Nous avions été particulièrement convaincus, l’an dernier, par la première édition de ce gala présentant le travail de Danse en corps, l’école de danse classique et contemporaine animée par Valentine Point-Lipari.
A l’issue d’un spectacle de près de deux heures qui trouve à nouveau dans le superbe théâtre à l’italienne de Tarascon, récemment restauré, le cadre idéal à un programme magnifiant une certaine vision du Beau, rendons nous à l’évidence : la rigueur artistique avec laquelle cette soirée a été conçue en fait un évènement de tout premier plan, dans le monde du ballet, qui doit être absolument encouragé !
Plaçant délibérément ce gala sous le double signe de la tradition et de la modernité, Valentine Point-Lipari et Brigitte Lipari ont construit leur programme en alternant, comme une évidence, des extraits de grands ballets classiques (La Belle au bois dormant et Le Lac des cygnes de Tchaïkovski, Giselle d’Adolphe Adam, Les deux Pigeons d’André Messager, Paquita de Léon Minkus) dont certains bien oubliés aujourd’hui (Ruses d’amour de Glazounov, Le Petit cheval bossu de Cesare Pugni) avec des partitions signées de compositeurs actuels aussi importants que l’américain Keegan DeWitt ou le britannique Ryan Lee West, plus connu dans ses musiques électroniques sous le nom de scène de Rival Consoles.
C’est ainsi qu’en ouvrant la première partie de la soirée par une variation contemporaine sur la chanson de Grand Corps Malade « Les gens beaux » et en la terminant par la Grande Valse du Lac des Cygnes, puis en plaçant une variation classique extraite du ballet de Messager Les deux Pigeons comme prélude à une deuxième partie qui s’achèvera par les sons électro. de l’album Overflow de Rival Consoles, Valentine Point-Lipari nous permet de saisir, en peu de temps, combien « Tout est dans tout » dans l’histoire du ballet !
De fait, voir plusieurs niveaux de jeunes danseuses et danseur – hélas un seul pour cette soirée1 ! – donner le meilleur d’eux-mêmes sur des musiques a priori aux antipodes est particulièrement réjouissant et permet, dans un théâtre plein à craquer, de constater combien il est vain de mettre des frontières à la musique, dès l’instant où elle est tout simplement bien écrite !
Dans un programme aussi bien construit et dans lequel il n’y a aucun temps mort, tous les numéros s’enchaînent avec une belle précision et laissent aux familles et aux amis le soin de constater les évolutions, tant individuelles que communes, des élèves de « Danse en corps ».
Saluons donc sans réserve des ensembles chorégraphiques réglés au cordeau où rien n’est laissé au hasard, de la beauté des tutus romantiques et de leurs couronnes pour le ballet blanc du Lac des cygnes jusqu’aux tutus plateaux du « Pas de huit » du Petit cheval bossu, en passant par les tenues hispanisantes et chamarrées de Paquita, propices au maniement de l’éventail, et les robes tuniques – ou lamées pour la « Valse d’amour » d’Edith Piaf – aux couleurs vives particulièrement adaptées dans les extraits plus contemporains.
Mais la qualité n’est pas seulement au rendez-vous d’une esthétique purement formelle : elle relève aussi du langage spécifique que donne Valentine Point-Lipari aux nombreuses chorégraphies qu’elle signe lors de ce gala.
Il faut ainsi un parfait mélange d’humilité simple et de grande passion pour faire éclore, chez des élèves ayant des niveaux de danse évidemment différents, la beauté émouvante d’une attitude, d’un jeté, d’un port de bras ou d’un port de tête ou même d’un simple enchaînement de pas.
Parmi les nombreuses variations au programme dont il faudrait souligner, pour chacune d’entre elles, la réelle rigueur artistique, nous avons particulièrement apprécié la belle osmose entre grâce et technicité gymnique présente dans la performance de Clara Breton Miras tout comme les arabesques maîtrisées d’Elsa Villebrun dans la chorégraphie de Marius Petipa pour « L’oiseau bleu » extrait de La Belle au bois dormant. De même, avec un maquillage la faisant ressembler à l’inquiétant Dark Maul de Star Wars, Clémence Raffin délivre, sur une musique électro aux accents vikings de Danheim, une variation parfaitement aboutie.
Dans le duo intitulé « Nous », dansé avec un bel engagement par Lisa Couton et Elsa Casini, Valentine Point-Lipari axe sa chorégraphie sur le thème de l’amitié profonde entre deux filles : Sur une partition quasi-chambriste du compositeur de musiques de films Keegan DeWitt, la reconnaissance immédiate de deux êtres est mise ici en valeur à travers une gestuelle faite de balancements du corps, de sauts cherchant constamment à établir la connexion entre la terre et le ciel et de mains qui ne finissent jamais de se retrouver. Un instant de pure poésie dansante auquel le spectateur est convié.
En outre, c’est dans l’écriture tout à la fois brillante et mélancolique de Tchaïkovski pour Le Lac des cygnes que les élèves de « Danse en corps », réunis pour ce grand ballet sur demi-pointes, mettent en exergue toute la technicité requise de pas, attitudes et mouvements dont ils savent faire preuve.
On se permettra de terminer ce compte-rendu par ce qui aura constitué pour nous l’un des moments suspendus de la soirée : le « Pas de huit » extrait du Petit cheval bossu de l’italien Cesare Pugni. Écrit originellement pour un « Pas de quatre », la chorégraphie de Brigitte Lipari libère littéralement les énergies de la classe supérieure de « Danse en corps » : dans des tutus plateaux aux dégradés de blanc, de rose et de bleu absolument irrésistibles, les jeunes danseuses, réunies à l’occasion pour de mini « Pas de Deux » où elles savent prendre tous les risques techniques, font preuve sur cette musique aux accents pimpants et enivrants d’une légèreté aérienne en parfaite harmonie avec ce côté vaporeux de la tulle qui donne à leurs gestes, un bref instant, cette sensation d’apesanteur et de grâce qui reste encore en mémoire, longtemps après la soirée terminée.
On a attend déjà avec impatience la prochaine édition de ce spectacle de grande qualité.
Hervé Casini
17 mai 2025
1 La soirée aurait du, en outre, nous permettre de retrouver avec plaisir, dans des chorégraphies signées Rodrigue Calderon, le jeune Flavien Angelle de l’école de danse nîmoise « Nemausa Danse » animée par Michèle Lucibello. Blessé malencontreusement lors de la répétition générale, nous n’avons pu profiter des deux variations classiques qu’il avait programmées mais espérons vivement le retrouver prochainement !