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A l’Opéra de Francfort : Guercœur à la vie, à la mort / Oper Frankfurt, le 8 février 2025

A l’Opéra de Francfort : Guercœur à la vie, à la mort / Oper Frankfurt, le 8 février 2025

samedi 8 février 2025

©Barbara Aumüller

L’histoire de Guercœur d’Albéric Magnard (1865 – 1914) est singulière, le manuscrit de deux de ses trois actes partant en fumée dans l’incendie de son manoir, avec la mort du compositeur qui tentait de repousser les Allemands. Mais son ami et autre compositeur Guy Ropartz put la reconstituer plus tard, d’après ses souvenirs et la réduction pour piano déjà publiée; et c’est ainsi que l’ouvrage fut créé en 1931 à l’Opéra de Paris. Mais pas de représentation scénique en France pendant de longues années depuis cette première, avec tout de même à la disposition des amateurs l’enregistrement gravé en 1987 par Michel Plasson aux commandes des forces du Capitole de Toulouse. Puis enfin, l’Opéra d’Osnabrück se lançait courageusement dans une nouvelle production en 2019, avant l’Opéra du Rhin en avril 2024 et à présent l’Opéra de Francfort en entrée de répertoire.

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©Barbara Aumüller

On peut en rappeler brièvement l’intrigue. Le premier acte de l’opéra, intitulé « Les Regrets », se déroule au paradis parmi les figures allégoriques de Vérité, Bonté, Beauté et Souffrance. Guercœur, qui avait précédemment libéré son peuple d’un tyran, souhaite revenir à la vie pour retrouver sa bien-aimée Giselle et son ami Heurtal ; Vérité accède en fin d’acte à sa demande. Le retour sur Terre du II « Illusions » est assez violent : Giselle et Heurtal sont en couple et ce dernier, devenu dictateur, fait éclater une bataille entre ses partisans et adversaires. Désespéré, Guercœur meurt une nouvelle fois, pour retourner au paradis au troisième et dernier acte intitulé « L’Espoir ».

En nouvelle production de la saison 2024-2025, le spectacle réglé par David Hermann est élégant et d’une agréable lisibilité. Le paradis est ici une demeure aux voilage sur ses quatre côtés, une sorte d’espace intérieur-extérieur où l’on passe sans rupture d’une pièce à la terrasse de plain-pied. Le lieu est peuplé d’individus habillés et maquillés de blanc, comme des fantômes. Puis le plateau tournant nous amène l’ensemble des choristes qui portent le deuil de Guercœur, alignés sur des rangées de chaises devant le pupitre de l’orateur Heurtal. Giselle apparaît en veuve à lunettes noires qui se recueille sur la tombe du disparu. Lorsque les quatre figures allégoriques décident de renvoyer Guercœur sur terre, Bonté lui verse de l’eau sur son costume, qui passe alors du blanc au gris-noir.

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©Barbara Aumüller

L’arrivée sur terre du héros se fait encore dans l’habitation, la maison de Guercœur décrite dans le livret, maintenant occupée par le couple Giselle – Heurtal. Puis on change radicalement de décor pour la scène suivante, ce qui nécessite de placer un nouvel entracte en plein milieu du long deuxième acte. La lutte entre partisans et adversaires de Heurtal se déroule dans un lieu de pouvoir, sorte de parlement autour d’une grande table ronde. Le peuple est habillé plutôt chic, en costume ou tailleur, à côtés de rares femmes de ménage et photographes de presse. Ardent défenseur de la démocratie, Guercœur se fait finalement rosser de coups de bâton et toutes les fines colonnes qui entourent la vaste salle sur ses trois côtés s’écroulent au fur et à mesure, dans un très bel effet. Le retour au paradis se fait parmi cet amoncellement de poteaux à terre, puis c’est le retour dans la maison et ses figures blanches. Un paradis qui a tout de même des allures de maison de retraite, où les pensionnaires vaquent de façon répétitive à leurs occupations : tricot, jeu d’échecs, écriture, tandis qu’un balayeur rassemble inlassablement des pétales blancs, régulièrement éparpillés par un coup de vent…

