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Mérignac (Le Pin Galant) / Le Pays du sourire

Mérignac (Le Pin Galant) / Le Pays du sourire

dimanche 12 janvier 2025

©TLA Prod. Arlette Constant

Le Pin Galant propose cette saison deux opérettes bien différentes, Le Pays du sourire de Franz Lehár et La Route fleurie de Francis Lopez, les deux ouvrages montés dans des productions TLA (Annie Grenier).

Le Pays du sourire est une opérette passionnante pour sa partition, mais aussi son insertion dans le climat géopolitique de son temps.

L’ouvrage connaît plusieurs versions : la première est d’abord représentée sous le titre La Tunique jaune avec un livret de Victor Léon le 9 février 1923 au Theater An der Wien à Vienne. Elle est reprise, profondément modifiée, à Berlin au Metropol Theater le 10 octobre 1929 sous son titre actuel Das Land des Lächelns en allemand sur un livret confié à Ludwig Herzer et Fritz Loehner-Beda. Parmi les nombreuses traductions on retiendra celle d’André Mauprey et Jean Marietti en français créée au théâtre Royal de Gand le 1er avril 1932. C’est le 1er novembre de la même année qu’arrivera Le Pays du sourire à La Gaîté-Lyrique à Paris.

Une œuvre inscrite dans son époque et d’une portée universelle

On sait que Le Pays du sourire appartient à la seconde partie de la carrière de Lehár caractérisée par des œuvres plus sombres que celles composées avant 1914. Les personnages principaux doivent se soumettre à des éléments qui les dépassent et les obligent, sous la forme d’un pouvoir (Le Tzarévitch,1928) ou d’une expression sublimée de l’art (Paganini,1925 ; Frédérique,1928). Le Pays du sourire ajoute ce que Samuel Huntington appellera bien plus tard en 1996 « le choc des civilisations ». Le Prince Sou-Chong, ambassadeur chinois, et Lisa, une européenne, fille du comte Ferdinand de Lichtenfels, confrontés au choc de leurs deux mondes doivent se séparer. Les librettistes au destin pourtant cruel (Loehner-Beda mourra en camp de concentration, Herzer y échappera de peu) ne peuvent s’abstraire de leur temps. Le pathos de l’opérette (« opérette romantique » signale le livret !) ne peut occulter le contexte de l’orientation de la République de Weimar en 1929 ou le tournant que s’apprête à prendre la Hongrie de Lehár. Pour Louis Oster et Jean Vermeil le sort donné au mariage mixte de l’opérette s’expliquerait par « la crainte de l’assimilation par trop de mariages avec des chrétiennes » dans le monde de leur temps (Guide raisonné et déraisonnable de l’opérette et de la comédie musicale, Fayard, 2008).

Le Pays du sourire comme les partitions de la même époque est un ouvrage perçu comme opératique. On sait qu’il est écrit alors que les échanges de Franz Lehár avec Giacomo Puccini sont significatifs. Les deux compositeurs font du piano à quatre mains ; Lehár assistera à la première posthume de Turandot dont il avait lu les épreuves du premier acte. On peut pourtant remarquer un aspect passé souvent inaperçu de la dramaturgie musicale du Pays du sourire. L’ouvrage est constitué principalement d’airs ou de duos dont plusieurs seront de véritables tubes (le premier acte est construit comme un quasi récital), alors qu’on note un reflux des ensembles qu’on peut trouver dans La Veuve joyeuse. Or ces derniers sont non seulement porteurs d’une richesse musicale mais aussi d’une mise en question du discours univoque. Ce dernier triomphe dans l’opérette « seconde manière » de Lehár. Le pathos évoqué plus haut emporte tout sur son passage et à cause ou en dépit des fameux finals dramatiques (mais très courts) conduit au « clash ». Ces derniers sont construits sur des duos Lisa / Sou-Chong qui sont de véritables conversations en musique où alternent rappels mélodiques, ariosos bien chantants et gammes pentatoniques, les personnages vivant une relation de passion (acte I) ou de rupture (actes II et III) dans une sorte de paroxysme.

Il n’est pas sûr pour cette raison que la version gantoise avec happy end soit convaincante. En effet André Mauprey et Jean Marietti changent la fin de l’opérette dans leur version française. Lisa et Sou-Chong, Mi et Gustave repartent en Europe. Là encore l’ethos des auteurs n’y est pas pour rien. Mauprey, juif et franc-maçon, a signé la version française du film sur L’opéra de quat’sous. On n’est pas très loin du problème qui s’est posé avec de récentes inversions de dénouement (celui de Carmen par exemple) qui, si elles s’inscrivent dans l’air du temps, n’en sont pas moins en décalage avec une esthétique de l’historicisme qui peut tout aussi bien nourrir la prise de conscience.

