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Auditorium Maurice Ravel – Orchestre National de Lyon 29 décembre 2024 : “Nouvel An à Vienne” : le style Wiener Art !

Auditorium Maurice Ravel – Orchestre National de Lyon 29 décembre 2024 : “Nouvel An à Vienne” : le style Wiener Art !

dimanche 29 décembre 2024

©Yannis Adelbost

À une fréquence qui n’excède jamais trois saisons artistiques en intervalles, les programmes des concerts proches du Jour de l’An avec l’O.N.L reviennent invariablement à la sphère viennoise du XIXème siècle, Johann Strauss fils en tête. Pour marquer le passage de 2021 à 2022, Nikolaj Szeps-Znaider eut même l’excellente idée d’offrir Die Fledermaus dans une remarquable mise en espace, dont nous avions dûment rendu compte avec enthousiasme1. À l’époque, nous appelions même de nos vœux le renouvellement d’une opération tellement réussie, avec – pour l’avenir – une autre opérette viennoise, Die lustige Witwe en tête2. Tout ceci posé, à l’exception de cette Chauve-Souris, pour les concerts consacrés à ce répertoire à Lyon sur plus de quatre décennies, nous fûmes souvent contents mais rarement comblés, les performances écoutées aux ères respectives d’Emmanuel Krivine et Jun Märkl mises à part. Car seuls ces deux maestros possédaient – d’instinct pour le premier, d’expérience pour le second – une donnée essentielle, faisant trop souvent défaut aux autres chefs s’attaquant sans affinités profondes à cet univers : le style ! Jamais, en critique musicale, l’on n’insistera assez sur cette question fondamentale d’adéquation stylistique, apte – en cas de carence – à vous ruiner une soirée (confer la récente création locale du Turco in Italia de Rossini à l’Opéra3).

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©Yannis Adelbost

L’option Rainer Honeck s’avère idéale

Or, aujourd’hui, cette affiche “viennoise” présente une supériorité inhabituelle et majeure : la présence à la direction de Rainer Honeck, rien moins que l’un des Konzertmeister des Wiener Philharmoniker, connu des téléspectateurs par millions pour ses prestations du 1er janvier au Musikverein. Pour 2025, Riccardo Muti devra se passer de lui, puisqu’il a accordé la primauté à Lyon.

La présence d’un artiste autrichien aussi éminent constitue, déjà sur le papier, une sérieuse garantie pour une juste restitution des pages annoncées, parfois exécutées d’une ronronnante façon en France. Si l’on peut donc s’attendre à une forte dose philologique en matériau sonore, l’on reste, en revanche, un peu surpris en constatant que le maître d’œuvre n’a pas opté pour la disposition viennoise question orchestre (notamment les contrebasses, non centrées en arrière–plan). Par ailleurs notons que, pour créer l’ambiance festive adéquate, huit imposants lustres de cristal sont suspendus au-dessus du plateau et un rideau doré placé en fond de scène, le tout agrémenté par des lumières appropriées, évoluant au fil du concert.

Opportunément, la partie princeps commence avec un clin d’œil à Die Fledermaus, dont l’ouverture, enlevée avec une apesanteur encore plus notable qu’il y a trois ans, confirme combien l’option Rainer Honeck s’avère idéale. Des traits violonistiques spirituels, quasi aériens pour le motif initial, puis une attaque à la pointe sèche de la valse nous éloigne des platitudes usuelles. Seul le thème du trio (Acte I) « O je, o je, wie rührt mich dies! » manque d’un soupçon de furtivité et de retenue à son démarrage. Mais, quel sens des nuances et des perspectives dynamiques ! Fortement individualisées, les cordes des différents groupes acquièrent un relief inestimable. Quant à cette hardiesse pour conclure accelerando, stringendo poco a poco, elle ravit les plus authentiques amateurs d’audaces straussiennes !

