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Château de Montauban – Fontvieille – « Ô TEMPS ! SUSPENDS TON VOL … » : Dans un salon de musique au tournant du siècle, comme si on y était, avec Cyrille Dubois !

Château de Montauban – Fontvieille – « Ô TEMPS ! SUSPENDS TON VOL … » : Dans un salon de musique au tournant du siècle, comme si on y était, avec Cyrille Dubois !

vendredi 30 mai 2025

© Jean-Baptiste Millot

Dans le cadre d’une programmation toujours aussi stimulante, l’association « les Fêtes des quatre saisons » proposait à un public nombreux et toujours friand de découvertes musicales une soirée consacrée à un florilège du répertoire de la mélodie française – de la dernière moitié du xixeme siècle (Bizet, Fauré) à la première moitié du xxeme (Ravel, Poulenc) – par le ténor français Cyrille Dubois, l’un de ses ambassadeurs les plus talentueux.

Quand la magie des mots rejoint la quintessence de la musique.

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Dans la nuit calme et déjà estivale de Provence, face à la noble façade du château de Montauban, demeure des Ambroy, cousins de l’auteur des Lettres de mon moulin et de tant d’autres grands livres, ce sont tout d’abord les arpèges du piano de Tristan Raës qui captent l’attention. Avec l’entrée, à la fois discrète et assurée, de l’instrument par excellence de la mélodie française, c’est, le temps d’une soirée, toutes les effluves d’un Salon fin-de-siècle – chez les Daudet par exemple, à Paris, au 31 rue de Bellechasse – qui remontent lentement à la surface.

Pour réussir un tel programme, il faut non seulement un chanteur doté de solides qualités de diction, afin de rendre les textes les plus intelligibles possibles, mais aussi – et peut-être surtout – un interprète capable de faire partager à son auditoire sa vision de poèmes mis en musique qui constituent autant de poussières d’étoiles dont il est, pour un soir, l’ambassadeur privilégié. De ces qualités, on savait Cyrille Dubois l’heureux détenteur : le récital concocté pour Fontvieille aura été une occasion unique d’en faire l’expérience sur le vif.

C’est donc avec cinq mélodies de Bizet, extraites de son opus 21 Vingt mélodies1, que Cyrille Dubois nous plonge dans un univers fait tout à la fois de naturel musical et d’un goût sans faille pour construire, dans chacune d’entre elles, autant de « petits drames lyriques ciselés avec un art des plus délicats », comme l’écrivait Ernest Reyer lors de la publication du recueil chez Choudens. Que l’on ne s’y trompe pas cependant : la suavité avec laquelle ces pièces sont interprétées n’est jamais synonyme d’une affectation quelconque ! Ainsi, le souci de l’expression, si prégnant dans ce chant, s’adapte au rythme de la mélodie et permet d’en dégager toute la sonorité. A chaque fois, un art consommé de la diction porte le ténor à ciseler chaque mot tout en parvenant, si nécessaire, à alléger sa projection vocale, en maîtrisant parfaitement son vibrato comme l’amorce de « Chanson d’avril » vient en donner une preuve d’emblée significative. L’héritage de la rigueur et de la précision technique du chant baroque, longtemps fréquenté par notre ténor – autrefois haute-contre – constitue également une qualité de ce chant qui semble faire fi des difficultés d’écriture dont sont pourtant émaillées certaines de ces pépites (« Douce Mer » d’après les « Adieux à la mer » de Lamartine).

C’est également d’un travail de complicité parfaite avec le pianiste dont il s’agit ici : dans le bucolique thème « Le Matin » – emprunté par le compositeur à son Chœur « Pastorale » extrait de L’Arlésienne – ou dans le tempo de valse qui débute « La Coccinelle », on admire cette collaboration dans le contre-chant exigé chez l’instrumentiste et qui, bien loin d’un simple accompagnement pianistique, vient épouser la moindre inflexion d’une voix aux multiples couleurs pour mieux dialoguer avec elle.

Le choix de Maurice Ravel – dont, à juste titre, Cyrille Dubois rappelle au public que l’on célèbre cette année le cent-cinquantième anniversaire de la naissance – permet de poursuivre dans l’exploration d’un genre marqué par sa prosodie si particulière, puisque c’est désormais du cycle intitulé « Les Histoires Naturelles » – cinq mélodies sur des textes de Jules Renard – dont il s’agit.

Ici, c’est avec la maîtrise d’une sorte de sprechgesang à la française qu’interprète et pianiste font assaut de souplesse et d’esprit pour partager ces textes, à l’originalité humoristique, avec un public qui apprécie visiblement le jeu de la découverte du bestiaire chanté qui lui est proposé. A titre personnel, l’impressionnisme pianistique des eaux scintillantes du « Cygne » nous reste gravé dans l’oreille.

