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AVIS DE TEMPÊTE SUR LES LIVRES DE MUSIQUE CLASSIQUE

AVIS DE TEMPÊTE SUR LES LIVRES DE MUSIQUE CLASSIQUE

samedi 25 janvier 2025

Un objet culturel confronté à diverses souffrances. – (c) DR

Les parutions d’ouvrages spécialisés sont en chute en France. Les raisons de ce phénomène ? La diminution de la lecture parmi le public, la fragilité économique de l’édition et l’abaissement du niveau de culture générale. Peuvent en résulter des textes bâclés, entachés d’erreurs substantielles. Ainsi, l’un d’eux affirme que Bertolt Brecht était … compositeur de son métier. Un parcours dans un domaine qui – voici un siècle – brillait par sa qualité. Tel n’est plus le cas aujourd’hui.
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Le sort défavorable fait au livre dans la société actuelle concerne aussi évidemment les ouvrages traitant de sujets musicaux. Il suffit de voyager en train pour constater que les ordinateurs portables ont remplacé le papier imprimé dans la recherche de divertissements faciles. Parmi les mélomanes, tous ne parcourent pas des biographies de compositeurs ou des ouvrages de divulgation comme – par exemple – une introduction à l’art du quatuor à cordes ou une présentation de la musique polyphonique de la Renaissance. En librairie, les rayons de musique classique fondent comme neige au soleil.

Cette situation découle de plusieurs autres raisons. La musique classique est en train de disparaître de l’horizon intellectuel des Français. Les textes consacrés à celle-ci se vendent à un nombre limité d’exemplaires. Les éditeurs, déjà confrontés à diverses difficultés, ne prennent plus de risques commerciaux. En d’autres termes et mis à part le tout petit marché captif représenté par des revues savantes de musicologie, « L’Avant-Scène Opéra » tout comme les publications de maisons nommées Actes Sud ou Arthème Fayard, le paysage spécialisé est en train de se transformer en désert planté de quelques arbres. En résulte un contraste manifeste avec l’édition anglo-saxonne ou allemande. Chez notre puissant voisin d’outre Rhin, tout livre de musique digne de ce nom se vend en moyenne à 4. 000 exemplaires. En France, une vente dite « substantielle » est de 500 volumes environ.

S’ajoute à ces traits distinctifs l’économie spécifique du monde de l’édition. Si vous achetez un livre 20 €, la moitié de son prix va à son diffuseur. Les 10 € restants se partagent entre l’éditeur, l’imprimeur et l’auteur. Dans l’hypothèse où ce dernier reçoit des droits sur sa production intellectuelle, ils représentent en moyenne 5% du prix de vente HT de chaque volume. Autrement dit, les marges des éditeurs sont très faibles. Leurs volants de trésorerie s’avèrent insuffisants. Résultent de cette situation des conflits avec les auteurs. Il n’est pas rare que certains de ceux-ci chargent un professionnel du droit de réclamer le paiement forcé des sommes devant leur revenir. Une partie non négligeable des éditeurs n’adresse jamais de relevés des ventes aux auteurs. Tel n’est pas le cas en Allemagne. Une maison comme Schott – publiant aussi les partitions des œuvres de Franz Liszt, d’Henri Dutilleux ou de Carl Orff – envoie un relevé trimestriel détaillé à chacun de ses auteurs. Une semaine déjà avant l’arrivée de ce relevé, le compte en banque de chaque auteur est crédité par Schott des montants lui étant dus au titre de l’exploitation de son travail.

Certains éditeurs de l’Hexagone tentent de contourner les difficultés en demandant aux auteurs de financer sur leurs deniers propres la fabrication de leurs ouvrages. Celle d’un livre de 200 pages environ est de l’ordre de 4. 000 €. Une pareille pratique est à la fois humiliante, peu honnête et problématique en soi. Il arrive à des éditeurs d’assortir la naissance d’un livre à la prévente de plusieurs centaines d’exemplaires. Dans ce cas, l’auteur se voit obligé de prospecter ses amis et ses relations. Ce phénomène n’est pas normal. Le métier d’auteur et celui d’agent commercial sont, de mon point de vue, incompatibles. J’observe avec étonnement les soucis d’un violoniste reconnu, ayant un manuscrit en souffrance parce que les préventes conditionnant la parution de son livre n’ont pas atteint le seuil nécessaire. En l’absence d’une subvention du Centre national du livre – difficile à obtenir –, l’ouvrage voit son apparition remise aux calendes grecques.

La fragilité générale peut aussi porter un lourd préjudice à la qualité scientifique des livres. Comme les éditeurs n’ont pas les moyens financiers nécessaires pour engager des relecteurs qualifiés, les manuscrits ne sont plus passés au crible fin par un expert avant publication. Cette pratique, de rigueur dans le monde anglo-saxon, en Allemagne, en Autriche et en Suisse, a quasiment disparu dans notre pays. Il en va de même avec l’évanouissement des appareils critiques et des index. On voit apparaître ici et là des livres garnis d’erreurs. Je prendrai un exemple : « Quand la musique fait l’histoire », paru en chez l’éditeur parisien Passés composés en 2023 sous la signature d’une certaine Hélène Daccord (*1994). Ce volume tient du festival de fautes. L’autrice y fait état de « tonalités arabes » (p. 99), alors que la musique du Proche Orient repose sur des structures modales. Elle indique – totalement à tort – que « Figure humaine » de Poulenc est une œuvre orchestrale (p. 126). Elle nous met en état d’hilarité en affirmant que Bertolt Brecht était compositeur (p. 189). Dès lors, on doute que Mme Daccord soit diplômée de l’École normale supérieure, comme l’affirme la quatrième de couverture. Son « travail » est représentatif de la destruction en cours de l’excellence dans notre pays.

Il constitue un douloureux contraste avec le superbe niveau du livre de Martin Mirabel sur Dvorak, récemment édité chez Actes Sud. Il se trouve honoré d’une préface de Martha Argerich Pourtant, les deux auteurs appartiennent à la même génération. Mais tout le monde ne peut pas jouer dans la cour des grands ! En tout cas, ceux qui se croient éditeurs de livres sérieux de musique devraient étudier le travail éditorial d’Hortus, un producteur artisanal de CD. Ses livrets, contrôlés par des spécialistes avant parution, ne relèvent pas de l’agaçant impressionnisme de salon distinguant divers « professionnels » ( ?) du livre.

Dr. Philippe Olivier

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