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Festspielhaus Baden-Baden « Un Freischütz » émouvant, poignant et brillant

Festspielhaus Baden-Baden « Un Freischütz » émouvant, poignant et brillant

samedi 3 mai 2025

©Manolo Press_Michael Bode

Donner un singspiel en concert n’est pas une mince affaire.

Pour une réussite, il faut des chanteurs qui soient aussi bons acteurs que chanteurs en langue allemande. Cela paraît difficile avec une distribution internationale. Dans ce Freischütz au Festspielhaus, Steppen Kopetzky (dans sa version de 1971) remplace les dialogues par une narration personnelle du personnage de Samiel (donc, le diable) dans un style plutôt poétique, moins diabolique que cynique qui fait une transition parfois un peu décousue entre les pièces musicales.

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©Manolo Press_Michael Bode

Que Samiel soit féminin (Johanna Wokalek est une excellente narratrice) n’apporte ni ne retranche rien à l’histoire, mais on reste un peu sur sa faim. On aurait préféré pus de mordant, de piquant…

Dans cette version, tout est parfait à commencer par le RIAS Kammerchor qui est un pur régal tout au long de l’œuvre, dans la scène de la Gorge aux Loups, où l’on perçoit les superbes effets atmosphériques, mais aussi dans les pages folkloriques de fêtes et du mariage. Le chœur d’hommes , dans le refrain des chasseurs, « Was gleicht auf Erden dem Jägervergnügen » , chante avec une précision rythmique qui n’était pas une simple marche mais ressemblait davantage à une danse. Quel plaisir avait-il à chanter cet air.

A la tête de la Kammerakademie de Potsdam, Antonello Manacorda qui en est le chef principal et le directeur artistique depuis quinze ans dirige d’une main de maître. Dès les premières notes de l’ouverture éclatante de contraste, on sent une véritable bataille entre le thème du pacte avec le diable, et celui tellement romantique et lyrique d’Agathe.

Manacorda a magnifié toutes les nuances de ce Freischütz où brillent la fougue, l’enthousiasme, la peur, l’inquiétude. Ce bel effet sonore est certainement dû à l’approche hybride de certains instruments où des cuivres et des bois à l’ancienne se mêlent à des vents modernes. En tout cas le résultat est très convaincant. Le chef obtient de son orchestre une précision et une justesse parfaites, mais aussi des couleurs légèrement âpres et veloutées, qui donnent une patine sonore d’une grande beauté. L’esprit romantique et populaire du chef d’œuvre de Carl Maria von Weber est superbement rendu, avec un enthousiasme jubilatoire.

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©Manolo Press_Michael Bode

Si les grands triomphateurs de la soirée sont l’orchestre et le chœur, les chanteurs ne sont pas en retrait pour autant. Même les seconds rôles sont magnifiquement tenus. Levente Páll est un Ottokar digne et énergique, faisant paraître cette autorité princière qui domine son chant, sans jamais forcer. Jongmin Park incarne à la fois Kuno et l’ermite. Il est rempli d’une autorité écrasante, ses basses sont très corsées dans le registre grave, mais s’illuminent d’un éclat presque prophétique, donnant à la scène finale de réconciliation une évocation. Milan Siljanov est un très bon Kilian, apportant une force paysanne robuste et une articulation succulente dans ses couplets du 1er acte. Le baryton-basse Kyle Ketelsen dans le rôle de Kaspar a apporté une force émotionnelle essentielle. Sa voix est riche en graves ténébreux du plus bel effet dans son air « Schweigt, Schweigt damit dich niemand warnt ». Il n’est pas facile de chanter le rôle d’un méchant et de rester sur un chant propre, mais il arrive, avec une grande rigueur de style, en jouant de ses couleurs sombres et de son allemand idéalement percussif, à une incarnation diabolique, sans la moindre grimace vocale.

Le ténor Charles Castronovo, familier de Baden-Baden surprend dans le rôle de Max avec une voix presque de baryton, elle a un grain sombre et mélancolique qui montre le chasseur moins comme un héros, mais comme un jeune homme déchiré dans ses sentiments. Il est comme toujours, valeureux et très correct, mais un peu décevant. On ne peut rien lui reprocher, à part un allemand un peu scolaire et un léger manque de charme, de soleil dans le timbre, ou de liant dans le phrasé. Mais Castronovo a compensé ce léger déficit par une honnêteté émotionnelle. Dans les rôles féminins, c’est du pur bonheur !!! Golda Schultz dans le rôle d’Agathe séduit par la sensualité frémissante de son timbre velouté. Son air « Leise, leise, fromme Weisse » tout en retenue et piani suspendus, est tellement bouleversant, tout comme sa prière au troisième acte « Und ob die Wolke sie verhülle ». Elle écarte tous les nuages et fait tomber la lumière grâce à sa voix longue, souple, délicieusement timbrée et son phrasé de rêve (surtout dans l’envolée lyrique à la fin de son premier air) . Le très court duo avec Ännchen où sa voix et celle de Nikola Hillebrand se marient est d’une indescriptible beauté, d’une fraîcheur douce et d’une grande complicité. Que c’était beau !!. La jeune Nikola Hillebrand (jusqu’alors membre de la troupe de l’opéra de Dresde, est une Ännchen délicieuse, désarmante de charme, de fraîcheur et de simplicité. Sa voix est scintillante, elle lance des airs de colorature sans aucun effort, tels des petits cailloux dans un ruisseau limpide. Elle chante avec beaucoup de légèreté et de lumière.

Servi par une direction absolument admirable et par une distribution vocale frisant la perfection, ce Freischütz à Baden-Baden est une belle réussite et a atteint sa cible !!!!

Marie-Thérèse Werling

 

Direction : Antonello Manacorda –

Agathe : Golda Schultz

Max : Charles Castronovo –

Ännchen : Nikola Hillebrand –

Kaspar : Kyle Ketelsen

Kuno : Jongmin Park–

Kilian : Milan Siljanov –

Ottokar : Levente Pàll

Samiel (rôle parlant) : Johanna Wokalek

Kammerakademie Potsdam – RIAS Kammerchor (Lucia Birzer)

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