Gabriel Faure Cyrille Dubois Tristan Raes Aparte visuel

C’est tout naturellement dans Gabriel Fauré, dont le duo Dubois/Raës a enregistré, en 2022, l’intégrale du corpus mélodique, que l’osmose entre les deux interprètes se fait la plus profonde. En véritable passeur, Cyrille Dubois incite l’auditoire à prêter attention à l’élargissement du mode d’écriture chez l’un de nos plus grands compositeurs, auteur de plus d’une centaine de mélodies. Dans une approche continuant à privilégier, ici, clarté et luminosité de la projection, l’interprète fait résonner, dans « Le papillon et la fleur » (Victor Hugo), la rondeur d’un médium davantage sollicité, pour ne faire qu’un avec une forme musicale elle-même proche du Rondo. C’est, par ailleurs, le haut médium de la voix qui est à la fête dans « L’Aurore » (Hugo encore…) et qui donne à entendre des accents quasi-opératiques, proches un instant du Werther de Massenet… . Dans ces textes que Fauré va puiser dans le meilleur d’Hugo mais aussi d’Armand Silvestre, Leconte de Lisle ou Catulle Mendès, on reste admiratif devant un nuancier infini dans la conduite du legato et d’un chant qui demeure un modèle de style et de diction. Dans la superbe mélodie « La Rose, ode anacréontique », c’est un espace sonore qui s’ouvre soudain à notre écoute, comme nous en avait prévenu, au début de ce cycle, son humble serviteur d’un soir.

Pour terminer la partie officielle de ce programme panoramique, Cyrille Dubois se devait de rendre hommage à Francis Poulenc dont les quelques cent cinquante mélodies font de lui le dernier grand représentant du genre.

Afin d’éviter que son auditoire soit surpris par l’éclectisme d’une écriture pouvant alterner gravité et fantaisie, le ténor normand rappelle judicieusement la formule du critique Claude Rostand, qualifiant Poulenc de « Moine ou voyou » : l’opportunité d’en prendre la mesure survient, tout aussitôt, en écoutant successivement « Reine des mouettes », « C’est ainsi que tu es » et «Paganini », trois mélodies, écrites sur des poèmes de Louise de Vilmorin, puis les « airs chantés » sur des poèmes de Jean Moréas, tout autant de pièces dans lesquelles tant l’adéquation parfaite au texte poétique que la recherche minutieuse de la prosodie emportent tout sur leur passage !

Dans « C’est ainsi que tu es », c’est presque au piano de Tristan Raës qu’il revient d’être d’un lyrisme tout de retenu, la voix chantée n’intervenant que pour le soutenir. Et quel exercice de style, au naturel toujours aussi confondant, dans la virtuosité d’énonciation surréaliste de ces noms mis bout à bout pour «Paganini » ! Enfin, dans « Air grave », on est frappé par une amorce musicale où l’influence de Jean-Sébastien Bach – le seul compositeur joué aux funérailles de Poulenc – est bien présente mais se mue progressivement en vision de Nature céleste où l’on reconnaît, un instant, le compositeur des Dialogues des carmélites.

On aurait pu s’attendre en « bis » à une incursion dans le répertoire de l’Opéra puisque c’est une autre corde à l’art musical de Cyrille Dubois. Pourtant, afin de conserver à ce programme toute sa cohérence, c’est encore trois mélodies que nous distillent nos deux héros de la soirée : Dans « J’aime l’amour », libre réadaptation par Bizet de son opéra Djamileh, le ténor fait entendre avec panache son suraigu vaillant tandis que dans « Aux officiers de la garde blanche » (Poulenc) puis, plus encore, dans « Un secret » (Fauré), Cyrille Dubois et Tristan Raës prennent congé de l’auditoire sur la pointe des pieds, en semblant murmurer ces paroles à l’oreille du public, comme une confidence… peut-être adressée à la demeure qui aura servi de cadre à cette soirée magique, et dont Daudet écrivait :

« Ce merveilleux Montauban que j’aime de toute mon âme pour le bois de pins qui l’entoure et les adorables gens qui l’habitent ».

Hervé CASINI
30 mai 2025

1 Cyrille Dubois vient de participer à la gravure pour Harmonia Mundi d’une intégrale des mélodies de Georges Bizet dont nous rendrons prochainement compte dans ces colonnes.

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Les artistes

Ténor : Cyrille Dubois

Piano  : Tristan Raës

Le programme 

Mélodies françaises

Georges Bizet (1838-1875) : Chanson d’avril (Louis-Hyacinthe Bouilhet) ; Le Matin (d’après L’Arlésienne, A. Daudet) ; Après l’hiver (V. Hugo) ; Douce Mer (Lamartine) ; La Coccinelle (V. Hugo).

Maurice Ravel (1875-1937) : Les Histoires Naturelles, cinq mélodies sur des textes de Jules Renard : Le Paon ; Le Grillon ; Le Cygne ; Le Martin-pêcheur ; La Pintade.

Gabriel Fauré (1845-1924) : Le Papillon et la fleur (V. Hugo) ; Mai (V. Hugo) ; L’Aurore (V. Hugo) ; Automne (Armand Silvestre) ; La Rose, ode anacréontique (Leconte de Lisle) ; Dans la forêt de septembre (Catulle Mendès).

Francis Poulenc (1899-1963) : Métamorphoses – Cinq mélodies sur des poèmes de Louise de Vilmorin : Reine des mouettes ; C’est ainsi que tu es ; Paganini.

Airs chantés – Cinq mélodies sur des poèmes de Jean Moréas : Air romantique ; Air champêtre ; Air grave ; Air vif.

Bis :

Georges Bizet (1838-1875) : J’aime l’Amour (Louis Gallet)

Francis Poulenc (1899-1963) : Aux officiers de la garde blanche (Louise de Vilmorin)

Gabriel Fauré (1845-1924) : Le Secret (Armand Silvestre) 

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