Logo-Resonances-Lyriques
Menu
Théâtre de l’Eau Vive : Célimène et le Cardinal ou la suite jubilatoire du Misanthrope signée Jacques Rampal

Théâtre de l’Eau Vive : Célimène et le Cardinal ou la suite jubilatoire du Misanthrope signée Jacques Rampal

vendredi 7 février 2025

©DR

«Trahi de toutes parts, accablé d’injustices,

Je vais sortir d’un gouffre où triomphent les vices,

Et chercher sur la terre un endroit écarté

Où d’être homme d’honneur on ait la liberté».

 

Dans Le Misanthrope de Molière, par ce quatrain désabusé, Alceste écœuré par les mondanités superficielles, le mensonge, l’hypocrisie et la trahison de la jeune Célimène, trop coquette à son gré, décide de se retirer d’un monde où l’on ne peut dire à chacun sa vérité – car le compromis règne en maître – tandis que les rêves d’amour n’apparaissent à ses yeux que chimères eu égard à l’inconstance et l’infidélité des femmes.

Le triomphe de la pièce d’un auteur contemporain réunissant à nouveau les protagonistes du Misanthrope

Une fin ouverte à laquelle un auteur contemporain a eu l’idée de donner une suite écrite – à l’identique de son illustre prédécesseur- en alexandrins.

Le 14 janvier 1992 Jacques Rampal1 propose en effet au Théâtre de la Porte-Saint-Martin Célimène et le Cardinal avec Ludmilla Mikaël (sociétaire de la Comédie Française) et Gérard Desarthe. Ultérieurement l’œuvre connut un retentissant succès avec, entre autres, Didier Sandre et Danièle Lebrun (sociétaires de la Comédie Française), Claude Jade, Patrick PréjeanJean-Claude Drouot. Représentée dans la plupart des pays européens ainsi qu’aux Etats-Unis et traduite en plusieurs langues, notamment en chinois, elle a été nommée sept fois aux Molières.

Cette pièce, aujourd’hui considérée comme faisant partie du répertoire et prisée aussi bien par des compagnies professionnelles que par des compagnies amateurs, a fait l’objet de deux adaptations cinématographiques.

CELI 3
©DR

Les retrouvailles de Célimène et d’Alceste après vingt ans de séparation .

Les deux protagonistes du Misanthrope se retrouvent après 20 ans d’éloignement l’un de l’autre en ayant emprunté des chemins divergents. Celui de la religion pour Alceste, révulsé par l’inanité des affres de la Cour, mais devenu pour autant un puissant cardinal. Celui du mariage bourgeois pour l’inconstante Célimène désormais mère de quatre enfants. Mais la jeune femme à la liberté impérieuse, ne vivrait-elle pas encore derrière la tranquille bourgeoise qu’elle affiche ?

Avec les quatre premiers vers de Célimène – seule et en attente de la venue d’Alceste qui lui a notifié sa visite inopinée – le ton est donné : « Mon Dieu puisqu’il revient, je m’en remets à vous / Faites que mes regrets, mes rêves les plus fous / Ne viennent pas troubler le surprenant retour / D’un homme qui m’aimait et que j’aimais d’amour ».

Car chacun de nos héros s’interroge sur les véritables motivations et intentions de ces étranges retrouvailles à l’instar du Cardinal qui en a pourtant pris l’initiative. Il se dit hanté depuis des mois par un rêve terrifiant qu’il a pris pour un message du ciel et selon lequel Célimène court un danger mortel. Vérité ou prétexte ?… Toujours est-il que ses états d’âme laissent la voie ouverte à quelques supputations :  « Célimène est si belle et je me sens si vieux ! / Et voilà tout à coup que je ne suis plus sûr / D’être venu la voir dans un dessein très pur ».