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©Yannis Adelbost

À l’instar d’un Willi Boskovsky autrefois, Honek empoigne le violon et dirige à l’archet

Donnée incontournable : l’imminence du bicentenaire Johann Strauss II justifie que l’on sorte des sentiers (re)battus. L’on apprécie donc d’autant plus la présence d’œuvres rares. La polka mazur Lob der Frauen [Louange des femmes] en fait partie, voire l’Accelerationen Walzer, une des plus périlleuses du catalogue, si l’on veut obtenir un impeccable résultat en évitant maints pièges techniques (ruptures rythmiques entre autres). À l’instar d’un Willi Boskovsky autrefois, Honek empoigne le violon et dirige à l’archet. Dans tout cela émerge une classe innée. Quelle élégance ! Quel galbe ! Quel sens de la respiration dans le phrasé ! Autre donnée évoquant l’ère Boskovsky : le choix de pièces humoristiques, comme la Moulinet Polka française due à Josef Strauss, idéale pour susciter le sourire.

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©Yannis Adelbost

De Johann II suivent : d’abord une rareté, l’Egyptischer Marsch [Marche égyptienne] production orientalisante (avec mélopée chantée par les instrumentistes) participant du penchant exotique longtemps alimenté dans la création du compositeur ; puis, une des pages à la fois parmi les plus succinctes et redoutables qu’il ait laissées, la Polka rapide hongroise Éljen a Magyar! [Vive les Hongrois !] dont la version gravée la plus accomplie reste celle due à Carlos Kleiber4. Indéniablement plus sage, d’un tempo davantage modéré, sans les mêmes prises de risques, la présente interprétation retient surtout l’attention par ses coloris fauves, attrayants en diable. Cela permet une habile transition avec les Danses hongroises N°5 et 6 de Brahms (dans les orchestrations vigoureuses d’Albert Parlow), aux contrastes accusés, fleurant bon la Puszta. Quelles accentuations ou oppositions en tempos chantournés. Effet garanti !

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©Yannis Adelbost

Un ineffable charme, propice à créer des pulsions lacrymales irréfragables

Par le passé, l’O.N.L accueillit à plusieurs reprises Manfred Honeck. Son frère puîné n’a certes pas, quantitativement, la même expérience en direction. Un peu raide initialement, Rainer Honeck se libère perceptiblement en seconde partie, ouverte par l’irrésistible Frühlingsstimmen Walzer [Voix du printemps], dans son adaptation sans soprano solo, plus ardue à défendre. De fait, le motif en tourbillon succédant à l’incipit sonne ici un peu épais, nos violons lyonnais n’atteignant pas, sur ce terrain spécifique, la souplesse des viennois. En revanche, ils n’ont guère à leur envier sur le point précis qu’est la ferveur des attaques, ainsi qu’en minutie. De surcroît, outre un ravissant modelé, le chef leur a bien inculqué le caractère en suspension du 3ème temps (plus que jamais, l’on se rappelle ce que, traditionnellement, l’on rapporte à ce sujet sur la valse viennoise : « c’est : un, deux… et… peut-être trois… ! »).

Autre merveilleuse idée : introduire Fritz Kreisler dans ce programme, avec les moutures orchestrales des plus fameuses pièces du recueil Alt-Wiener Tanzweisen [Vieux airs à danser viennois] originellement conçues pour violon et piano. Après un Liebesleid [Chagrin amoureux] aux teintes légitimement automnales servies par des nuances fabuleuses, Honeck assure également la partie soliste pour le célébrissime Liebesfreud [Joie amoureuse], spontané, vivifiant, euphorique, déployant un ineffable charme, propice à créer des pulsions lacrymales irréfragables, même chez le critique le plus endurci.

