Depuis sa création en 2013, le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence met à son affiche une Passion de Bach, en alternant généralement d’année en année entre les versions selon saint Jean et selon saint Matthieu. C’est ainsi qu’en 2023, à la tête de son orchestre des Talens Lyriques et du Chœur de Chambre de Namur, Christophe Rousset dirigeait entre autres Ian Bostridge en Evangéliste et Benjamin Appl en Jésus dans ce même ouvrage. La comparaison (qui n’est certes pas raison !) est toutefois cruelle avec cette édition 2025, qui ne restera pas parmi les grands crus de la manifestation, pour ce qui concerne du moins la Passion de Bach.
L’orchestre Les Ambassadeurs – La Grande Écurie, placé sous la direction du violoniste et chef Thibault Noally, provient de la fusion, en 2020, des deux formations Les Ambassadeurs et La Grande Écurie et la Chambre du Roy, cette dernière fondée en 1966 par Jean-Claude Malgoire, chef disparu en 2018. L’ensemble « historiquement informé », selon la formule consacrée, joue sur copies d’instruments d’époque et produit un son baroque d’une agréable rondeur. La maîtrise technique de plusieurs instruments n’est cependant pas toujours maintenue à son maximum, aussi bien chez certains vents qu’aux cordes, tandis que les tempi impulsés par le chef étonnent par moments.
Mais c’est surtout l’absence de chœurs qui surprend l’auditeur, dans cette version où chacun des huit solistes placés à l’avant-scène prend un pupitre du double-chœur, quatre à jardin donc et quatre à cour, tandis que quatre autres choristes se tiennent en fond de plateau pour de brèves autres interventions. Dès les premiers chorals, on ressent en effet le manque d’ampleur, de puissance, de souffle du collectif, même si les huit solistes font leurs meilleurs efforts pour produire de beaux effets acoustiques en stéréo afin de simuler les chœurs n°1 et 2. Mais le compte n’y est pas vraiment et c’est rapidement une impression de frustration qui envahit l’auditeur, pour une interprétation quelque peu dénaturée de l’œuvre.
Dans ces conditions, ce sont les airs séparés qui intéressent le plus, ainsi que les récurrentes interventions de l’Evangéliste, à la charge de Valerio Contaldo. Le ténor possède une voix bien concentrée et homogène, aux accents barytonnaux dans sa partie la plus grave, mais qui sait aussi varier agréablement en voix mixte pour les séquences les plus aiguës. C’est que le chanteur s’empare également de l’ensemble des parties chantées du ténor 1, à commencer par le splendide « Ich will bei meinem Jesu wachen », accompagné par un hautbois solo malheureusement un peu loin de la perfection. Le Jésus du baryton Sebastian Noack apporte moins de satisfactions, voix peu sonore à l’aura et l’autorité modestes, encore plus discrète dans le grave et aux aigus qui semblent régulièrement bridés, et par instants d’une intonation parfois suspecte.
La partie d’alto 1 est attribuée à William Shelton, contre-ténor également moins confortable dans la moitié inférieure de la voix, mais particulièrement angélique pour la zone aiguë. Son premier air « Buß und Reu knirscht das Sündenherz entzwei » enchante, en compagnie des deux belles flûtes, ainsi qu’en deuxième partie « Erbarme dich », merveille de délicatesse et de sensibilité. Pour compléter le « chœur 1 » du soir à jardin, Julie Roset amène sa musicalité hors pair, sa fraîcheur vocale et son agilité au vif et joyeux « Ich will dir mein Herze schenken », puis elle dégage une grande émotion au long de « Aus Liebe will mein Heiland sterben ».
Dans l’ensemble du « chœur 2 » à droite, on remarque surtout Antonin Rondepierre, ténor pas surpuissant, mais dynamique et souple pour conduire « Geduld, wenn mich falsche Zungen stechen ! » en seconde partie. Le baryton Tomas Kral fait une bonne première impression par son style volontaire, mais il accuse lui aussi un déficit évident dans le grave. L’accompagnement de son air « Gebt mir meinen Jesum wieder! » du violon solo n°2 est vraiment en limite de justesse de son. Par ailleurs la mezzo Coline Dutilleul conduit joliment « Können Tränen meiner Wangen », mais dans un trop petit format pour véritablement marquer. Précédemment en première partie, l’air habituellement sublime « Blute nur, du liebes Herz ! » est assurée par la soprano 2 Apolline Raï-Westphal, chant propre mais sans grand charme ni émotion, vraisemblablement en raison du rythme fort rapide pris par le chef, qui empêche ici tout épanchement dans ce tempo.
Irma FOLETTI
18 avril 2025
Direction musicale : Thibault Noally
Julie Roset, soprano
Apolline Raï-Westphal, soprano
William Shelton, alto
Coline Dutilleul, alto
Valerio Contaldo, ténor
Antonin Rondepierre, ténor
Sebastian Noack, baryton
Tomas Kral, baryton
Les Ambassadeurs – La Grande Écurie