CELI 2 1
©DR

L’occasion d’une malicieuse et jubilatoire joute verbale à fleurets mouchetés

Cette rencontre insolite de deux êtres, que tout parait désormais séparer, donne lieu à un véritable chef-d’œuvre d’esprit et d’humour, admirablement écrit où chaque réplique fait mouche. Alceste et Célimène évoquent leurs « amis du passé » notamment Philinte et Eliante « Elle est très courageuse, elle ne s’est jamais plainte / Mais je sais bien, hélas, que notre ami Philinte / N’a pas toujours été un époux exemplaire » souligne Célimène. Quant à Oronte – jadis raillé, sans ménagement, par Alceste – il s’entête toujours à commettre des vers    « abominables ». Arsinoé elle aussi revient sur le tapis en ces piquantes répliques : Célimène : « Et comment l’avez-vous trouvée ? » / Alceste : « Plutôt vilaine… Votre ancienne rivale est une vieille dame » / Célimène : « Pas plus vieille que vous » / Alceste « Oui… mais c’est une femme ! »)

Une joute verbale malicieuse et jubilatoire dans laquelle, dans un premier temps, les adversaires vont se rendre coup pour coup sans jamais véritablement se ménager.

Renouer avec le passé mêlant jalousie et confession : Un jeu dangereux ? 

Mais le véritable dessein d’Alceste n’est-il pas d’effectuer ce retour pour renouer avec le passé ?… Pourtant la conversation tourne autour de propos mondains de salon bien qu’Alceste fut en son temps « modeste ». Et s’il parait refréner les plaisirs il ne refuse pas pour autant la tasse de chocolat que Célimène lui offre. La discussion tourne autour de la noblesse qui a dégénéré et du temps jadis où Célimène avoue « le plaisir qu’elle avait à lui briser le cœur ». Pas de rancune à ce sujet car les plaies paraissent refermées. Vraiment ?… On parle de religion et Alceste entame une diatribe à l’encontre de ces Huguenots qu’il considère comme des criminels pour prétendre se confesser directement à Dieu sans passer par un prêtre.

Alceste découvre ensuite un recueil comportant des dessins de Célimène nue « Cachez ces dessins que je ne saurais voir » (amusant clin d’œil à la célèbre réplique de Tartuffe). Il entend derechef confesser Célimène pour qu’elle avoue ses péchés et celle-ci refuse dans un premier temps. Mais Alceste la contraint à cet exercice lui indiquant qu’il représente Dieu. Tout d’abord elle badine en énonçant quelques péchés véniels et de fil en aiguille, prenant l’ascendant sur son confesseur, elle attise un feu qui paraissait éteint depuis 20 ans :« C’était un grand amour entre deux jeunes gens qui fréquentaient la Cour / Je n’ai pas oublié, et n’oublierai jamais / Qu’en ces temps bienheureux j’aimais un homme, un vrai ».

Les émouvants aveux d’un amour couvant sous la cendre et une nouvelle fin ouverte

Et au moment de se quitter le tempo s’accélère…

Célimène : «  Quand nous reverrons nous ? » / Alceste : «  Eh bien, mais …dès demain » / Célimène : «  Demain je ne peux pas. Mardi matin. Ici » / Alceste : «  Et pourquoi pas chez moi ? » S’ouvre alors un futur où les deux héros du Misanthrope pourraient se retrouver souvent. Rasséréné le Cardinal s’en va oubliant (acte manqué ?) son chapeau.

CELI 9 1
©DR

 

Revenant récupérer son couvre-chef, les aveux d’un amour qui couve encore sous la cendre ne sauraient davantage se réfréner pour atteindre leur paroxysme  : Alceste : « De l’extrême bonheur de vous aimer d’amour / A l’extrême douleur de vous quitter un jour » / Célimène : « Vous m’aimiez à ce point ? Ô Dieu si j’avais su !… »… 

Alceste : «  Vous m’aimez donc toujours ?… Répondez !… M’aimez vous ? » / Célimène « Je ne vous hais point… » (allusion à la réplique – en forme de litote – de Chimène à Rodrigue dans Le Cid de Corneille : « Va je ne te hais point »). « Non Monsieur nous sommes fous !.. Allez vous en loin, courrez les océans / Et si je vous manquais n’attendez pas vingt ans ! / Non assez !… Il est temps de se taire / Ce chapeau vous attend et moi je vous espère »

Celi 13
©DR

Un couple qui sert avec esprit et fidélité les intentions de l’auteur

Jean-Jacques Thomas incarne, avec une grande aisance scénique et une évidente élégance, cet Alceste vieillissant devenu Cardinal en rendant justice à toutes les facettes multiples d’un rôle qu’il a interprété à plusieurs reprises sous la direction de l’auteur et qu’il affectionne tout particulièrement. Ce comédien a franchi très jeune les portes du Théâtre National de Nice et n’a cessé de jouer depuis, que ce soit sur les planches (de Molière à Robert Thomas en passant par Marivaux, Marcel Pagnol, Tennessee Williams ou Jacques Deval, s’illustrant tout particulièrement dans L’Etranger de Camus et  Ézéchiel d’Albert Cohen ), ou encore au cinéma.