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©Yannis Adelbost

Au terme d’une véritable transfusion esthétique opérée par le chef

Nous assistons ensuite à un Festival Johann Strauss fils. Profitant de lumières rougeoyantes, le Künstler Quadrille pourrait bien connaître ici sa création lyonnaise5. Très mal reçu en son temps, il séduit ce soir spontanément l’auditoire dans son télescopage osé en citations prises chez Mendelssohn (Marche nuptiale), Mozart (Symphonie N°40 puis Zauberflöte), Weber (Oberon puis Der Freischütz), Paganini (Concerto N°2), Meyerbeer (Robert le Diable), Ernst (Variations sur Le Carnaval de Venise), Beethoven (Les Ruines d’Athènes)…etc. ; soit un réjouissant florilège, ici mené avec entrain, jusqu’au phénoménal resserrement du tempo dans la coda. Lui succède une Neue Pizzicato-Polka parmi le plus habitées jamais entendues, jouée ici avec esprit et un véritable investissement. Foin de routine itou dans Geschichten aus dem Wiener Wald [Récits de la Forêt viennoise], valse parmi les plus poétiques qui soient, ouverte par des cors et bois aussi mordorés que les éclairages dispensés pour l’occasion. À noter que l’option retenue ici pour la partie soliste n’est pas la cithare originelle mais, d’abord, le 1er violoncelle, splendidement tenu par Édouard Sapey-Triomphe, puis les solistes des violons I, violons II, altos et violoncelles, ce qui nous vaut deux moments d’absolue félicité chambriste (quel nonet !).

À ce stade, aucun doute permis : la tradition “Wiener Art” se trouve atteinte par la phalange lyonnaise au terme d’une véritable transfusion esthétique opérée par le chef, ce jusqu’aux trompettes, trombones et tuba, faisant preuve d’une retenue tout à leur honneur. L’exacte pulsation, inhérente à cette musique, se voit assumée avec panache et loyauté. Il n’est pas jusqu’aux percussions qui ne sonnent ici “à l’autrichienne”. Mille compliments !

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©Yannis Adelbost

Tel le concert du Nouvel An au Musikverein, la dernière section officielle se consacre aux pièces brèves usant des tempos les plus soutenus. D’abord Tritsch-Tratsch-Polka [Polka des chuchotements et ragots], où tous les vents atteignent la perfection ; ensuite la Polka rapide Unter Donner und Blitz [Sous le tonnerre et les éclairs], assumée crânement avec, au sommet, des percussionnistes déchaînés et un crescendo conclusif ahurissant !

Bis pressenti : l’incontournable valse An der schönen blauen Donau [Sur le beau Danube bleu]. Aux envoûtants trémolos initiaux des violons I et II, on sait la partie gagnée, là n’est pas la question. Car, par-dessus tout, l’O.N.L dans son entier a définitivement négocié cette fondamentale affaire de style viennois que nous évoquions dès le début. Honeck lui fait observer ici toutes les barres de reprises – ce qui nous a toujours paru indispensable – fait rarement appliqué lors d’exécutions françaises. Tout en conservant sa parure sensuelle en courbes et contrecourbes autant que sa séduction épidermique, l’œuvre atteint la dimension propre au genre “poème symphonique”, relevant de son exacte nature. Et avec tout ça, le public peut savourer la souveraine décontraction apparente qui va avec ! Un must auquel nous ne nous attendions guère ! Voilà ce qui s’appelle terminer l’année dans l’allégresse.

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©Yannis Adelbost

Second bis incontournable : une Radetzky-Marsch [Marche de Radetzky] de Johann Strauss I (ou père) – NB : avec sa jouissive introduction percussive, trop souvent évincée – immersive et participative, scandée par le public en liesse d’un Auditorium bondé (il le sera pour les trois autres dates). Tausend Dank Meister Honeck, d’avoir réussi l’exploit de “faire couler le Danube entre Saône et Rhône” ! Puissiez-vous nous revenir dans le futur ! À ce sujet, l’entente semble si parfaite avec notre orchestre qu’on se prend à envisager une idée, dont nous ne revendiquerons certes pas la propriété intellectuelle : pourquoi pas revenir pour une opérette viennoise mise en espace ? Entre autres, le Paganini de Lehár, dont vous pourriez si magistralement assumer les parties violonistiques en solo ?!? Rêvons !!!

Patrick FAVRE-TISSOT-BONVOISIN

1 Voir la critique de Patrick F-T-B dans la Revue L’Opérette N°204 (Août 2022)

2 La Veuve joyeuse, de Franz Lehár.

4 Wiener Neujahrskonzert 1989, publié sous étiquette CBS.

5 Sous réserves mais, aussi loin que nous avons pu remonter, nulle trace d’une exécution locale antérieure n’a été décelable.

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