de mannequin, elle danse bien, est une actrice exceptionnelle, possède la prestance scénique, mais n’a pas le sex-appeal incomparable de Marlène Dietrich ni le charisme vocal de la Netrebko. Le ténor Thomas Bettinger s’en sort mieux en Octavio à l’aigu sonore et tendu, aux graves moins percutants. Ni l’un ni l’autre ne disposent cependant des immenses moyens qui étaient ceux de Richard Tauber et de la grande Jarmila Novotna.
Sahy Ratia et Sandrine Buendia campent le couple Anita et Séraphin apportant un contrepoint léger, à la façon de Mi et Gustav du Pays du Sourire. Tous deux offrent un chant assuré et réjouissent les spectateurs par leur interprétation scénique, fraîche, pleine de vivacité. Les seconds rôles tirent habilement leur épingle du jeu et sont habilement tenus : Christophe Gay est très convaincant dans le quadruple rôle qui lui échoit, Jacques Verzier est excellent en Jean Cévenol. Rodolphe Briand et Pierre Lebon brillent autant par leurs dons de comédiens que de chanteurs. Quant à la comédienne Sissi Duparc, elle use de ses rondeurs pour d’ogresques Lolita, Femme Mappemonde ou chasseur de l’ Alcazar.
Musicalement, le succès revient avant tout à l’Orchestre National de Mulhouse et des Chœurs de l’Opéra National du Rhin, placés sous la direction alerte et précise du chef autrichien Thomas Rösner, qui connaît son Franz Lehàr sur le bout des doigts et cela s’entend. La vivacité et la précision, le soin apporté aux différents instruments et l’énergie qu’il insuffle magnifient un Orchestre National de Mulhouse précis et en pleine forme. Cependant, le spectacle aurait supporté une direction moins symphonique et plus attentive aux chanteurs.
Somme toute, ce spectacle de plus de trois heures, est accueilli par le public avec des applaudissements nourris mais pas triomphants.
Une belle découverte cependant.
Marie-Thérèse Werling
11 Mai 2025
Distribution :
Direction musicale : Thomas Rösner
Mise en scène, décors et costumes : Pierre-André Weitz
Chorégraphie : Ivo Bauchiero
Lumières : Bertand Killy
Giuditta : Melody Louledjian
Octavio : Thomas Bettinger
Anita : Sandrine Buendia
Séraphin : Sahy Ratia
Jean Cévenol : Jacques Verzier
Manuel, Sir Barrymore, son Altesse : Nicolas Rivenq
Marcelin, l’Attaché, Ibrahim, un chanteur de rue : Christophe Gay
L’Hôtelier, le Maître d’hôtel : Rodolphe Briand
Lollita, le Chasseur de l’Alcazar : Sissi Duparc
Le Garçon de restaurant, un chanteur de rue, un sous-officier, un pêcheur : Pierre Lebon
Un acheteur : Young-Min Suk (Artiste du Chœur de l’OnR)
Orchestre national de Mulhouse
Chœur de l’Opéra national du Rhin, Chef de Chœur : Hendrik Haas