CELI 8 1
©DR

 

Lui donne une éloquente réplique Viviane Dumoulin en Célimène désormais épouse (pas toujours fidèle) et mère de quatre enfants, ayant certes la tête sur les épaules et peut-être plus de maturité que son ex-soupirant mais qui garde néanmoins en elle le souvenir inassouvi d’un amour non abouti en raison de l’inconstance due à sa jeunesse.

Ce couple fonctionne parfaitement dans l’humour comme dans l’émotion et n’a pas de peine à séduire un public sous le charme du texte de Jacques Rampal, de l’interprétation des deux artistes et dans la mise en scène réalisée par Jean-Jacques Thomas, scrupuleusement  fidèle à l’auteur.

Dans un courrier de la main de Jacques Rampal ce dernier écrit « Moi qui n’ai pas eu que de bonnes surprises avec  Célimène et le Cardinal  – y compris avec certains « professionnels » ! – j’ai le bonheur de vous dire que la compagnie de L’Eternel Ephémère (NDLR : où jouait Jean-Jacques Thomas) m’a comblé de joie. Rarement ma pièce a été interprétée avec autant de sincérité, d’émotion en un mot : de talent ».

Henri Masini 1
©DR

Hommage au producteur : L’Association du Théâtre du Cours ainsi qu’à son emblématique Président, Henri Masini

Il s’agit en l’occurrence d’une production de L’Association du  Théâtre du Cours présidé par Henri Masini auquel on se doit, à cette occasion, de rendre hommage puisqu’il fut à Nice l’un des pionniers du « théâtre de poche » en un temps où il n’en existait point dans la cité azuréenne. Dans ce lieu prisé situé dans le quartier du Cours Saleya, Henri Masini2 a proposé au public niçois aussi bien le répertoire classique (Molière, Feydeau) que les pièces de boulevard qui faisaient, à l’époque, courir le tout Paris, comme, entre autres, Le Père Noël est une ordure (de la troupe du Spendid), Nuit d’ivresse (de Josiane Balasko), Un air de famille et Cuisine et dépendances (d’Agnès Jaoui et Jean Pierre Bacri), La Contrebasse (de Patrick Süskind), Oscar (de Claude Magnier), Pyjama pour six (de Marc Camoletti), Le Dîner de cons (de Francis Veber) et tant d’autres encore au fil des ans… Ce théâtre, d’une cinquantaine de places, affichait les pièces pour une durée de longs mois en jouant plusieurs fois par semaine, avec d’excellents comédiens du crû.

Que de souvenirs ! …Nostalgie quand tu nous tiens…

Christian Jarniat
7 février 2025

Mise en scène : Jean-Jacques Thomas inspirée de celle de l’auteur Jacques Rampal

Distribution :

Célimène : Viviane Dumoulin
Le Cardinal : Jean-Jacques Thomas

Production Théâtre du Cours : Président Henri Masini

1Jacques Rampal (1944-2015), acteur, caricaturiste, directeur de compagnie, scénariste B.D, auteur de seize pièces de théâtre, metteur en scène. Célimène et le Cardinal – qu’il a lui-même joué – ( et que nous avions vu)  demeure son évident chef-d’œuvre.

2Outre sa direction du Théâtre du Cours, Henri Masini dispensait des cours de théâtre et jouait très souvent des rôles dans son propre établissement comme ailleurs. Dans Bourvil de Miran, il chantait et, de surcroît, il dessina un Figg original et déjanté dans La Veuve Joyeuse au Théâtre de Verdure de Nice en septembre 2005 à l’occasion du centenaire de la création de l’œuvre de Franz Lehár dans la mise en scène de Bertrand Rossi. Il avait aussi incarné le serviteur français dans Il Matrimonio Segreto de Cimarosa à l’Opéra de Monte-Carlo. Il peut en outre se prévaloir d’avoir tourné dans une trentaine de films et téléfilms.

Imprimer
Cookies
Nous utilisons des cookies. Vous pouvez configurer ou refuser les cookies dans votre navigateur. Vous pouvez aussi accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton « Accepter tous les cookies ». Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre Politique de confidentialité et des cookies.