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©Barbara Aumüller

Le plateau vocal n’est pas d’une complète homogénéité, autant pour le chant que pour la qualité du français. Les quatre figures allégoriques ne sont pas celles qui impressionnent le plus, en particulier Anna Gabler qui défend le rôle de Vérité, vibrato accentué, certains aigus en limite de cri et un français difficilement compréhensible sans la lecture des surtitres (en allemand et anglais). Souffrance de Judita Nagyová possède un instrument sombre et grave, mais d’une épaisseur modeste, alors que Cecelia Hall en Bonté développe un timbre séduisant, à la prononciation plus que correcte. Bianca Tognocchi complète en Beauté, la voix la plus aiguë qui domine naturellement le sublime quatuor féminin qui clôt l’opéra, un morceau qui peut rappeler, dans les mots, la mélodie et l’orchestration, le non moins génial air « Des cendres de ton cœur » chanté par La Muse en conclusion des Contes d’Hoffmann.

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©Barbara Aumüller

Les rôles principaux amènent davantage de satisfaction, en premier lieu Domen Križaj en Guercœur. Membre de l’Opéra de Francfort, le baryton slovène fait valoir une voix ferme, plus volumineuse dans sa partie aiguë, dont la couleur peut d’ailleurs rappeler celle de José van Dam, le Guercœur de l’enregistrement de Michel Plasson. On goûte également sa prononciation de bonne qualité, pour ne rien rater du texte, entre les mots « Vivre », prononcé six fois pour sa première apparition, et son « Espoir » final.

Claudia Mahnke en Giselle et AJ Glueckert en Heurtal distillent également une diction de bon niveau, elle mezzo-soprano au vibrato sous contrôle mais au texte parfois moins clair lorsque la partition s’agite, et lui ténor pas surpuissant mais bien concentré et aux notes vaillantes.

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©Barbara Aumüller

Les trois Ombres, d’une femme, d’une vierge et d’un poète complètent, sans fulgurance.

Placée au pupitre lors de la première du 2 février, Marie Jacquot malade se fait remplacer pour cette deuxième représentation par Takeshi Moriuchi, chef d’ailleurs programmé pour la dernière soirée de la série. Au commandes des musiciens du Frankfurter Opern- und Museumsorchester en excellente forme, le chef restitue les beautés de la partition, laissant jouer avec une générosité par instants en limite de couvrir les solistes et choristes sur le plateau. Il est vrai qu’il est difficile de faire dans la demi-mesure avec cette composition souvent majestueuse, à l’orchestration développée et profonde, mais pas que. La musique séduit immédiatement l’oreille, dans la lignée de celles de nombreux compositeurs français, mâtinée parfois d’échos wagnériens. L’exemple wagnérien le plus frappant est sans doute l’introduction de la seconde scène du deuxième acte, où les cuivres amènent du souffle, une grandeur supplémentaire.

Les choristes du Chor der Oper Frankfurt sont aussi régulièrement sollicités, bel ensemble pour le chant, mais d’un français pas toujours facilement compréhensible pour nous.

Avec « espoir » comme dernière parole prononcée par Guercœur, reprise par le chœur qui a le dernier mot, Vérité prédisait avec optimisme un avenir radieux à l’humanité. Vérité aurait-elle donc menti, au vu de l’état actuel du monde un siècle plus tard ? Mais gardons « espoir »….

Irma FOLETTI
8 février 2025

Direction musicale : Takeshi Moriuchi
Mise en scène : David Hermann
Décors : Jo Schramm
Costumes : Sibylle Wallum
Lumières : Joachim Klein
Dramaturgie : Mareike Wink
Chef des chœurs : Virginie Déjos

Guercœur : Domen Križaj
Giselle : Claudia Mahnke
Heurtal : AJ Glueckert
Vérité : Anna Gabler
Bonté : Cecelia Hall
Beauté : Bianca Tognocchi
Souffrance : Judita Nagyová
L’Ombre d’une femme : Cláudia Ribas
L’Ombre d’une vierge : Julia Stuart
L’Ombre d’un poète : Istvan Balota

Chor der Oper Frankfurt
Frankfurter Opern- und Museumsorchester

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