Elle portait Marseille en elle, dans le grain de sa voix, l’ampleur de son regard, dans la façon qu’elle avait de faire vibrer la langue comme un chant ancien. Christiane Conil appartenait à cette caste précieuse d’actrices qui infusent le réel dans la fiction, sans jamais trahir ni l’un ni l’autre.
Petite par la taille, immense par le cœur et la justesse, Christiane laissait dans chaque rôle une empreinte tendre, une chaleur inoubliable. Elle portait la lumière, mais une lumière douce, tamisée, celle qui guide et éclaire sans aveugler. Sur scène comme à l’écran, elle ne jouait pas, elle vibrait. Chaque personnage, chaque mot, chaque silence, trouvait en elle une justesse rare.
Le grand public la connaissait pour ses apparitions au cinéma dans La French avec Jean Dujardin ou encore L’enquête Corse avec Christian Clavier ;mais elle était aussi populaire à la télévision, notamment dans Plus belle la vie, Petits secrets entre voisins. Christiane maîtrisait l’art de dire peu pour suggérer beaucoup. Une écoute rare, une présence pudique, un humour léger venaient nourrir chacune de ses apparitions, même les plus brèves.
Le grand écran l’avait accueillie avec la même évidence. On l’a vue auprès de Jean-Pierre Darroussin, Ariane Ascaride, Michel Galabru. Elle traversait les histoires en retrait du tumulte, mais toujours chargée d’une humanité bouleversante. Dans Marie-Jo et ses deux amours, elle s’effaçait à peine, pour mieux rendre visible ce qui ne se dit pas. Sa discrétion devenait force, sa mesure, intensité.
Et puis il y a eu Honorine. Ce rôle de cœur, de mémoire, dans Marius de Marcel Pagnol, monté par la Compagnie Biagini, Christiane y prêtait ses traits à la mère de Fanny avec une pudeur farouche, une vérité sans fard. Elle partageait alors la scène avec des comédiens de talent comme Frédéric Achard, avec qui elle échangeait une réplique comme on partage une confidence, dans un naturel désarmant. Face à lui dans le rôle de César, elle livrait une composition d’une justesse bouleversante. On l’aurait crue tout droit sortie d’une ruelle du Panier, le fouloir noué, la parole franche, le regard habité et cette dignité qui fait les mères du Midi. Elle ne jouait pas une Marseillaise : elle l’était indéniablement.
Derrière cette aisance apparente, se cachait une immense rigueur. Christiane ne laissait rien au hasard. Jusqu’aux coulisses, on la trouvait, livret en main, à répéter ses textes, à affiner une inflexion, à ajuster une respiration. Soucieuse d’être toujours au plus juste, elle abordait chaque rôle avec la même conscience, qu’il soit central ou fugitif. Une grande professionnelle, dans le plus noble sens du mot. Humble, discrète, concentrée, elle n’a jamais cherché les projecteurs, mais n’a jamais cessé de les mériter.
Bien plus qu’une artiste, Christiane fut une mémoire, un repère, une voix sage pour les générations qui l’ont suivie. Elle laissait dans les loges, sur les scènes, dans les studios et dans les cœurs, une trace douce et solide. Drôle, droite, profondément humaine, elle restait fidèle à elle-même. Aujourd’hui, le théâtre pleure une présence précieuse. Dans le silence qui suit son départ, reste la vibration d’un regard sincère, d’un mot juste, d’un amour immense pour son art.
Telle est la vie des hommes : quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins. Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants — mais peut-être qu’en les emmenant au théâtre, on leur transmettra ce que Christiane Conil incarnait si bien : la noblesse du simple, la beauté du vrai, et la puissance bouleversante d’un regard sincère.
Cécile Beaubié