La version et la mise en scène du Pin Galant

Le metteur en scène Claude Deschamps est fidèle à l’œuvre. Très classique, sa vision s’enrichit des nuances que permettent sa familiarité et sa proximité avec l’opérette. Les contextes sont bien restitués : le premier acte évoque avec légèreté le monde des salons ; un subtil « entourage » de l’air « Dans l’ombre blanche des pommiers en fleurs » souligne l’ambiance exotique. On perçoit la montée des sentiments dont le grand duo, qui sert de final, exprimera le lyrisme ardent. L’acte II s’ouvre sur le faste de la civilisation chinoise qui dans des scènes très abouties reviendra plusieurs fois. La cérémonie de la jaquette jaune, la présentation des épouses ou le ballet connotent un dépaysement plus irréel qu’historique. Avec beaucoup de fluidité ces moments alternent avec les touches plus fantaisistes qu’apportent la princesse Mi et Gustave, le second couple de l’opérette voué au marivaudage, ainsi que le chef des eunuques traité avec sobriété et de façon presque subliminale à son entrée.

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©TLA Prod. Arlette Constant

Les séquences sentimentales qui exposent les voix ne sont pas en reste. Les duos « Prendre le thé à deux », « Qui dans nos cœurs a fait fleurir l’amour » sont hédonistes ; le tube « Je t’ai donné cœur » traduit une passion plus intériorisée. La tension est alors bien visible et s’incarne dans les fameux « finals tragiques » du Lehár « seconde manière ». La mise en scène souligne la violence sexiste de la scène dans un duo de quasi opéra et le retournement qui laisse Sou-Chong seul avec sa douleur traduite par un bel effet scénique. Le troisième acte, très court, met en contraste une scène bouffe («Tsin, tsin, tsin ») avec le dénouement qu’on ne peut imaginer autre, tant les plaques tectoniques amoureuses et civilisationnelles sont portées à leur point extrême de rupture.

La proposition de Claude Deschamps, très applaudie, cernant au plus près les sentiments, les affects et les émotions des personnages, fait du Pays du sourire un ouvrage qui n’est pas sans lien avec le vérisme.

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©TLA Prod. Arlette Constant

Une distribution de haut vol

Jérémy Duffau entre avec une réelle crédibilité mais aussi un art de l’interprétation raffiné dans le personnage de Sou-Chong ; le hiératisme laisse percer la sensibilité à fleur de peau de l’ambassadeur chinois. Ce style scénique va de pair avec des capacités vocales exceptionnelles. Les traits mélodiques d’une grande partie du rôle s’inscrivent dans l’élégance du phrasé et un timbre plein qui donnent tout leur impact à l’air d’entrée, au duo « Qui dans nos cœurs » ou au grand air « Je t’ai donné mon cœur » ; mais on retrouve aussi la déclamation du chanteur d’opéra dans les finals où les accents mordants sont au service d’une forme d’expressionnisme intense.

Amélie Robins elle aussi convainc totalement dans Lisa. Cette très belle interprète aussi justifiée dans le genre léger qu’en opéra sait traduire par la pureté de sa voix, ses registres homogènes, la rondeur des sons aussi bien la légèreté de la valse « Merci pour ce charmant accueil » que l’émoi nostalgique dan l’air « Je veux revoir mon beau pays » ; la modulation des duos (« Prendre le thé à deux »…) trouve dans la souplesse de la voix et la plénitude du timbre sa traduction idéale. De même l’ampleur et la puissance vocales répondent dans le duo-final de l’acte II à l’exaspération des sentiments.

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©TLA Prod. Arlette Constant

Dans la Princesse Mi, Julie Morgane est aussi captivante par son jeu très imaginatif que par sa voix parfaitement projetée. La jeune princesse est à la fois enjouée et émouvante. Son partenaire Émilien Marion dans Gustave trouve lui aussi le style juste et séduit par son aisance en scène.

Frédéric Bang Rouhet joue un Tchang intraitable qu’il dote d’un chant éloquent adapté au cérémonial qui ouvre l’acte II. Christian Blain est un chef des eunuques inscrit dans la meilleure veine bouffonne, évitant toute trivialité. Enfin belle tenue de Jean-Pierre Duclos en comte de Lichtenfels.

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©TLA Prod. Arlette Constant

Le ballet à l’acte II donné dans son intégralité est un véritable moment de poésie, le rythme exotique trouvant à travers les notes viennoises une particulière originalité. La chorégraphie de Carole Moussoutié en fait un tableau empreint de grâce et de délicatesse.

Excellent chœur Mélopée comme à l’accoutumée.

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©TLA Prod. Arlette Constant

Claude Lourties à la tête de l’orchestre Mélodia est très attentif au plateau, conscient des enjeux du théâtre, mais aussi, par ses tempi et rubatos, d’un style viennois marqué par l’intensité du lyrisme et les influences modernes.

Le public a longuement applaudi la production.

Didier Roumilhac
12 janvier 2025

Direction musicale : Claude Lourties
Mise en scène : Claude Deschamps
Chorégraphie : Carole Moussoutié

Sou-Chong : Jérémy Duffau
Lisa : Amélie Robins
La Princesse Mi : Julie Morgane
Gustave : Émilien Marion
Tchang : Frédéric Bang Rouhet
Le comte de Lichtenfels : Jean-Pierre Duclos
Le chef des eunuques : Christian Blain
Les cousines : Pascale Dubet, Sonia Molina, Annabelle Rougemont
La duchesse : Nelly Blaes
Foo-Li : Yannis Costes
Un domestique : Pierre Catalo
Les Officiers de marine : Sylvain Richer, Daniel Cario


Chœurs Mélopée (direction Annabelle Rougemont)
Orchestre Mélodia

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