Au pays du soleil créé à Paris, au Théâtre du Moulin de la Chanson, le 22 octobre 1932 sur un livret et des couplets d’Henri Alibert et René Sarvil et une musique de Vincent Scotto s’inscrit dans le genre « opérette marseillaise», un style populaire dans l’entre-deux-guerres, qui mêle musique légère, folklore méridional, humour bon enfant et accents chantants du sud de la France.
Certains noteront – non sans étonnement – que les 3 premières de ces opérettes à succès du duo Alibert-Scotto : Au pays du soleil (1932) Trois de la marine (1933) et Arènes joyeuses (1934) n’ont pas été créées à Marseille, comme tout permettrait de le supposer, mais à Paris. Et plus surprenant encore Un de la Canebière (1935), Les Gangsters du Château d’If (1936) et Le Roi des galéjeurs (1938) au Théâtre des Célestins de Lyon ! Et on aura, à l’énumération de ces titres une pensée, teintée d’une évidente nostalgie, pour une époque où nombre d’opérettes étaient créées chaque année !1
Entourés de quelques auteurs et interprètes venus de l’incontournable Canebière ou de ses environs – les artistes marseillais surent apporter à une capitale bientôt conquise, une nouvelle recette de dépaysement empreinte d’une atmosphère de gaîté, d’insouciance, de farniente, le tout enrobé de ces expressions et de cet « assent » si chers à Pagnol.
Marcel Pagnol qui, d’une certaine manière, ne fut pas sans influence sur l’opérette marseillaise. En effet, le triomphe de Marius (Théâtre de Paris, 9 mars 1929) et de Fanny (Théâtre de Paris, 5 décembre 1931) (décidément toujours dans la capitale !) donna à Alibert et Scotto l’idée de profiter de cet engouement subit des parisiens pour le Midi.
La première opérette marseillaise, Au Pays du Soleil avec Henri Alibert (Titin) et Jenny Helia (Miette), a permis à ses auteurs de faire connaître les coins et décors pittoresques de Marseille qui vont de la rue Fortia à Notre-Dame de la Garde, en passant par le marché aux fleurs du Cours Saint-Louis, la fête locale de Saint-Giniez ou les bas-fonds de la cité phocéenne, tels qu’ils se présentaient au cours des années trente.
Au pays du soleil à l’Odéon de Marseille
Créée en 1932, l’opérette Au pays du soleil de Vincent Scotto s’inscrit dans la lignée des comédies musicales marseillaises de l’entre-deux-guerres, mais force est de constater qu’elle ne possède ni la verve ni l’impact populaire d’Un de la Canebière, créée trois ans plus tard, en 1935.
Le livret d’Henri Alibert et René Sarvil souffre objectivement ici d’une certaine indigence dramatique. L’intrigue, construite autour d’une trame policière naïve et peu crédible, manque à la fois de tension et de cohérence. Le tout se déroule au premier degré, sans le recul ou le second niveau de lecture qui auraient pu en accentuer la fantaisie. On se rapproche alors d’un enchaînement de quelques numéros chantés à la manière d’une revue, davantage que d’un récit théâtral structuré.
À l’inverse, Un de la Canebière s’appuie sur une mécanique comique beaucoup plus efficace : gags nombreux, rythme soutenu, et personnages certes stéréotypés mais beaucoup plus savoureux. Le succès de cette œuvre tient aussi à la force de ses chansons, devenues pour certaines de véritables « tubes » populaires : « Cane-cane-canebière », « Le Petit cabanon », « Le plus beau de tous les tangos du monde »… Des airs immédiatement reconnaissables qui ont largement contribué à la pérennité de l’opérette marseillaise dans l’imaginaire collectif.
Les chansons de Au pays du Soleil, quant à elles, s’avèrent moins marquantes. Des titres comme « Un fondu, Un momo » ou « À petits pas » ne brillent ni par leur mélodie ni par leur texte, et peinent à séduire durablement l’oreille. Il convient par ailleurs de rappeler que ces opérettes marseillaises comportaient rarement plus de six ou sept airs principaux. C’est pourquoi, dans certaines productions contemporaines – notamment celles d’Un de la Canebière – il est fréquent, pour étoffer la partie musicale, d’ajouter quelques numéros issus d’autres œuvres du même répertoire, comme « Zou! Un peu d’aïoli » emprunté à la Revue Marseillaise de 1932 ou « Le Plaisir de la pêche » des Gangsters du Château d’If de 1936, afin d’enrichir le spectacle. Ici a d’ailleurs été rajouté la chanson « Je n’suis pas bien portant » créée par Ouvrard en 1932 composée par Vincent Scotto.
Malgré les faiblesses indéniables de l’œuvre elle-même, la production proposée à l’Odéon de Marseille mérite néanmoins d’être saluée. Les décors, simples mais bien pensés, installent efficacement le cadre méridional typique. Les costumes colorés respectent les codes traditionnels de ce genre populaire et la distribution, homogène, fait preuve d’un réel engagement. Chaque interprète s’attachant à défendre son rôle avec conviction et humour, réussissant parfois à donner un peu d’épaisseur à des personnages somme toute caricaturaux.
Bien qu’Au pays du soleil demeure une opérette mineure dans le répertoire de Vincent Scotto, cette production marseillaise réussit toutefois à en tirer le meilleur, dans un esprit de fidélité et de générosité scénique avec une mise en scène de Carole Clin comme toujours efficace, une équipe de chanteurs-acteurs rompus à l’opérette et à la comédie musicale, des danseurs et des musiciens talentueux sachant donner un rythme vif à la représentation. Avec, de surcroît, un public comme toujours enthousiaste dans ce théâtre du haut de la Canebière et heureux de retrouver dans cette œuvre la fibre méridionale. Somme toute n’est ce pas l’essentiel ?…
Christian Jarniat
27 avril 2025
1 Au Théâtre du Châtelet : Nina Rosa de Romberg (1932), Rose de France de Romberg (1933), Au temps des merveilleuses de Christiné et Richepin (1934), Au soleil du Mexique de Yvain (1935), Yana de Christiné et Richepin (1936), Le Chant du Tzigane de Romberg (1937).
Co-direction musicale : Christian et André Mornet
Mise en scène : Carole Clin
Distribution :
Miette : Laura Tardino
Madame Estrassi : Julie Morgane
Anaïs : Elisabeth Aubert
Mado : Perrine Cabassud
Lisa : Fleur Mino
La Poissonnière : Sabrina Kilouli
Titin : Fabrice Todaro
Bouffetranche :Philippe Fargues
Chichois : Grégory Juppin
Francis : Jean-Luc Épitalon
Le Toulousain : Eloi Horry
Jojo : Laurent Bœuf