Les siècles défilent, les sociétés évoluent, et quelle que soit l’époque ou la culture, les contes ont ce pouvoir merveilleux de nous faire rêver, à tout âge, et de redonner confiance en la beauté du cœur qui dans ces histoires, triomphe toujours des griffes du mal.
Si l’on retraçait l’histoire de Cendrillon, elle débuterait bien avant l’œuvre de Charles Perrault ou des Frères Grimm puisque sa première version est créée au IIIème siècle par Claude Elien, un historien et poète du Haut Empire Romain.
Un premier ballet est créé en 1813 par le danseur et Maître de Ballet français Louis Duport, puis une deuxième version à Londres en 1822, et enfin l’œuvre référence de Marius Petipa présentée en 1893 sur la partition d’un compositeur oublié, Boris Schell.
En 1941, Sergueï Prokofiev débute son écriture qu’il ne terminera qu’en 1944, interrompu par la Seconde Guerre Mondiale. Sur cette partition légèrement modifiée, Frédérick Ashton signera la chorégraphie de Cendrillon en 1948, en hommage à Marius Petipa.
Depuis, le ballet qui présente ce conte mythique a été repris par Maguy Marin en 1985, et Rudolf Noureev en 1986.
Thierry Malandain crée sa version de Cendrillon en 2013, et reçoit pour sa magnifique réalisation le “Taglioni European Ballet Award” en 2014. La saison dernière, le chorégraphe transmet son œuvre au Ballet Nice Méditerranée, qui l’inscrit désormais à son répertoire.
Si les histoires et les personnages varient quelque peu, le mystère d’une pantoufle disparue demeure. Mais alors, pantoufle de verre ou de vair ? La fourrure du petit écureuil semble plus plausible, mais la question ne se pose plus puisque ce soir, le rideau s’ouvre sur un plateau habillé d’escarpins noirs en suspension. Ce décor épuré, féminin et élégant sera l’unique tableau du ballet.
Les danseurs en justaucorps couleur chair dévoilent les premiers pas de la chorégraphie de Thierry Malandain, classique, délicate, et sans pointes pour les danseuses. Perdue dans sa tristesse, Cendrillon est en proie à la méchanceté de sa belle-mère et de ses deux filles, Javotte et Anastasie. Ces trois personnages sont interprétés par des danseurs. On devrait les détester pour les brimades qu’ils infligent à Cendrillon. Mais ces créatures loufoques aux allures de dragqueens inspirent très vite la sympathique. Elles en font beaucoup et ce n’est pas trop, c’est top !
Malgré quelques longueurs dans cette première partie, le bal tant attendu s’annonce. La scène est magnifique, et d’une créativité remarquable. Les danseurs et danseuses, vêtus de costumes gris, dansent avec des mannequins habillés de longues robes noires pailletées. Dans ce décor digne d’ un showroom de haute couture, le luxe apparent contraste avec l’absence émotionnelle. L’impersonnel côtoie les artifices, dans un bal des âmes vides où le seul éclat des robes maquille un néant intérieur.
Cendrillon fait son entrée, sans apparat et pourtant si lumineuse. Le Prince succombe à sa pureté et leur « Pas de Deux » renverse les émotions, de la simplicité de l’évidence à l’étourdissement du désir.
Minuit sonne, Cendrillon disparaît et le Prince la recherche désespérément. Sa quête le conduit à d’autres rencontres, excentriques ou mystérieuses, mais auxquelles il reste insensible. S’en suivront les séances d’essayages de l’escarpin perdu, à nouveau théâtre des exubérances farfelues de la belle-mère et de ses filles.
La fin du ballet célèbre l’amour des deux âmes pures qui s’étaient reconnues, perdues et retrouvées. La lumière a éclipsé les ténèbres, simplement, dans la douceur d’éclairages aux cinquante nuances de gris et de bleu.
Cendrillon met en valeur la diversité et l’excellence du Ballet Nice Méditerranée par sa technique, sa précision, et la qualité des interprétations. La Fée (Ilenia Vinci), offre sa bienveillance avec délicatesse et légèreté. La Belle-Mère ( Alessandro Pulitani ), Javotte ( Andrea Canalicchio ) et Anastasie ( Théodore Nelson ) performent admirablement dans le registre burlesque, et le public partage avec joie leur plaisir du jeu de l’autodérision. Cendrillon (Veronica Colombo) et le Prince (Luis Valle), forment un très beau duo, en parfaite osmose, et leur interprétation naturelle et sincère sublime les personnages.
Sous la Direction de Marc Leroy-Calatayud, l’Orchestre Philharmonique de Nice apporte un souffle supplémentaire au ballet, et interprète magnifiquement l’œuvre de Sergueï Prokofiev.
Cette création de Thierry Malandain est un éloge à la beauté, une heure trente de talent et d’élégance. Dans un décor et des costumes signés Jorge Gallardo, la chorégraphie classique révèle des mouvements et passages surprenants, poétiques ou sensuels, toujours parfaitement dosés et harmonieux. Thierry Malandain, sensible aux valeurs du conte a chorégraphié Cendrillon « pour tenter de sublimer l’ordinaire » et « oublier l’humanité qui saigne, l’ignorance et la bêtise humaine ».
S’il a grossi le trait de la noirceur humaine en la caricaturant, là est peut-être le seul bémol, car tout était trop beau pour être laid.
Thierry Malandain est un magnifique artiste, subtil, et porte en lui l’élégance, qui tout comme la beauté, a une part innée, cachée au fond du cœur.
SATINE.
17 décembre 2024
Retrouver nos deux solistes dans la série “En coulisses avec Satine”
Veronica Colombo :
Luis Valle :
Cendrillon
A l’opéra de Nice jusqu’au 29 décembre inclus : https://www.opera-nice.org/fr/evenement/1171/cendrillon
Production Opéra Nice Côte d’Azur.
Musique Sergueï Prokofiev
Chorégraphie Thierry Malandain
Ballet pour 20 danseurs
Transmission Giuseppe Chiavaro, Frederik Deberdt
Directeur de production, conception lumière Jean-Claude Asquié
Décor et costumes Jorge Gallardo
Réalisation costumes Véronique Murat
Réalisation décors et accessoires Chloé Brèneur, Alain Cazaux, Annie Onchalo
Perruquiers François Dussourd, Georges Dejardin
Direction musicale Marc Leroy-Calatayud
Orchestre Philharmonique de Nice
Ballet Nice Méditerranée
Distribution :
Cendrillon
Veronica Colombo (a)
Zaloa Fabrini (b)
Madeleine Pastor (c)